Cet article est paru hier dimanche du JDD. Jean Guitton – qui avait osé dire à Jean-Paul II : « Je suis le dernier philosophe catholique français » – se demandait aussi si nous devions nous considérer comme les derniers ou plutôt comme les premiers chrétiens… Un certain retour ou au contraire la persistance puissante du fait religieux s’observe partout dans le monde contrairement aux attentes affichées de la modernité. Secoué de toutes sortes de crises depuis des décennies, le christianisme – notamment catholique – est-il appelé à une nouvelle jeunesse, en Europe, où il n’a cessé de décliner ? Après s’être incliné devant la doxa dominante, avoir souvent prêché à l’Europe contre ses traditions et contre son identité, l’Eglise peut-elle se ressaisir, changer de cap ? Le JDD, ici, rendant compte du pèlerinage de Chartres, en voit au moins de premiers signes. Nous lui en laissons la responsabilité, souhaitant qu’il ait raison.
Par
Ils étaient 16 000 l’an passé. Cette année, au moins 18 000 pèlerins ont pris la route qui relie l’église Saint-Sulpice, à Paris, à la cathédrale de Chartres. Une affluence historique pour le pèlerinage organisé par l’association Notre-Dame de Chrétienté qui, depuis sa fondation en 1983, se déroule chaque année durant la Pentecôte.
Ce record est tel que, pour la deuxième année consécutive, ses organisateurs ont dû clôturer prématurément les inscriptions pour des raisons logistiques et de sécurité. « Depuis une dizaine d’années, notre taux moyen de croissance annuelle est de 8 %. Il a atteint 12 % cette année. Nous anticipions une forte progression, mais nous n’aurions jamais imaginé devoir fermer les inscriptions un mois avant le départ. C’est désolant pour un pèlerinage missionnaire de devoir limiter le nombre de participants », regrette Jean de Tauriers, le président de Notre-Dame de Chrétienté.
Parti hier à la fraîche à l’issue d’une messe célébrée dans la forme ancienne du rite romain (couramment appelée « messe en latin »), le long cortège frappe par la jeunesse de ses participants dont la moyenne d’âge avoisine les 23 ans, ainsi que par la présence de nombreux prêtres, religieux et séminaristes, plus de 400 en tout.
Hérissé de milliers de bannières et de drapeaux, il arrivera demain à destination après avoir sillonné la vallée de Chevreuse et les plaines de la Beauce. Une centaine de kilomètres parcourus en son temps par Charles Péguy, qui contribua à raviver cette marche spirituelle d’origine médiévale, et dont les fondateurs du pèlerinage de Chrétienté revendiquent l’héritage.
« Leur idée initiale était de restaurer l’esprit de chrétienté en s’inspirant de Péguy, le chantre de la France chrétienne, et de créer un pèlerinage intergénérationnel, ouvert à tous, qui mette l’accent sur la formation spirituelle et doctrinale tout en préservant avec détermination la liturgie traditionnelle », analyse l’historien de l’Église, Yves Chiron, auteur d’une Histoire des traditionalistes (Taillandier, 2022).
Un programme qui a, dès sa création, déclenché les foudres d’une partie de l’épiscopat français. En 1983 et 1984, l’évêque de Chartres interdit aux pèlerins d’entrer dans la cathédrale. On ne prédisait pas alors un grand avenir à ce jeune pèlerinage. Plus récemment, l’adoption en juillet 2021 du décret Traditionis custodes par le pape François, qui limite de manière drastique la célébration de la messe traditionnelle, semble s’opposer aux principes sur lesquels l’identité du pèlerinage se fonde depuis ses origines.
Or il ressort des témoignages que nous avons recueillis que c’est précisément l’attachement à ces principes fondamentaux qui explique l’engouement des marcheurs pour ce pèlerinage.
« Je me rends au pèlerinage de Chartres pour sa dimension traditionnelle, témoigne Louis, 40 ans, venu de Bordeaux avec ses enfants. Depuis une quinzaine d’années, je viens y raffermir ma foi, prier, vivre une expérience forte en famille et partager des moments de joie et d’entraide avec d’autres chrétiens. On vit une expérience intégrale dont le cœur est la messe célébrée dans la forme extraordinaire. Cet aspect immuable et perpétuel attire. Dans une société où tout change, tout s’effondre, c’est un pilier. On sait que ça a fonctionné avant nous et que ça fonctionnera encore après nous. »
L’association Notre-Dame de Chrétienté estime que plus d’un tiers des pèlerins assistent indifféremment à la messe traditionnelle ou à celle dite « de Paul VI » et que 10 % ne vont jamais à la messe « tradi ». Maxime, 27 ans, fraîchement converti, confie : « Je viens au pèlerinage pour découvrir la liturgie traditionnelle, mais aussi rencontrer des prêtres, me confesser et prier la Sainte Vierge. »
Baptisé cette année à Pâques, Valentin, 18 ans, vient pour la troisième année consécutive. Issu d’un milieu athée, le jeune homme a entendu parler du pèlerinage de Chartres sur les réseaux sociaux. « J’étais à la recherche de mon identité et de mes racines, j’avais soif de beau et de sacré. Ce qui me fascine c’est l’adoration le dimanche soir : après 80 kilomètres de marche dans les jambes, toutes ces personnes qui prient agenouillées pendant une partie de la nuit alors qu’il reste encore une journée de marche ! »
Yves Chiron nous explique : « Il ne s’agit pas d’un pèlerinage de traditionalistes. C’est d’abord et avant tout un pèlerinage missionnaire. »
Mais s’ils repartent galvanisés par leurs trois jours de marche, certains pèlerins trouvent le retour dans leur paroisse parfois abrupt. « Dans certains endroits, la situation est compliquée pour les tradis, qu’ils soient prêtres ou laïcs, déplore Myriam, 32 ans, convertie sur la route de Chartres il y a cinq ans. Mon évêque a refusé de m’accorder l’autorisation de me marier dans l’ancien rite en s’appuyant sur le décret Traditionis custodes. »
Quelle place, dès lors, devrait être réservée aux traditionalistes dans l’Église de France ?
Le père Pierre Amar, prêtre du diocèse de Versailles, dans une tribune publiée dans le journal La Croix le 16 mai dernier constate : « Le traditionalisme tend à devenir un courant au sein de l’Église de France. Il devient même un lieu d’enracinement spirituel (parmi d’autres) qui participe désormais à la formation d’une bonne partie de la jeunesse catholique. Un pragmatisme réaliste oblige d’abord à l’accepter et à en prendre la mesure. » ■
Je suis d’accord pour participer à des pèlerinages qui permettent aux chrétiens que nous sommes de se rencontrer et d’affirmer notre foi.
Pour autant ne critiquons pas les rassemblements comme celui du FRAT qui s’est tenu ce dimanche à Jambville avec plus de 11 000 jeunes scouts et chrétiens de 4ème et 3éme et l’archevêque de Paris.