Analyse d’un point de vue chrétien du vote aux prochaines européennes. Pour qui voter ou ne pas voter ?
Par François Schwerer.
Quelques jours après l’inscription dans la Constitution de la liberté d’avorter, le Président de la République a fait présenter en Conseil des ministres un projet de loi annoncé comme une loi de « fraternité » par laquelle il veut « libéraliser » l’euthanasie et le suicide assisté.
Drôle de fraternité que celle qui consiste à donner la mort à son semblable. « Lorsqu’au nom d’un respect mal compris du mourant, nous acquiesçons à sa volonté de mettre fin à ses jours et que nous l’y aidons, nous l’enfermons en réalité dans la pire des souffrances : la solitude du choix »[1]. Mais communication oblige, les mots de suicide et d’euthanasie sont bannis du texte, il n’est question que d’aide à mourir. Et, le 10 avril, l’AFP a tenu à préciser le sens réel de cette manipulation sémantique : « Il s’agit bien de proposer à certains patients le moyen de se suicider, et quand ils sont incapables d’accomplir le geste fatal, de le faire pour eux ». Quant à l’hebdomadaire Le Point, il s’est contenté de noter : « l’exercice de style linguistique du Président relève de l’acrobatie » ! Ne sommes-nous pas plutôt là en présence d’un « péché contre l’Esprit », celui qui décrète bien ce qui est mal ?
En Belgique, le président de la Mutualité chrétienne ne veut pas non plus parler de « suicide assisté » ; il « préfère l’appeler : redonner la vie » ! Ce serait donc bien simplement d’une loi de fraternité qu’il s’agit puisqu’elle ne vise qu’à aider celui qui le souhaite à « mourir dans la dignité ». Comme si la dignité n’était pas d’une autre nature que la faiblesse ou la souffrance (qu’elle soit physique ou psychique). Pour masquer ces dispositions de mort, la loi consacre quelques articles vagues et sans portée pratique aux soins palliatifs. « On ne peut s’empêcher d’éprouver le sentiment que les déclarations incantatoires en faveur [des soins palliatifs] ne servent qu’à faire passer la course en avant vers le tout euthanasique, dans une version tragique du fameux en même temps »[2].
Ce projet de loi dont la discussion au Parlement a déjà commencé est en opposition absolue avec la déclaration du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, « Dignitas infinita », publiée le 2 avril et qui rappelle dès sa première phrase qu’« une infinie dignité, inaliénablement fondée dans son être même, appartient à chaque personne humaine, en toutes circonstances et dans quelque état ou situation qu’elle se trouve » (§ 1). Dans cette déclaration, Rome insiste sur le caractère ontologique de la dignité humaine, « qui concerne la personne en tant que telle par le simple fait d’exister et d’être voulue, créée et aimée par Dieu. Cette dignité ne peut jamais être effacée et reste valable au-delà de toutes les circonstances dans lesquelles les individus peuvent se trouver » (§ 7). Cette « dignité est intrinsèque à la personne, elle n’est pas conférée a posteriori, elle est antérieure à toute reconnaissance et ne peut être perdue. Par conséquent, tous les êtres humains possèdent la même dignité intrinsèque, qu’ils soient ou non capables de l’exprimer de manière adéquate » (§ 15). D’un point de vue pratique la déclaration rappelle en particulier que « s’oppose à la dignité humaine tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré[3] » (§ 34).
Sans tenir compte de ce texte qui était officiellement en préparation depuis plusieurs années et dont on connaissait déjà les grandes lignes, le 12 mars dernier, la Commission des Episcopats de la Communauté européenne (COMECE) a pris position vis-à-vis des élections européennes qui approchent. Le représentant français, Monseigneur Hérouard, archevêque de Dijon, a présenté cette prise de position pour rappeler que « certains partis, qui se trouvent bien souvent dans les extrêmes, ne devraient pas recevoir les suffrages des chrétiens ». Et, afin de dédouaner ceux pour lesquels, implicitement, il appelle à voter, il a tenu à préciser que, contrairement à la question de l’immigration, les « enjeux sur la fin de vie ou l’avortement (…) tiennent de la responsabilité des Etats et non de l’UE ». Il a cependant été démenti moins d’un mois plus tard lorsque les députés européens ont eu à se prononcer sur l’inscription de l’avortement au rang des droits fondamentaux de l’Union européenne et ont demandé aux médecins et aux instances médicales de renoncer à la clause de conscience en matière d’avortement.
Des « principes non négociables bafoués
Ainsi sont une fois de plus bafoués les « principes non négociables » que le pape Benoît XVI avait pourtant rappelés aux Parlementaires européens du PPE le 30 mars 2006 :
- « La protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ;
- « La reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille – comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage (…) ;
- « La protection du droit des parents d’éduquer leurs enfants ».
Les évêques des régions frontalières de l’Europe de l’Ouest (Euregio) ont quant à eux signé une lettre pastorale abusivement intitulée « un souffle nouveau pour l’Europe » dans laquelle ils appellent à voter pour les partis qui veulent « la justice, l’écologie intégrale et la législation sociale [qui] sont le socle de l’humanisme européen » ! Tous ces évêques tiennent donc pour rien la présentation que le cardinal Fernandez a fait le 2 avril de la déclaration « Dignitas infinita » dans laquelle il soulignait que les atteintes à la dignité telles que l’avortement ou l’euthanasie détruisent « une condition fondamentale pour que nos sociétés soient réellement justes, pacifiques, saines et, en fin de compte, authentiquement humaines ».
Une conception de l’être humain qui affirme la domination de la volonté sur l’être, de la volonté individuelle sur la vie humaine
Certains de nos évêques ont donc oublié que « consacrer l’avortement comme une liberté (…) manifeste l’adhésion à une conception matérialiste et volontariste de l’être humain qui affirme la domination de la volonté sur l’être, de la volonté individuelle sur la vie humaine. (…) C’est une conception terrible de l’être humain qui estime que la destruction volontaire de la vie humaine est l’expression de la liberté humaine, et même son sommet, car ce serait la forme la plus élevée d’autonomie. C’est cette même conception qui porte la promotion de la mort volontaire comme une liberté et une expression de la dignité humaine. Pour le peuple profane, le recours massif à l’avortement a pour effet de l’obliger à croire que l’être humain n’a pas d’âme, mais qu’un corps doté progressivement de facultés intellectuelles, car si l’enfant à naître est animé, alors nous serions des assassins »[4].
Au mois de juin prochain il sera encore temps de prendre conscience du fait que l’empire de la mort qu’on veut nous imposer ne concerne pas que les corps ; il prend aussi les esprits et les âmes – la laïcité n’avait-elle pas pour but dès l’origine de tuer la religion ? Dans la pratique, l’instauration de cet empire a commencé par la destruction de la culture et le dévoiement du langage. Les mots ne sont plus le support d’une pensée, d’un raisonnement ; ils sont devenus le véhicule d’une propagande. Les discours politiques ne visent plus à stimuler la raison et à faire réfléchir mais à provoquer des émotions et des impulsions qui conduisent le citoyen à réagir inconsidérément lors de chaque consultation électorale. On comprend pourquoi, alors qu’ils croyaient revoter pour Jupiter, les Français ont élu Pluton… toujours suivi de son fidèle Cerbère, lequel a pour mission, à l’aide de ses trois têtes que sont la surveillance, le mensonge et l’intolérance, d’empêcher les âmes de retourner à la lumière. Or, il a fallu Hercule pour arriver à enchaîner Cerbère et il ne l’a fait qu’après avoir nettoyé les écuries d’Augias. Aujourd’hui, dans notre système pseudo-démocratique le seul héros sur lequel on puisse compter est le peuple lui-même. C’est à lui qu’il appartient de faire le ménage ainsi que le redoutent les thanatocrates qui n’ont qu’une peur, être défaits par les populistes qu’ils s’efforcent de charger comme autant de boucs émissaires en les traitant de complotistes.
Un chrétien pourra-t-il choisir pour le représenter un candidat affilié à l’un des partis qui n’hésite pas à promouvoir une « culture de mort » ?
Nos Parlementaires ont donc trop souvent pris, sous une pression irrésistible fortement amplifiée par des médias irresponsables, une décision dont ils ne mesuraient pas véritablement la portée dramatique. On peut admettre dans le cadre d’un scrutin public que beaucoup d’entre eux ont voté sans savoir vraiment ce qu’ils faisaient. Mais alors : soit ils sont les instigateurs de ces lois de mort soit ils en sont les complices inconscients. Dans les deux cas, un chrétien qui a le temps de réfléchir à la question loin d’une agitation bruyante et qui devra prendre sa décision en dehors de toute pression médiatique dans le secret de l’isoloir, pourra-t-il choisir pour le représenter un candidat affilié à l’un des partis qui ainsi n’hésite pas, par discipline de vote, par peur ou par ignorance, à promouvoir une « culture de mort » ?
Voter pour le représentant solidaire d’un parti qui a fait de la mort un acte laïc et privé, serait se rendre complice de cet acte de mort qui couronne la destruction de toute société, plus spécifiquement de notre civilisation et de toutes les valeurs qui lui sont attachées. Si aucun mandat n’est juridiquement impératif, il ne donne pas pour autant à l’élu un blanc-seing lui permettant de violer la conscience de ses électeurs. Et, par tout vote ultérieur, l’électeur approuve ou sanctionne l’action de son représentant ; seul Ponce Pilate s’abstient. Aucun sujet ne saurait primer celui-là car si l’on ne permet pas aux enfants conçus de naître et si l’on se débarrasse des vieux devenus improductifs, la société finira par s’effondrer dans une angoisse insupportable faute d’expérience et de renouvellement. Chacun devra s’en souvenir au moins lors de la prochaine échéance électorale, les Européennes ; et s’il n’en tient pas compte il n’aura pas le droit de se plaindre des prochaines dérives de la loi. ■
[1] Grégoire Quillet, in La Nef, n° 368, avril 2024, p. 45. Il ajoute « Choisir l’aide à mourir est un acte violent contre soi, contre l’autre, contre la société ».
[2] Guillaume Bonnet, France-Catholique, n° 3854, 19 avril 2024, p. 9.
[3] Gaudium et spes, n° 27.
[4] Grégor Puppinck, in La Nef, n° 368, avril 2024, p. 6.
Dernier ouvrage paru…
Merci à M. Schwerer pour cet utile rappel avant le prochain scrutin. Les chrétiens doivent donner l’exemple.
Tuer un enfant dans le sein de sa mère est un assassinat.
Ce « droit à mourir dans la dignité » n’est ni plus ni moins qu’un droit à tuer.