Par Pierre Builly.
Le garçon aux cheveux verts de Joseph Losey (1947).
Mettons la guerre hors la loi!
Il me semble qu’il y a des gens qui devraient, a posteriori se réjouir d’avoir été vilipendés, persécutés ou exécutés. Que demeurerait-il aujourd’hui d’André Chénier ou de Robert Brasillach si un sort contraire à leurs espérances ne les avait pas conduits à la peine capitale ? Que resterait-il de Joseph Losey s’il n’avait pas été victime de la chasse aux sorcières menée tambour battant par le sénateur Joseph McCarthy, qui aboutit à rejeter de l’Hollywood du lendemain de la Deuxième guerre des tas de protagonistes, dont certains avaient de la qualité ?
Losey, qui revêt pour beaucoup la figure iconique du martyre, était clairement, ouvertement communiste. Pourquoi pas ? Certains séides de cette étrange peuplade ont eu du talent, voire du génie (Eisenstein, par exemple).
Losey, c’est beaucoup moins assuré. Et ce n’est pas cette gnagnanerie plutôt ridicule du Garçon aux cheveux verts qui va le faire remonter dans mon estime, tant ce film mielleux et bêta apparaît après coup, sans la moindre once de génie, comme une œuvre de propagande toute dimensionnée au bénéfice du bon grand-papa Staline, sorte d’aïeul idéal qui endormait le monde en serinant des ponts-aux-ânes aussi remarquables que La guerre est une chose affreuse et méprisable et Malgré nos différences, nous sommes tous des humains magnifiques et nous nous valons tous quelles que soient nos apparences.
Personne ne peut contester, évidemment, ces deux affirmations, qui sont de la même évidence que celles qui professent que la Terre est ronde et qu’elle tourne autour du Soleil. Mais réaliser un film sur des évidences est un exercice scabreux. Et laborieux, en l’espèce.
Le jeune Peter Frye (Dean Stockwell), orphelin de guerre, arrive après plusieurs années d’errance dans des familles d’accueil, au foyer de Gramp (Pat O’Brien), brave et médiocre artiste de music-hall, au cœur absolument généreux, qui parvient à apprivoiser un gamin écorché vif qui n’a pas encore compris que ses parents ne reviendront jamais le choyer.
Gramp possède le don inné de rassurer, d’apaiser, de calmer les angoisses d’un petit garçon qui a été jusqu’alors ballotté de partout. Et le meilleur du film est sans doute cet apprivoisement, la façon dont Gramp explique à Peter qu’il n’a rien à craindre de l’obscurité, si redoutée de tous les enfants du monde, puisque Il n’y a rien de plus dans le noir que dans la lumière.
Jusque là, nous sommes dans un récit gentil et un peu languissant. Et puis voilà qu’un jour sans aucune raison, Peter, après un shampoing dans son bain se retrouve doté de cheveux d’un vert particulièrement criard. Lui qui était regardé avec un certain émoi par les gamines de sa classe devient le souffre-douleur du fait de sa différence, comme on dit aujourd’hui.
Le film de Losey date de 1947, année de ma naissance ; mais je peux bien proclamer Urbi et Orbi que dix ans après, si un de mes camarades était arrivé au lycée avec une coiffure aussi ridicule et aussi voyante, il aurait été pareillement moqué et sans doute aussi tolchoqué. Pourquoi ? Non pas du fait d’un racisme ou d’une méchanceté intrinsèques, mais parce que l’enfance est en soi cruelle et n’aime pas les différences. C’est particulièrement injuste et particulièrement ancré. On pleurniche désormais sur ces évidences.
Il y a pire, dans le film : un prêchi-prêcha pacifiste, d’une incommensurable niaiserie : tous les petits enfants victimes innocentes de la Guerre, des déplacements de population, de la cruauté des grandes personnes se dressent pour protester vigoureusement et mettre les conflits hors la loi. C’est à ce moment là que les gens sérieux décrochent et se rappellent, en riant dans leur barbe, que c’est le petit père des peuples, le bienveillant Josef Staline qui était derrière tout cela. ■
DVD autour de 10€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Je me demande toujours pourquoi notre cher Pierre Builly s’en prend périodiquement à la question de ce qu’il resterait d’André Chénier et de Robert Brasillach, s’ils n’avaient pas été martyrisés… Il suffit de lire “Notre avant-guerre», «Comme le temps passe…», «Animateurs de théâtre», etc., pour résoudre la question Brasillach. Quant à André Chénier, il faudrait que je le lise mieux que je ne l’ai fait pour me faire une idée.
Pour ce qui est de Losey, je ne sache pas qu’avoir été communiste équivaut à un passage par les armes, d’autant moins que Losey n’a jamais cessé d’être adulé par tous les bouts. Qu’il puisse ne rien rester des adulés, nous ne savons que trop combien cela peut se produire – pour taquiner Builly, je lui annonce qu’il ne restera pas grand chose de la prose Houellebecquienne, sauf à ce que l’on tienne pour mémorable que deux ou trois peigne-zizis l’eussent un tant soit peu flétri quelquefois – entre peigne-zizis on s’entretripote sado-maso à l’envi.
Quant au génie Eisenstein, qui aurait été communiste… Ma foi, pas si sûr… Rappelons-nous que Staline avait dépêché Nicolaï Tcherkassov comme rôle titre sur le tournage d’«Alexandre Newski» comme agent de surveillance…
En revanche, il y a bien un communiste déclaré, patenté, assermenté, répété, et ce, jusqu’à ses derniers jours, qui avait un beau génie. Cela me permet de mentionner son nom, de louer sa musique ; c’est le Grec Mikis Theodorakis. Cependant, au temps où il faisait le coup de fusil contre les «fascistes», simultanément, il écrivait ses partitions et dédiait l’une d’elle à son cher ami (dont je n’ai plus le nom en tête) qui était tombé au combat parmi les «fascistes» adversaires. Au fond, tout communiste qu’il se fût déclaré, j’ai bien le sentiment qu’il ne l’était finalement pas – je rappelle au passage le propos de Barbey d’Aurevilly : «Léon Cladel croit qu’il est républicain, mais il se trompe : il est royaliste. Il imagine être athée, il est catholique, mais il ne le sait pas encore», et la suite a pu vérifier les observations de Barbey.
Il suffit de lire les essais politico-culturels de Mikis Theodorakis pour observer que, royalistes que nous sommes, nous pouvons exactement partager tout ce qu’il y formule.
Curieusement, Mikis Theodorakis fut adulé par la mitterrandouille, autre jackasserie et, même, servan-chreibeirerie ! Sans parler du Parti communiste français… Il n’était pas dupe et savait que tout ce beau monde se moquait éperdument de son art et de la musique en général, qu’il était ainsi prisé seulement parce que les fallacieuses élites socialo-communistes cherchaient à se l’approprier… Et c’est ainsi que, par la suite, avec son ami Roger Garaudy, il a pu être assimilé à une espèce de rouge-brun…
Non, Pierre Builly, les questions socialo-politiques ne suffisent pas à la façon du talent en poésie, sauf quelque temps durant, comme pour les Arangon, Triolette, Jean-Sol Partre, Houellebecque et autres buses bien dégrossies dans les cucurbites de la falsification culturelle.
Pour finir, rappelons-nous que, lorsque Louis Jouvet demandait des comptes à Charles de Gaulle, pour ce qu’il n’avait pas gracié le grand poète Robert Brasillach, le funeste général communisé a fait valoir que c’était justement parce qu’il était un grand poète qu’il lui avait mérité douze balles dans la peau.
Dans ces circonstances, ce que l’«adversaire» exécute, ce n’est pas l’ennemi politique, c’est le génie artistique et, souvent, en raison de ce que la personnalité peut refléter de plus pur ; ainsi l’extrême gentillesse humaine de Brasillach, son courage, humble et exemplaire. Et quelque chose de très approchant chez Federico García Lorca, quelque chose d’aussi grand – et de plus mystérieux, peut-être – chez le sublime politique-poète José Antonio.
Et, comme dernièrement, j’ai eu l’occasion de voir une «série» portant sur le traitement des Peaux-Rouges, jusque dans les années 80, aux Canada et USA, je ne peux passer sous silence les événements RÉVÉLATEURS (au sens du terme «apocalypse») qui ont consisté à mettre en coupe réglée, maladivement mortelle, les peuples (évangéliquement enfants) de la race rouge, pour l’exclusive raison qu’il y avait en eux des germes paradisiaques, notamment, fertilisés par leur art inouï de la guerre, exactement comparable à celui des sublimes samuraïs, «fanatiques au point de mourir désespérés», selon une définition de la bravoure donné dans le «Hagakuré», que Pierre Pascal a préféré traduire par «être arrogant au point d’être disposé à mourir désespéré» – pour ma part, j’aime la notion de «fanatisme», en correspondance avec ce que notre XVIIe siècle appelait «fureur poétique», en référence à Platon, le mode «agitato» que voulait ressusciter Claudio Monteverdi, et qui l’a fait ! Tant avec «El Combattimento de Tancredi e Clorinda» qu’avec les proprement DIVINES «Vespro della Beata Vergine».
C’est maintenant que doit apparaître la seule question qui vaille réellement, question soulevée dans le «Hagakuré» en les seuls termes qui puissent compter, les termes de l’analogie, aptes à conduire une perception métaphysique :
«Le monde d’un homme d’action est d’imaginer qu’il a toujours sous les yeux un cercle inachevé, mais qui sera achevé par l’adjonction d’un dernier point. À chaque instant, il envisage d’autres cercles, en abandonnant un cercle inachevé, où il laisse la place d’un point final. Le monde des artistes et des philosophes possède la nature d’une accumulation de cercles concentriques toujours plus grands. Mais, lorsque la mort surviendra, qui sera le plus fort . L’homme d’action ou l’artiste?»
Vive Dieu, la France et le Roi !
Comment voulez-vous, David Gattegno, que je réponde point par point à votre trop long message ?
Je vais donc me limiter à deux ou trois points. Si j’évoque toujours Chénier et Brasillach parmi les auteurs qui ont eu bien de la chance -littérairement parlant, bien sûr – d’être fauchés vite, c’est parce que j’essaye de mettre un peu d’ordre dans mes jugements.
Je n’ai pas de goût pour la poésie lyrique larmoyante de la fin du 18ème siècle et j’ignore à peu près Chénier ; mais je suis fort lecteur de Brasillach et dans ma bibliothèque il y a, naturellement, « Les sept couleurs », « Comme le temps passe », « Notre avant-guerre », « La conquérante », les évidents « Poèmes de Fresnes », l »Histoire de la guerre d’Espagne »…
Comme vous, je suis fort lecteur et si j’avais autant de millions d’euros que j’aie lu de livres, le sort de ma lignée ne me causerait nul souci. Mais précisément parce que j’ai beaucoup lu, je tente de relativiser les postérités. Brasillach est mort il y a 79 ans ; il survit dans le coeur de beaucoup encore aujourd’hui. Croyez-vous que des écrivains très estimables comme Michel Déon, par exemple, que j’ai assez bien connu, mort en 2016, »de sa belle mort » sera célébré en 2095 comme Brasillach peut l’être encore aujourd’hui ?
Le temps qui passe apure les choses et fait la distinction entre talent et génie. Balzac, Stendhal, Hugo, Flaubert, Zola (pour ceux qui aiment), Marcel Proust, ça tient les siècles ; Aragon romancier, c’est magnifique. Je ne suis pas sûr que Brasillach soit du même niveau, comme Déon, Laurent, Blondin, Raspail…
Houellebecq ? Va savoir ! Modiano itou.
Eisenstein surveillé sur « Alexandre Nevski » ? Possible ; qui n’était pas surveillé sous Staline ? Et la deuxième partie d' »Ivan le Terrible » a suscité la colère du potentat…
Quant à Théodorakis… je vous le laisse. La musique de « Zorba le grec » ne me paraît pas valoir que je m’intéresse…
Ne prenez pas mal tout ceci. Je voulais surtout dire que la renommée, littéraire, artistique, est aussi beaucoup fonction des circonstances.
Cher Pierre Builly, vous êtes tombé dans le piège que je tendais : vous avez ravalé Theodorakis à une musique de film. Mais vous ignorez les quatre grands opéras (son «Elektra» étant proprement inouïe !), et le très étrange cinquième («Métamorphoses de Dionysos»), la magnifique «Marche pour l’Esprit», les innombrables mélodies («tragoudia»), dont certaines sont de toute première beauté, le rangeant parmi les plus grands mélodistes, à côté de Schubert ; son œuvre symphonique «savante», dont la stupéfiante quatrième symphonie, ses «chansons-fleuves», dont le formidable «Axion est», sur le texte d’Odyssées Elytis,, «Romiossini», etc., etc.
C’est l’œuvre qui fait le génie !
C’est «Le Jugement des juges» qui vérifie immanquablement Brasillach en tant que tel.
Interlude : « romancero gitano de Mikis Theodorakis sur les textes de Lorca
https://www.youtube.com/watch?v=F0GVhlqpP7c
On va s’arrêter là, parce que ce n’est pas le sujet.
Sans dire comme Voltaire que « la musique est le plus abominable de tous les bruits », je n’y suis pas sensible sauf lorsqu’elle vient sous-tendre des images. Les opéras de Theodorakis me sont donc terra incognito et le resteront…
En effet, marc Vergier, les très belles «cinq chansons sur le Romancero gitan» de Lorca, traduites en grec par Odesseos Elytis – cela fait partie de ce que Theodorakis rattachait au genre spécifique des «Chansons-fleuves», ce que, pour ma part, j’interprète comme une espèce de mode «épique», mélodiquement parlant, ce que Wagner poursuivait en qualité de «mélodie continue», mais que, selon moi, il n’a pas su retrouver.
C’est avec le «Romancero» que j’ai fait la découverte de Mikis Theodorakis, au milieu des années soixante-dix. Cycle de mélodies chanté par Maria Farandouri, qui était associé aux «Chansons pour Andreas» et «Mythologie», avec, cette fois, la belle voix traditionnelle d’Antonis Kaloyannis.
Dommage que Pierre Builly ne soit pas sensible à la musique ; cela explique, peut-être, qu’il ne sache pas contempler comme il faut ce que j’appellerai le «chant» en littérature tandis, que son goût pour la forme mentale qu’elle affecte polarise toute son attention ; si bien qu’il se limite à la portion auquel il restreint ce qu’il appelle «le sujet».
Je n’ai pas tout bien compris, mais ça doit être très bien !
Sans-doute dictés par des sensibilités diverses aux arts, nos goûts sont donc différents. Après tout, c’est très bien. Moi, par exemple, j’aime tout Brasillach, faiblesses comprises. Quelques amis et moi, nous nous sommes récité les poèmes de Fresnes, toute notre vie. Et il y a un Brasillach dont il n’a pas été question dans ce débat de haute volée, c’est le critique, qui ressortit d’un genre qui, pour moi, n’est pas mineur. Les 4 jeudis sont fort bien mais l’homme qui a écrit le Corneille mérite cent fois de passer à la postérité.
Par exemple, je n’aime pas le Romancero chanté – en grec – envoyé par Marc Vergier. Le Romancero doit être chanté, selon moi, mais chanté comme doit l’être la vraie poésie. Thibon y excellait parce qu’il était imbu de poésie en diverses langues : français mais aussi provençal, allemand, italien, espagnol Du Romancero je me souviens qu’il récitait avec gourmandise la Casada infiel, et la Muerte del Camborio. Il avait appris l’espagnol, m’a-t-il dit un jour sur une question que je lui avais posée, « pendant la guerre avec la fille d’un ambassadeur…)…
Si nous avions tous les mêmes goûts, nous mourrions d’ennui.
Je perçois ce que veux dire GP, mais la question «des goûts et des couleurs» (i.e. la «sensibilité diverses aux arts») est une observation toute moderne, liée à à cette funeste tendance à la «relativisation» – qui, en réalité, d’ailleurs, oriente sur un total absolutisme, celui du du relatif et, par conséquent et tout compte fait, de l’«en même temps».
Oui, GP, le «critique» Brasillach est assez particulièrement admirable, à «relativiser» (si j’ose dire), dans la mesure où, à cette époque et dans ces milieux, la «critique» voisinait quasiment l’art : par exemple, son ami Rebatet (que, par ailleurs, je n’apprécie pas), critique de cinéma, de musique, de peinture, réellement éblouissant. En ce temps-là, le journalisme avait peut-être un certain sens et quelque allure. Brasillach s’y est distingué, en effet. Mais, je pense que ce à quoi veut faire allusion GP c’est à la faculté «critique» très spéciale qu’avait Brasillach de PARTAGER intérieurement (c’est-à-dire, avec lui-même) ce dont il parlait – ce qui rejoint, au fond, l’idée de l’«identification», au sens métaphysique du terme – ; ses «évocations» de Paris, par exemple, sont bouleversantes, parce qu’il prend authentiquement existence au sein de ce qu’il dit, décrit, sans compter que tout cela est évoqué sous l’aspect du «souvenir» : il est DÉJÀ mort !… Toute son œuvre est marquée par ce pressentiment, ainsi de l’évocation et la description romanesque constante des cimetières, jusqu’à celle très stupéfiante (dans «Les Sept Couleurs», si je ne me trompe pas) de celui de Charonne, où il repose, désormais…
La «critique» de Brasillach, c’est le sens de la vie, vécue profondément… Très prochainement, j’en profite pour le signaler, les Amis de Robert Brasillach publient une nouvelle édition de son «Corneille» (à l’enseigne des Sept Couleurs), assortie d’une iconographie permettant de «repérer» ce à quoi je fais allusion quant aux facultés «descriptives» de Brasillach-critique, édition agrémentée, qui plus est, d’un fort utile index glosé.
Pour Lorca, il ne s’agit pas de savoir si le poème est plus pur à l’état pur : la solution est contenue dans l’équation posée. Mais, deux choses (oralité et traduction) ; pour ce qui me concerne :
J’ai découvert Lorca «en espagnol», alors que je ne connais pas un traître mot de la langue. Qui plus est, je l’ai découvert magnifiquement déclamé par une ancienne strip-teaseuse (Rita Renoir, qui me devint chère amie un moment durant), au tout début des années soixante-dix, dans un spectacle «érotico-mystique» (qualifiaient les critiques décontenancés), spectacle consistant à provoquer-rectifier par la nudité arrogante d’une somptueusement belle dame quelque chose chez les prosaïques spectateurs… Le processus du «happening» ne m’a jamais intéressé, tout au contraire, je le vomis… Cependant, il y avait quelque chose d’étrangement envoûtant dans l’espèce de douce-violence de ce spectacle («one-woman-schow», dirait-on grossièrement aujourd’hui).
Or, d’origine espagnole, Rita Renoir connaissait la langue de Lorca et parsemait le spectacle de ses poèmes. Ne comprenant rien aux mots prononcés, j’entendais distinctement le chant de la langue, et cela me transportait – le seul autre exemple d’un pareil enthousiasme poétique ne m’a été réservé que par la déclamation en anglais de l’incommensurablement sublime «Ullalume» d’Edgar Poe.
Cela pour dire que Lorca poète est authentiquement tel, pour peu qu’il n’y eût aucune «adaptation», aucune «traduction». Nous sommes bien d’accord.
Cependant, la traduction d’«Ullalume» par Pierre Pascal, donne accès à une espèce de maïeutique de poésie à laquelle, sans pratique de la langue originale, nul ne saurait parvenir… Il nous faut donc une traduction littérale ET musicale (c’est-à-dire, le rythme des vers adapté à leur texte) pour savourer autant que possible ce que, décidément, analphabètes linguistiques, nous ne pouvons prendre intelligiblement en bouche – et nous devons être bien malheureux de notre ignorance.
Pour Lorca en grec, il a été traduit par le gigantesque poète Odysseos Elytis ; j’augure que cela pourrait presque équivaloir à ce que fit Pierre Pascal pour Edgar Poe, mais ignare hellénisant, je ferais mieux de me taire ici, même en français ! – bon passons sur mon outrecuidance, s’il vous plaît.
Cela dit Theodorakis nous donne à entendre ce que Brasillach indiquait pour Lorca dans son «Histoire de la guerre d’Espagne» : «rénovateur de la poésie populaire et artiste merveilleux»… C’est sur «rénovateur de la poésie populaire» que je veux m’arrêter, car, nous autres français – banaux comme des fours devant l’original –, ne sommes en aucun cas capables de mesurer la dimension «populaire», rigoureusement essentielle en telle poésie, tandis que la traduction ne saurait donner qu’une version édulcorée de la force épique, d’ailleurs, mystérieusement telle (ce sur quoi les timbales de Theodorakis mettent le bel accent, quand il faut).
La mise en musique de Theodorakis nous apporte auditivement quelque chose permettant un rapport analogique parfaitement «compréhensible» avec ce qui nous resterait autrement étranger. Cela dit, j’indique que la version indiquée par Marc Vergier ne me semble pas la mieux appropriée à l’écoute (sans compter le mauvais enregistrement), aussi, suis-je allé chercher si l’on pouvait accéder internétiquement à celle que je prend pour référence… Eh oui, c’est fragmentairement ici
https://www.youtube.com/watch?v=RmptVYymzLM
et là
https://www.youtube.com/watch?v=OsYIrFyx7WI
Une correction, s’il vous plaît GP : non, non et non ! «Si nous avions tous les mêmes goûts», nous ne mourrions pas d’ennui… Pour peu que ce goût fût celui de la beauté, et c’est ce que toute poésie, tout art, est commis à cultiver en nous (cf. Platon, entre autres), pour peu que nous acceptions que les bons sillons fussent labourés (travaillés) dans nos cœur et/ou esprit, à destination de recevoir les semences. C’est la question de la beauté, donc, pour laquelle Marie-Nelly DENON-BIROT a eu la présence d’esprit de poser «l’énigme», hier ou avant-hier, ici même.
Pour finir, je vais citer «Mort d’Antonio el Camborio», extrait du «Romancero», dans la traduction figurant sur la pochette de mon vieux disque vinyles (celle d’un certain André Belamich, qui me paraît très honorable – celle des éditions Gallimard et du Club français du Livre) :
«Des voix de mort résonnent
aux bords du Guadalquivir
des voix anciennes qui cernent
une voix d’œillet viril.
Il plantait à leurs bottines
des crocs de vrai sanglier.
Dans la mêlée il faisait
des sauts de dauphins huilés.
Il baigna de sang adverse
sa cravate cramoisie
mais devant quatre poignards
à la fin il dut fléchir.
Antonio Torres Heredia
Camborio de toison riche
au teint brun de verte lune
à la voix d’œillet viril.
Ah antonio el Camborio
digne d’une impératrice !
Rappelle-toi à la Vierge
car bientôt tu vas mourir.
Frappé de trois coups de sang
il succombe de profil
vive monnaie qui jamais
ne sera plus reproduite.
Un ange glorieux pose
sa tête sur un coussin.
D’autres aux rougeurs fanées
lui ont allumé un cierge.»
J’aime les dérives érudites et poétiques de ces commentaires croisés…