« Drieu croit encore (l’époque s’y prête) à l’action individuelle salvatrice, à l’homme providentiel, »
Par Richard de Seze.
Aux adeptes du soupçon qui pensent que tout méchant est corrompu dès sa conception (je veux parler des écrivains “fascistes”, comme dirait un vertueux communiste), la lecture de ces lettres ouvertes aux surréalistes, écrites par Drieu, sera un grand déplaisir.
D’abord, elles rappellent à quel point Drieu et Aragon s’appréciaient (et comment douter de la lumineuse et pénétrante intelligence d’Aragon ?). Ensuite, elles révèlent un Drieu « dadaction française », selon l’heureuse formule du préfacier, qui fut au bord du surréalisme, dont l’absolutisme le charmait. Il est vrai qu’alors ni Breton, ni Aragon ni Éluard ne s’étaient asservies au communisme… Mais pourquoi n’adhéra-t-il pas ? Parce qu’il pressentit que les surréalistes allaient verser dans la littérature et non pas dans l’action. À ce point incandescent de l’histoire européenne, Drieu croit encore (l’époque s’y prête) à l’action individuelle salvatrice, à l’homme providentiel, pour ainsi dire, qui, se dévouant à s’accomplir, accomplit tout pour les autres ; et il ne croit pas que le communisme puisse servir autre chose qu’un triste projet collectif (« le surréalisme, c’était la révélation, ce n’était pas la révolution »), lucidité dont les surréalistes se privèrent très consciemment, avec l’instinct des prébendes assurées et le goût du tumulte, qui amuse et n’engage à rien. Les trois textes de Drieu (bien servis par un bel appareil critique et une très utile chronologie sur Drieu et les surréalistes), surtout la Troisième lettre aux surréalistes sur l’amitié et la solitude (juillet 1927), sont des essais qui démontent minutieusement la pose surréaliste, sans parvenir, bien évidemment, à établir une position artistique et politique qui soit autre chose que l’exhibition honnête et hallucinée d’une âme tourmentée, celle de Drieu, manière de surhomme renâclant à l’idée d’être seul mais refusant la médiocrité de ceux qui s’installent dans le groupe pour s’y ménager une bauge douillette (« Je ne vous pardonnerai jamais d’avoir écrit : “nous nous engageons à la violence”, et d’être encore, deux ans après, non seulement en vie, mais responsables tout juste de deux ou trois coups de canne. »). On connaît la fin. Aragon répondit à ces lettres, dans la NRF, en 1925 : « Tu t’en vas, tu t’effaces. Il n’y a plus personne au lointain, et, tu l’as bien voulu, ombre, va-t’en, adieu. » Mais Drieu revient. ■ RICHARD DE SEZE
Pierre Drieu la Rochelle, Trois lettres aux surréalistes. Gallimard, 2024, 154 p., 17,50 €.
Article précédemment paru dans Politique magazine.