PAR PÉRONCEL-HUGOZ.
Rabat, 5 février 2011.
Le gouvernement marocain reparle des « villes sans bidonvilles « . Selon le ministre chérifien de l’Habitat, il ne reste plus que 43 villes avec bidonvilles sur les 85 dans ce cas, listées en 2003, soit, alors 5 millions de bidonvillois (sur 30 millions d’habitants) répartis dans 1000 karyane (nom en francarabe marocain, dérivé de Carrières-Centrales, à Casa, où serait apparu, sous le Protectorat, le premier habitat de ce type, baptisé par les Français « Bidonville », voulu alors comme un nom propre, vite transformé en nom commun devant la prolifération de ces quartiers de planches et de tôles). (Photo ci-dessous).
Sitôt l’indépendance retrouvée, Mohamed V fit venir en consultation l’abbé Pierre, héraut des mal-logés français de l’époque. L’abbé au béret repartit sidéré par l’ampleur de la tâche et sans donner de recette miracle…
Sous Hassan II, Maxime Rousselle (Photo à gauche), un médecin du bled, totalement dévoué depuis des décennies à ses patients de l’Atlas – son livre Toubib du bled, préfacé par Michel Jobert, auto-édité en France en 1990 est un chef-d’œuvre de vraie littérature humaniste (Photo ci-dessous) —, fut en 1959 bombardé directeur de l’Hygiène à Rabat, par Sa Majesté chérifienne.
Il s’attaqua aussitôt aux bidonvilles et pondit un rapport révolutionnaire qui resta quasi lettre morte mais me paraît plus que jamais d’actualité et qu’on peut résumer ainsi : il ne faut pas détruire les karyanes mais les aménager en douceur avec l’accord des habitants qui aiment leurs cabanes, y sont souvent nés, y ont leurs habitudes, leurs commodités, leurs métiers et ne veulent pas s’exiler dans des banlieues lointaines dont les loyers, même « modestes » sont encore trop chers pour leurs revenus.
Rousselle, qui resta à son poste jusqu’en 1975, préconisait donc que le Makhzen – l’Etat marocain – viabilise, draine, assainisse peu à peu les parties communes des bidonvilles, laissant les résidents améliorer eux-mêmes leur habitat personnel. (Photo à gauche). Le peu que ce brave médecin des pauvres réussit à appliquer de sa théorie déclencha bien sûr l’enthousiasme des bidonvillois.
Hélas, sous les injonctions comminatoires des organisations internationales, de l’Europe, des associations tiers-mondistes étrangères, c’est tout le contraire qu’on a fait ensuite et qu’on continue à faire : « Eradiquer l’habitat précaire » à grands frais au lieu de l’améliorer, le transformer, l’humaniser à moindres frais … (…) Ci-contre : nouvel habitat.
NOTA BENE du 8 mars 2024
Le docteur Rousselle n’a hélas pas été écouté par le gouvernement marocain mais, depuis 2010, il y a eu tellement de nouveaux HLM construits à la place des bidonvilles détruits que, pour la première fois, de son histoire, le Maroc a vu vraiment diminuer l’habitat précaire. (Ci-contre : Mohamed VI inaugure les nouveaux programmes). Les bénéficiaires de cette nouvelle situation sont-ils satisfaits ? Il faudra attendre des écoutes de terrain sérieuses pour pouvoir répondre à cette question capitale. ■