Cet article a été publié dans Le Figaro le 3 avril. Il décrit à grands traits ce qui, dans l’ordre politique, et au delà, dans l’ordre de la culture et des mœurs, ressemble à un de ces phénomènes générationnels comme il en existe partout, notamment en France et en Europe, une ou deux fois par siècle. La littérature, le théâtre, les Arts, en ont donné toutes sortes d’illustrations et naturellement, aussi la politique. Alexandre Devecchio, nous dit Vincent Trémolet de Villers, analyse ce phénomène pour ceux de sa génération, en tout cas ceux que nous voyons, peu à peu, sans qu’on ait à s’en plaindre, prendre le pas sur les caciques d’hier. Ce bouillonnement n’est pas homogène, sans doute. Mais Trémolet nous indique deux pistes pour y trouver une unité : ils sont sûrs de la fin de la fin de l’Histoire ; ils savent qu’ils devront refaire ce qui a été défait. Reste à s’entendre sur quoi. Tous raisonnent, semble-t-il, à l’verse de la Macronie. Ce qui nous paraît de bon augure.
BIBLIOTHÈQUE DES ESSAIS – Les Éditions du Cerf ont eu l’heureuse idée de publier en format poche une version enrichie des Nouveaux enfants du siècle, essai dans lequel Alexandre Devecchio faisait le portrait d’une génération naissante dont la première caractéristique était la radicalité.
« Les nouveaux enfants du siècle savent, eux, qu’ils doivent refaire ce qui a été défait »
Comme il y a des vins de soif, il y a des essais de circonstances. Vite lus, vite oubliés. Et puis il y a des essais de garde auquel le temps ajoute des nuances, de la profondeur, affine le goût, éclaire les couleurs. Il y a dix ans, Alexandre Devecchio n’était pas le rédacteur en chef des pages Débats du Figaro mais un jeune journaliste lancé le jour comme la nuit dans la création et l’animation du FigaroVox. Il poursuivait, au milieu de cadences infernales, la rédaction d’un essai à l’ombre d’Alfred de Musset mais aussi d’Hervé Hamon et Patrick Rotman les auteurs de Génération. Dix ans plus tard, les Éditions du Cerf ont eu l’heureuse idée de publier en format poche une version enrichie des Nouveaux enfants du siècle. Pourquoi ? Parce que Devecchio y faisait le portrait d’une génération naissante dont la première caractéristique était la radicalité.
Qu’ils prennent part à la génération Dieudonné, à la génération Zemmour, à la génération Michéa, les nouveaux enfants du siècle bousculaient le paisible cercle de la raison par le désordre des passions. Pour son livre, l’auteur avait rencontré une partie de la jeunesse française et en avait tiré une galerie de portraits composée de visages alors inconnus. On y trouvait notamment Jordan Bardella, François-Xavier Bellamy, Marion Maréchal, Sarah Knafo… Des noms qui désormais peuplent la rive droite de la politique et sont au premier plan de la campagne européenne.
Des trajectoires, des origines, des idées diverses mais un même terreau : la fin de la fin de l’Histoire, le retour du tragique, les premiers attentats islamistes en France, la dépossession culturelle, la rupture de transmission. Bardella et Knafo sont alors des enfants du 9-3, ils ont vu les émeutes de 2005 sous leurs fenêtres, ils regardent Zemmour chez Laurent Ruquier. Marion Maréchal appartient à une généalogie politique aussi sulfureuse que renommée, Bellamy, ancien élève de la rue d’Ulm a pris la parole lors de la Manif pour tous mais sa passion c’est l’école, le jeune professeur veut consacrer sa vie aux nouveaux déshérités, ceux que la rue de Grenelle a sacrifiés au profit d’une ingénierie pédagogiste dévastatrice.
« Le désert des valeurs fait sortir les couteaux »
« Le désert des valeurs fait sortir les couteaux », a dit Régis Debray après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. C’est dans ce désert que cette génération a cherché sa place, d’élections en manifs, d’émissions de télévision en lectures compulsives…
Le grand intérêt du livre de Devecchio c’est qu’il ne se contente pas d’esquisser des portraits, de tracer les contours de la nouvelle géographie idéologique de la jeunesse, il s’attache aussi et surtout à décrire les mouvements historiques et sociologiques sans lesquelles on ne comprend rien. Ici, pas de liste fastidieuse et plus ou moins approximative de noms propres ; pas de journalisme de contamination, cette passion triste qui trace les « cas contact » de ceux qui auraient contracté un jour le virus réactionnaire ; pas de morgue parisienne envers cette jeunesse éloignée des représentations flatteuses jusqu’à ce que Nicolas Mathieu lui consacre de brillants romans.
Mais de précieuses mises en perspective entre le référendum de 2005 et la lente sécession électorale de la classe moyenne, une analyse très Fourquetienne des codes, usages, angoisses et rêves d’une jeunesse qui s’est éloignée des partis traditionnels et se laisse largement séduire par le Rassemblement national. En 2002, les jeunes défilaient par centaines de milliers contre Jean-Marie Le Pen, en 2022, ils ont voté par millions pour Marine Le Pen…
Bien avant le Covid et la réforme des retraites, on trouvera aussi dans cet ouvrage une passionnante étude sur la « guerre des âges », cette fracture générationnelle qui oppose de plus en plus les millennials aux boomeurs. L’inquiétude d’une France prise par la fièvre identitaire transparaît aussi dans ces pages empreintes de gravité. « Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule qui n’est ni le jour ni la nuit », écrivait Musset dans sa célèbre confession. « Les nouveaux enfants du siècle savent, eux, qu’ils doivent refaire ce qui a été défait » conclut Alexandre Devecchio dans cet essai de jeunesse qui, dix ans plus tard, a la saveur d’un grand cru. ■
« Les nouveaux enfants du siècle », Cerf, coll. « Lexio », 344 p., 10 euros. Lexio