Par Dominique Jamet.
COMMENTAIRE – Ce dont Dominique Jamet traite ici c’est au fond d’un sujet vieux comme les sociétés. Il s’agit des variations de la conscience morale constatées en tous temps et en tous lieu. Variations qui ne signifient pas l’inexistence d’une conscience morale supérieure mais que celle-ci opère les modifications que lui imposent les réalités sociales contingentes, variables dans l’espace et dans le temps. Ainsi, semble dire Dominique Jamet, de la peine de mort qui revient dans l’orbite de l’acceptable ; qui s’applique en fait déjà en pratique, assez généralement dans le cadre de la lutte anti-terroriste et qui réapparaît peu à peu comme une disposition nécessaire du droit pénal, au fur et à mesure que sa nécessité se fait jour parce que la violence ne cesse de monter au point de menacer la survie de la société. Il ne s’agit plus de discuter pour savoir si c’est un bien ou un mal. L’on se retrouve dans l’ordre du nécessaire, ou du vital. Et c’est à quoi nous sommes rendus.
« Ne nous laissons pas abuser, encore moins séduire par les opérations « Place nette » et la poudre que M. Darmanin nous jette aux yeux. »
Infatigable avocat de la défense, Robert Badinter avait fait de la dénonciation de la peine capitale le combat de sa vie, sans que l’on puisse déterminer ce qui lui faisait le plus horreur, du procédé en vigueur dans notre pays depuis la Révolution française – la lame tranchante qui coupe un homme en deux parties inégales – ou du principe même suivant lequel un État serait en droit de disposer de la vie et de la mort d’un être humain.
Disparu il y a quatre mois, l’ancien garde des Sceaux voulait croire que la victoire remportée à l’automne 1981 sur « le châtiment suprême » était irréversible et, plus généralement, que l’Union européenne, à l’image de la France, avait définitivement rompu avec ce qu’il disait être l’héritage des temps barbares. Il sous-estimait ce que son succès devait à l’appui d’un président de la République qui bénéficiait encore de l’état de grâce, une expression parfaitement appropriée en l’occurrence, et au ralliement opportuniste de la droite menée par Jacques Chirac. Il se trouvait, aussi, que le moment n’était pas marqué par une poussée de la violence, une montée de l’insécurité, le recours croissant aux armes blanches et une vague de faits divers sanglants qui tendent à devenir des faits de société.
La « neutralisation » des terroristes
Quoi qu’il en soit, brutalement confrontée à la menace et aux manifestations du terrorisme islamiste, il apparut dès la fin du XXe siècle que la Justice française ne pouvait rester indéfiniment privée du glaive qui est, avec la balance, l’un de ses attributs traditionnels. D’où l’étrange « jurisprudence », si l’on peut ainsi qualifier l’adoption d’une pratique qui n’a jamais été officiellement revendiquée ni explicitement soumise à l’arbitrage du Conseil d’État, moins encore du Conseil constitutionnel, mais qui a eu l’indiscutable mérite de l’efficacité en permettant à la loi de s’appuyer sur la force.
C’est ainsi que la peine capitale, chassée à grand fracas du droit commun par la grande porte du palais Bourbon, s’est officieusement réintroduite dans la réalité sans avoir jamais été relégitimée par la loi en passant, si j’ose dire, par la fenêtre des mosquées salafistes, en répondant aux attentats commis au nom d’Allah ou plus spécifiquement aux consignes de Daech. C’est ainsi qu’il a été implicitement décidé que les assassins islamistes étaient passibles de la mort dès lors qu’ils étaient interpellés en flagrant délit et pour autant que se poursuivait leur activité criminelle, sans que l’on s’embarrassât d’un procès régulier, avec publicité, avocats, témoins, tribunal et tout le tralala ordinaire, et qu’ils ne redevenaient justiciables des tribunaux que si, ayant échappé aux balles de la police, du RAID ou de l’armée, ils avaient la chance d’être incarcérés vivants. C’est ainsi que Khaled Kelkal, Mohammed Merah, les frères Kouachi, Amedy Coulibaly, les tueurs de Charlie, du Bataclan ou de Nice ont été abattus sans que nul (y compris Robert Badinter) y trouve à redire dès l’instant qu’il est admis que face au terrorisme islamiste, nous sommes en guerre. C’est ainsi que pour s’être dissocié au dernier moment de ses complices, pour avoir flanché, pour avoir tenu à sa propre vie plus qu’à celle de leurs victimes, pour avoir été l’objet d’une arrestation aussitôt révélée, le nommé Salah Abdeslam, seul survivant de l’équipe du Bataclan, encombre sans pudeur les tribunaux et les audiences de ses plaintes sur les rigueurs de sa détention. Il est vivant, Cabu, Wolinski, Bernard Maris et les autres sont morts.
La pègre, une contre-société
Ne nous laissons pas abuser, encore moins séduire par les opérations « Place nette » et la poudre que M. Darmanin nous jette aux yeux. Il est clair que les gouvernants, et plus particulièrement les ministres de l’Intérieur qui se sont succédé depuis cinquante ans, ont totalement échoué et, avec eux, la politique de prohibition et de répression prétendument menée contre le trafic et la consommation de stupéfiants. Les signaux se multipliaient depuis quelque temps sur l’infiltration de notre société par la Mafia du crime organisé : constitution d’une contre-société employant des centaines de milliers de salariés, mainmise des dealers sur les « quartiers populaires », règlements de comptes entre dealers, petits et gros, entre gangs, entre boss, diffusion de la drogue dans les milieux de la politique, de la mode, du spectacle, intimidation, corruption, complicités dans la police, la magistrature, chez les élus.
La tuerie du péage d’Incarville, en ce début de semaine, marque l’irruption spectaculaire d’une narco-criminalité à la mexicaine dans notre pays. De sa cellule, Mohamed Amra, décidément fine mouche, a pu préparer, conduire et réussir son évasion en disposant de moyens matériels, financiers et militaires bien supérieurs à ceux de la malheureuse escorte qui est tombée dans un guet-apens. Voitures volées et incendiées, fusils d’assaut contre des armes de poing, jeunes sicarios prêts à tuer et tuant, effectivement, pour quelques milliers d’euros, itinéraires de fuite, filières secrètes, planques étanches. Conclusion : la pègre est désormais mieux armée, plus efficace, plus puissante que l’administration pénitentiaire. Un nouveau front s’ouvre, une nouvelle guerre commence. Que risquent ceux qui ont abattu cinq représentants de l’ordre et de la paix civile ? Mineurs, l’État se bornera à leur assurer le gîte et le couvert une dizaine d’années. Majeurs ? Ils peuvent compter sur la protection de la mouche. Double assassinat avec préméditation, crime commis en bande organisée. Que méritent-ils ? J’en demande bien pardon à feu Me Badinter. La mort. ■
Si Mohamed Amra, déjà auteur d’un meurtre, avait été guillotiné…
La guillotine a un effet répulsif, du sang qui gicle, je préfère la pendaison, plus propre et aussi efficace