Par Pierre Builly.
Du Guesclin de Bernard de Latour (1949).
Légende dorée.
Voilà un film que j’aurais aimé aimer parce qu’il retrace – assez fidèlement, semble-t-il – la vie d’une des grandes figures héroïques de la geste française, un de ces modèles et exemples que l’on donnait jadis à l’admiration des écoliers, qu’on n’a pas ménagé les moyens et le budget et qu’on arrive, somme toute, à un exercice appliqué assez banal, sans souffle, sans ferveur, sans puissance.
Du Guesclin, c’était jadis avant tout un modèle, une image, l’incarnation, presque de ce qu’on aimait : un gamin de toute petite noblesse, grognon, rageur, colérique, brutal, un de ces roitelets des cours de récréation avec qui on pouvait s’identifier ; et un batailleur subtil, habile, déterminé qui était presque parvenu à faire gagner à la France la terrible guerre de Cent ans, sous l’égide d’un roi sage et prudent, Charles V, dont l’enceinte fortifiée est encore visible dans de nombreux paysages de Paris. C’était donc quelqu’un qui n’avait rien de romanesque, mais qui, en anticipateur de ce miracle que fut Jeanne d’Arc, donnait l’impression d’être profondément conforme à ce que nous pensions être la France : un pays plutôt extraordinaire, en rien semblable à tout le reste du monde.
Je ne dis pas que le film ne va pas dans ce sens ; mais il est lourd, lent, pesant, banal, dépourvu d’émotion, trop appliqué et corseté pour émouvoir, moins encore pour enthousiasmer. C’est très académique, aussi caparaçonné que pouvaient l’être les destriers du 14ème siècle et aussi lourd qu’étaient les cuirasses.
J’ai écrit que le film était fidèle à ce que l’on sait de la vie de ce petit seigneur breton qui devint Connétable de France et dont la rançon fut payée deux fois par une sorte d’effort gigantesque du pays ; sans doute l’est-il pour les épisodes politiques et militaires de la vie de Du Guesclin ; mais Bernard de Latour, dont c’est, semble-t-il la seule réalisation, induit aussi une histoire amoureuse nullement attestée et une amitié virile et grognonne avec une sorte de faire-valoir, Jagu, incarné par le tonitruant Noël Roquevert, qu’on a vu (L’assassin habite au 21) et verra (Un singe en hiver) bien meilleur à l’écran.
On s’ennuie vraiment beaucoup, la plupart des séquences étant hiératiques et guindées ; une assez jolie exception, la présentation des horreurs commises par les capitaines des Grandes compagnies, ces bandes de soudards épouvantables qui, dans la grande misère du Royaume de France mettaient notre pays en coupe réglée : diverses tortures, énucléations, viols, arrachages de dents, enfermements de nourrissons avec des chats furieux dans des sacs jetés ensuite à la rivière… cette sauvagerie surprend dans un film bien trop sage.
Selon Philippe d’Hugues, historien du cinéma qui détaille le film dans un des suppléments du DVD, Fernand Gravey était, en 1948, date du tournage, une immense vedette ; voire ! Moi qui ne me le rappelle qu’en gandin, arsouille et séducteur à tempes grises (dans La ronde, Courte tête, Les petits matins), ce rôle de bougon brutal voué à la sauvegarde de la France ne m’a pas tellement convaincu de la qualité de son jeu, d’autant que son extraordinaire coupe au bol est tout de même un peu singulière.
Ne reste pas grand chose, finalement. Sinon l’idée un peu sarcastique et assez drôle qu’en 1948, après avoir déversé sa bile sur l’Ennemi héréditaire, le Boche, la France venait asticoter le deuxième ennemi héréditaire, le Goddon. Et ça, c’est rigolo. ■
DVD d’occasion autour de 50€, ce qui ne vaut pas la peine.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Rigueur et précision du chirurgien. Pierre dissèque avec finesse ce film… N’en reste pas moins la carrure du petit breton. Merci Pierre