En commémoration de la chute de Dien Bien Phû, (7 mai 1954 – 70e anniversaire) JSF a repris hier la critique par Pierre Builly du film de Pierre Schœndœrffer, la 317e section. Lle même réalisteur a aussi produit un film intitulé « Diên Biên Phu » (1992) sur lequel Pierre Builly a écrit une chronique publiée dans nos colonnes il y a 6 ans (09.2018). Tout aussi émouvante et belle que la première. La voici reprise ici.
Par Pierre Builly.
Diên Biên Phu, de Pierre Schœndœrffer (1992).
La fin de l’Empire.
Lorsque, dans bien longtemps, on demandera aux garçons et aux filles de France qui ont sept ans aujourd’hui s’ils conservent un souvenir de 2018, qui a vu la victoire française en Coupe du monde de football, la démission du Gouvernement de Nicolas Hulot et les évolutions nationales de plusieurs pays européens, je ne suis pas certain que beaucoup se rappelleront tout cela comme je me rappelle les pleurs de ma mère apprenant la chute de Dien Bien Phû.
Nous n’y avions pourtant pas de proche, de cousin, de parent englué dans la boue des collines du Tonkin et si un de mes grands-pères avait été fonctionnaire des Postes à Hanoï, c’était avant la première guerre mondiale.
La censure, mais aussi l’éloignement, l’indifférence ou l’hostilité à ce qui était perçu comme une guerre incompréhensible expliquent cette stupeur devant l’événement : on n’imaginait pas que nos soldats, appuyés par la logistique étasunienne, pussent être battus par un ennemi si exotique, fût-il aussi fortement aidé par l’Union soviétique et la Chine populaire. Stupeur et accablement du 7 mai 1954. Six mois après, c’était la Toussaint rouge en Algérie, le mitraillage du couple d’instituteurs Monnerot dans les Aurès. L’impuissance de la IVème République permettait tout.
Donc, Dien Bien Phû ; et Diên Biên Phu, le film de Schœndœrffer ; si j’en fais la distinction, c’est à dessein, et comme le fait le réalisateur dans un des suppléments de l’édition DVD. Il ne faut pas voir dans le film une reconstitution historique qui s’efforcerait de reposer le contexte géopolitique, d’expliquer les tenants et aboutissants de la guerre d’Indochine (la sale guerre comme l’appelait le Parti Communiste qui faisait saboter par ses militants les armes destinées à l’Extrême-Orient), ni même de justifier ou d’accabler le choix de la position stratégique, pas davantage de relater le déroulement d’une bataille qui dura près de deux mois.
Schœndœrffer évoquant son film, dit Grâce à tous ces jeunes hommes, la guerre d’Indochine a bien su mourir. La partie raisonnable de mon cerveau ne peut ni comprendre, ni expliquer. La partie émotionnelle de mon cerveau peut y adhérer, y dessiner un sens comme il y a un sens aux grandes symphonies de Beethoven. Dès lors, ce montage parallèle de séquences entre les collines de Dien Bien Phû, aux noms de femmes choisis comme des nostalgies, Béatrice, Anne-Marie, Claudine, Éliane… et la touffeur civilisée d’Hanoï prend tout son sens.
Hanoï, où l’on vit encore, d’apparence comme au doux temps des colonies, entre l’Opéra (copie en modèle réduit du Palais Garnier), le pont Paul Doumer, la cathédrale Saint-Joseph… Mélange, dans les rues toujours mouillées, des cyclo-pousse et des Traction Avant Citroën, bars à soldats, aventurières opiomanes, goût des Asiatiques pour le jeu poussé jusqu’à la folie, complets blancs des coloniaux, breuvages alcoolisés improbables… Toute la fascinante galerie de ce qui fut ce pays, étrange, intelligent, aussi impossible à être conquis par quiconque, Chinois, Français, Étasuniens, que ne l’est le farouche, sauvage et hideux Afghanistan…
Donc, entre les collines inondées de pluie chaude et la capitale de l’Indochine, la ville fascinante qui touche mortellement au cœur ceux qui l’ont approchée, il y a cet aller-retour, peut-être un peu maladroit au début du film, mais qui prendra graduellement de la gravité, lorsque ces beaux soldats de fortune, qui se sont battus dans l’escadrille Normandie-Niemen, dans le Fezzan et sur le Rhin avec la 2ème DB, dans la plaine des Jarres (et, sûrement, pour beaucoup d’entre eux, dans la Guerre d’Espagne, ou sur le Front de l’Est, frères jadis ennemis réconciliés dans le culte de Legio, patria nostra), lorsque tous ces types de qualité auront été hachés dans l’enfer où ils se sont précipités.
Ciels de suie, moussons lointaines, étouffement des hommes au fin fond des boyaux creusés dans les collines. Les esprits forts trouveront que tout cela est bien vieillot, et peut-être que Béatrice Vergnes (Ludmila Mikaël), musicienne virtuose et cousine du capitaine Jégu de Kerveguen (Patrick Catalifo) en fait trop dans la grâce fragile et séduisante. N’empêche que quand de son violon s’échappent les notes brillantes et désespérées du concerto que Georges Delerue a écrit magnifiquement pour Dien Bien Phû, on songe que ce n’est pas trop mal que la fin de ce monde ait eu lieu sur cette musique-là. ■
DVD disponible autour de 10 €
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Superbe !
Cet article excellent me fait penser à ce que Jean-Marie Le Pen dit très bien de « L’indo » dans son livre de mémoires si inégal mais où certaines périodes de notre histoire récente sont fort bien décrites et analysées. Peut-être que cet infernal vieillard a surtout été un grand baroudeur.
Bonjour les Français. Merci de m’avoir permis de revisionner (une fois de plus) LA317e SECTION. Un commentaire a évoqué ici la guerre de Corée. J’ajouterai qu’il faut alors rendre hommage au Bataillon français qui y a glorieusement participé : 50% de pertes et une vaillance reconnue officiellement par les Américains.
Quand la qualité ne vieillit pas, intemporelle, tant celle du film que celle du commentaire. Et une musique…