Entretien par
COMMENTAIRE – Cet entretien est paru dans le Figaro du 15 mai. Dans une réflexion de pure prospective électorale, objective, Arnaud Benedetti conclut pratiquement au caractère inéluctable d’une victoire du Rassemblement National en 2027. Nous lui laissons la responsabilité de cette prévision, d’ailleurs fort bien étayée dans cette intéressante analyse.
ENTRETIEN – En dressant un parallèle maladroit entre Marine Le Pen et le signataire des accords de Munich, Valérie Hayer, tête de liste de la majorité aux élections européennes, montre à la fois la tactique de son camp mais aussi sa méconnaissance de l’histoire, analyse Arnaud Benedetti.
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’université Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la « Revue politique et parlementaire ». Il a publié précédemment Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir (Éditions du Cerf, 2021).
« Face au collapsus démocratique qui guette, Emmanuel Macron s’abstient d’utiliser les ressources institutionnelles susceptibles de redonner de l’oxygène à la cité: le recours au peuple. »
ENTRETIEN – Dans son nouvel essai, le rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire évoque l’hypothèse de l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Encore inconcevable hier, ce scénario est désormais rendu possible par des dynamiques sociologiques et générationnelles, estime-t-il.
LE FIGARO. – Votre livre s’intitule Aux portes du pouvoir. RN, l’inéluctable victoire ? À trois ans de l’élection présidentielle, n’est-ce pas prématuré ?
Arnaud BENEDETTI. – Le point d’interrogation laisse la question ouverte mais ce qui m’a motivé dans ce livre, qui est tout à la fois une enquête et un essai d’analyse, c’est de confronter les acteurs aux données sociologiques. Confrontés à ces dernières, ils ont, de droite, de gauche, du centre, élus locaux ou nationaux, dirigeants d’hier ou d’aujourd’hui, tous considéré que si l’élection se tenait aujourd’hui Marine Le Pen serait élue. Une telle question posée il y a deux ans encore n’aurait en aucun cas conduit à une telle unanimité. Et ni un homme, ni des circonstances internes, encore moins des recompositions partisanes ne peuvent bloquer un processus aussi lourd.
Au second tour, le front républicain a jusqu’ici fait preuve de son efficacité…
Il s’est fortement émoussé lors de l’élection présidentielle de 2022 par rapport à celle de 2017. La marée montante du marinisme entre ces deux scrutins s’est considérablement amplifiée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2017 Marine Le Pen obtenait 33,9 % des voix quand elle en recueille plus de 41 % en 2022, soit un gain de plus de 2 millions de voix ; le vote ouvrier, des employés, des commerçants est désormais majoritaire pour le RN ; celui des professions intermédiaires est de l’ordre de plus de 40 %…
Les progressions territoriales opèrent partout tant dans les terres historiques favorables à l’ex-FN que dans des territoires plus à gauche comme le Sud-Ouest ou chrétiens-sociaux comme l’Ouest par exemple. Mais là où l’affaissement du « plafond de verre » est le plus significatif, c’est à l’occasion des élections législatives, dans un scrutin jusque-là considéré comme « couperet » pour le RN, et où celui-ci l’emporte dans 53 circonscriptions dans des configurations de duels, propices à la formation justement du « front républicain ». Il s’agit d’une rupture historique sur le plan électoral dont l’impact psycho-politique principal, au-delà du résultat, est d’installer l’idée que désormais le RN n’est plus structurellement empêché de l’emporter.
Vous écrivez que la victoire apparaissait inconcevable il y a peu encore. Qu’est-ce qui a changé ?
Le facteur accélérateur réside dans l’effet de génération qui est un levier démultiplicateur des tendances sociologiques. Les nouveaux entrants sur le marché électoral, les actifs, c’est-à-dire les forces montantes et productives se tournent de plus en plus vers le vote RN, alors que le socle de résistance à celui-ci se trouve plutôt du côté de ce que l’on appelle le « bloc central » dont le macronisme est l’emblème. Dans les escaliers du temps, ces électorats se croisent. La dynamique vitale est indéniablement du côté du parti de Marine Le Pen.
Quelques chiffres illustrent ce phénomène : si l’on prend la catégorie d’âge des 25-34 ans, lesquels n’étaient par exemple pas en âge de voter en 2002, plus de la moitié ont porté leurs suffrages pour Marine Le Pen en 2022 ; et le vote des actifs, majoritaires aussi pour cette dernière au second tour de la présidentielle, confirme cette indéniable motricité.
L’absence de Macron lors de la présidentielle ne risque-t-elle, cette fois, de pénaliser Le Pen ? Que pensez-vous de la volonté d’Emmanuel Macron de débattre une nouvelle fois avec Marine Le Pen ?
Le RN est en passe de s’installer comme la figure de l’alternance de rupture à laquelle un pays, fortement imprégné de l’idée que le politique peut changer les choses, est fortement attaché. Après des décennies de banalisation du politique, et de perception d’impuissance publique, le vrai clivage n’est plus tant entre la droite et la gauche qu’entre ceux qui indexent le politique sur la souveraineté populaire et ceux qui inscrivent leur action dans un horizon mondialisé. Ou pour le dire autrement entre souverainistes d’un côté et fédéralistes européens de l’autre. Et le clivage est d’autant plus pertinent que le camp présidentiel, à proportion que le second quinquennat avance, semble vouloir accélérer le calendrier du fédéralisme comme en atteste la volonté du président de la République de généraliser le vote à la majorité qualifiée au niveau de l’UE ou d’engager une réflexion à l’échelle européenne sur l’usage de notre force de dissuasion. D’où sans doute l’idée présidentielle de débattre avec Marine Le Pen dans le cadre de la consultation européenne afin d’une certaine façon de court-circuiter toutes les autres offres concurrentes et de souligner la dimension structurante de ce clivage.
Emmanuel Macron qui a dominé les deux débats précédents estime sans doute que l’argument moral ne portant plus, il faut aller la chercher sur le terrain de la crédibilité et de la connaissance technique des dossiers. Ce faisant, il prend le risque de renforcer la dimension référendaire anti-Macron du scrutin du 9 juin, tout en sous-estimant l’obsolescence des recettes qui ont fait son succès jusqu’à maintenant dans son combat contre Marine Le Pen. En descendant autant dans l’arène à l’occasion de cette élection, il se surexpose d’une telle manière que dans l’hypothèse d’un échec cuisant il en portera l’entière responsabilité.
À trois ans de la fin du mandat et sans majorité réelle à l’Assemblée nationale, cela ne sera pas sans conséquences pour la suite d’un quinquennat déjà fortement entravé.Arnaud Benedetti
Au-delà de la personnalité d’Emmanuel Macron, le succès du RN n’est-il pas la conséquence de l’échec du centre droit et du centre gauche depuis quatre décennies ? Vivons-nous une crise de régime ?
Nous ne vivons pas une crise institutionnelle car les institutions ont tout pour fonctionner. Nous vivons une crise des usages institutionnels. La crise systémique est celle du politique : crise sociale, crise économique, crise régalienne, crise du modèle républicain, etc. L’incapacité du politique à répondre à ces crises suscite un mésusage des institutions. Face au collapsus démocratique qui guette, Emmanuel Macron s’abstient d’utiliser les ressources institutionnelles susceptibles de redonner de l’oxygène à la cité : le recours au peuple.
Tout le problème de nombre d’acteurs mais aussi d’observateurs est qu’ils ne parviennent pas, ou ne le veulent par une forme de déni « autoprotecteur », saisir le caractère irréductible de ce qui se passe, préférant puiser dans le stock des expériences antérieures de ces quarante dernières années pour penser l’événement et les évolutions à venir. Or l’événement est justement tout entier dans la régularité sociologique et non dans la réitération permanente des combinaisons politiques tout autant passées qu’en voie d’épuisement. Les outils anti-RN n’ont plus réellement de prise sur les logiques d’opinion ; ils sont pour la plupart obsolescents. ■
J’ai constaté ( et je ne suis pas le seul) que le dit Front Républicain va perdre encore des électeurs. Chez les travailleurs beaucoup ont succombé à l’effet: Tout sauf Le Pen, et en remerciement ils vont devoir travailler DEUX ANS de plus, et donc comme le corbeau de la fable ne se laisseront plus prendre.
De plus le RN a un avantage ENORME: il n’a jamais participé à aucun gouvernement, donc pas responsable.
celà dit j’espère qu’il y aura alliance avec Reconquête, dont je suis plus proche