Cette chronique qui se veut ironique – et qui l’est, fourmillant d’idées saugrenues et drôles, qui ont presque toujours un sens plus sérieux – est parue dans Le Figaro de ce lundi 24 juin. Samuel Fitoussi fait montre d’ironie rafraichissante et d’un sens politique – y compris des ridicules du « politique » démocratique – qui n’est pas mince. Nous la livrons au lecteur de JSF pour qu’il en fasse la critique, si bon lui semble. Bonne lecture !
CHRONIQUE. Chaque semaine, pour LeFigaro, Samuel Fitoussi pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il se livre à un exercice de politique-fiction : imaginer le soir des élections du 7 juillet, et les prémices de l’alliance François Hollande – Xavier Bertrand.
Dimanche 7 juillet, 20 heures. La sentence tombe. Le RN et ses alliés obtiennent une majorité relative avec un total de 260 députés ; le Front populaire décroche 180 sièges ; le bloc central, 120. Sur les plateaux télé, les commentateurs se succèdent, et avec eux, l’enthousiasme, la sidération, la colère, la peur. Les présentateurs, sonnés, laissent planer les silences (Anne-Sophie Lapix laisse même parler ses invités sans les interrompre). Chacun a conscience de vivre un moment historique (la libération pour les uns, le début de l’occupation pour les autres). Sur TF1, Rachida Dati accuse Ciotti d’avoir trahi son parti ; elle-même n’aurait jamais fait cela. David Lisnard déplore l’absence de proposition libérale en France, invoquant Hayek, Schumpeter et Bastiat ; il perd légèrement Bruce Toussaint. Sur BFMTV, Xavier Bertrand se réjouit du fait que, dans sa circonscription, le candidat marxiste du Nouveau Parti anticapitaliste – qui souhaite abolir la propriété privée et supprimer la police – ait battu celui du RN. Lucide, Xavier Bertrand sait hiérarchiser les dangers. Les Républicains n’ont d’ailleurs décroché que dix-sept sièges, mais au moins, ils n’ont pas frayé avec les extrêmes, et seront en pole position pour incarner l’alternance en 2027 : les Français les attendent, ils en sont convaincus. Et si ce n’est pas 2027, eh bien ce sera 2032, 2037, ou au pire, 2047. Tout vient à point à qui sait attendre.
20 h 15. Sur le service public, la gauche et l’extrême gauche appellent à contester le résultat des urnes pour sauver la démocratie. (Paradoxalement, le seul parti présenté comme un « danger pour la démocratie » est celui dont les oppositions refusent l’accès démocratique au pouvoir). Dans son QG, Jean-Luc Mélenchon commence à comprendre qu’il ne sera jamais premier ministre. Il se lance dans une violente diatribe contre les responsables de sa défaite : Serge Klarsfeld et Enrico Macias.
20 h 30. Sur LCI, des figures de l’ex-majorité présidentielle expriment un timide mea-culpa. Plutôt que de traiter les électeurs du RN de racistes, explique Éric Dupond-Moretti, nous aurions dû manifester davantage de pédagogie, leur expliquer en quoi l’immigration est une richesse, une force, une chance pour notre pays. En somme, nous n’aurions pas dû prendre les électeurs du RN pour des fachos, mais plutôt pour des idiots. Certains députés sortants, membres de l’aile droite de la macronie, s’interrogent : pouvons-nous déplorer le clientélisme de l’extrême gauche – stratégie dont on s’aperçoit qu’elle fonctionne – alors que c’est en partie nous qui avons laissé s’installer en France la clientèle ? Quant à notre ligne, n’a-t-elle pas manqué de clarté, notre projet de lisibilité ? Était-il par exemple judicieux de nommer successivement Jean-Michel Blanquer, Pap Ndiaye, Gabriel Attal et Nicole Belloubet à l’Éducation nationale ? De fermer Fessenheim avant d’annoncer relancer le nucléaire ? De faire campagne sans programme, avec comme unique argument celui d’être la moins mauvaise option, comme unique horizon celui de gérer tranquillement le déclin du pays ? Hors des plateaux, les ténors de la majorité multiplient les coups de téléphone – tantôt à des entreprises privées, tantôt au Front populaire, tantôt au RN – pour se trouver un point de chute. Ils le pressentent : le macronisme était pour eux une parenthèse enchantée, mais, en raison des dynamiques idéologiques et démographiques présentes, nous nous trouvons sans doute au commencement de plusieurs décennies d’affrontement du bloc nationaliste et du bloc islamo-gauchiste.
21 heures. Deux questions sont sur toutes les lèvres : Jordan Bardella ira-t-il à Matignon avec une majorité relative ? Une coalition majoritaire peut-elle se dégager ? En coulisses, les dix-sept députés LR sont courtisés à la fois par le RN (ensemble, ils auraient – de justesse – une majorité à l’Assemblée et pourraient gouverner) et par le bloc central, allié au Front populaire, qui souhaite former un gouvernement d’union nationale – allant de Philippe Poutou à Laurent Wauquiez – contre le RN. Les Républicains sont tiraillés. Jamais un groupe parlementaire aussi petit n’aura eu à jouer un rôle aussi décisif. L’accord avec la gauche semble avoir la faveur des ténors du parti. Certes, l’extrême gauche est aujourd’hui antisémite, concède Xavier Bertrand, mais le RN – c’est bien plus grave – l’était dans le passé. Certes, le RN ne semble plus d’extrême droite alors que La France insoumise – par sa complaisance envers le conservatisme islamiste, sa fascination pour la violence, sa haine réactionnaire de nos sociétés – l’est, reconnaît Valérie Pécresse, mais, qui sait, Marine Le Pen cache peut-être son jeu.
22 heures. Gérard Larcher menace de s’immoler par le feu en cas d’accord avec le RN. LR intègre donc une grande coalition pour faire obstacle à la haine avec LFI. François Hollande est nommé à Matignon, Mathilde Panot aux Affaires étrangères, Thomas Piketty à l’économie, Aymeric Caron aux relations avec le Hamas. Première mesure du gouvernement : la réécriture en écriture inclusive des 80 milliards de pages de documents administratifs du pays. ■ SAMUEL FITOUSSI
Quel délice ! Et la dernière ligne !!!