Cet entretien est paru dans Le Figaro de ce mercredi 26 juin et Jérôme Jaffré est un politologue avisé, objectif et, généralement lucide. Depuis déjà un certain temps, le « dégagisme » nous semble devenu un puissant moteur au cœur des réactions de l’opinion. Il s’est appliqué entre autres à François Hollande et aujourd’hui à Emmanuel Macron avec une force inédite, équivalente à une sommation d’avoir à quitter le pouvoir sans délai. Jérôme Jaffé constate la dynamique du RN. Telle qu’elle pourrait le porter au gouvernement du pays. Nous livrons cette analyse avisée sans plus de commentaire à la réflexion des lecteurs de ce quotidien.
ENTRETIEN – À la veille des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet prochains, le politologue décrypte les raisons de l’échec programmé des macronistes.
Ancien vice-président de l’institut Sofres, Jérôme Jaffré est directeur du Cecop (Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique) et chercheur associé au Cevipof.
Jérôme JAFFRÉ. – Beaucoup d’électeurs se montrent inquiets. L’opinion est à la fois caractérisée par l’impopularité profonde d’Emmanuel Macron et par une absence de crédibilité des trois blocs en lice. Aucun de leurs programmes ne la convainc : le RN et le Nouveau Front populaire avec trop de promesses ou de dépenses, quand celles des sortants sont affaiblies par leur usure.Aucun des trois blocs ne bénéficiant d’alliés, cela enferme le vote des Français dans une hiérarchie de choix négatifs. Or, ce n’est pas l’essence de la démocratie qui voudrait qu’on choisisse en fonction de ses préférences et non de ses rejets. Les sondages montrent la probabilité d’une sanction du pouvoir au premier tour et du choix du moins mauvais au second. Au lieu de résoudre la crise politique, la dissolution pourrait bien la renforcer durablement.
Est-ce l’échec programmé pour les macronistes ?
En étant autour de 20 %, il y a tout de même une remontée par rapport au score des européennes. Le vote macroniste paraît profiter d’un retour en sa faveur de la bourgeoisie. Mais restent à son égard une hostilité viscérale de l’électorat populaire et une déperdition de ses électeurs de 2022. Selon l’Ifop, seulement 58 % des électeurs macronistes du premier tour de 2022 veulent revoter pour un candidat Ensemble pour la République. Manque une vraie entente de premier tour avec Les Républicains non ciottistes. Car ce qui s’annonce, c’est un tremblement de terre, avec des dizaines d’élus du RN dès le premier tour, une élimination massive des candidats macronistes – y compris des députés sortants – ou au mieux une qualification en troisième place synonyme d’échec. Pour le second tour, une majorité de duels entre le RN et la gauche.
Dans ce contexte, la gauche peut-elle gagner ?
L’union de la gauche était une évidence avec l’addition de valeurs et de l’intérêt : la lutte contre l’extrême droite et la capacité de se qualifier pour les seconds tours. Il est stupéfiant que cela n’ait pas été anticipé. Néanmoins, la gauche n’a pas réuni les conditions d’une victoire, en présentant un programme maximaliste sur le plan fiscal, radical sur les institutions et éloigné de son ancrage proeuropéen. Ce Front est bien peu populaire puisque seulement un ouvrier sur cinq s’apprête à lui donner son suffrage – soit le score le plus bas de toute l’histoire de la gauche. En outre, il s’est laissé enfermer dans la querelle du premier ministre attisée par Jean-Luc Mélenchon. L’objectif final semble se limiter à devenir la principale force d’opposition face à un RN victorieux pour s’installer ensuite comme la force d’alternance.
Le RN a-t-il réussi son élargissement électoral et politique ?
De toute évidence, oui. Le RN a réussi à maintenir ses fondamentaux ainsi que son ancrage populaire : environ 60 % des ouvriers veulent voter pour lui. Il y a clairement une dimension de revanche sociale dans ce choix – il est de la sorte erroné d’en faire l’équivalent de l’électorat Sarkozy de 2007. Le vote RN fait aussi la jonction avec une partie importante de l’électorat classique de la droite. Le RN a désormais des chances réelles d’obtenir une majorité absolue de sièges à l’issue du second tour, même avec 35 % des voix au premier. Il pourrait bénéficier de l’effet repoussoir d’une gauche toujours dominée par LFI. Il y aurait d’ailleurs une forme d’équivalence avec le succès gaulliste de 1962. À l’époque, celui-ci avait recueilli 35 % des voix au premier tour et une majorité absolue de sièges au second en bénéficiant de l’anticommunisme d’alors.
À quelle configuration faut-il s’attendre au second tour ?
Quelques inconnues demeurent : en cas de triangulaire, le maintien ou non du candidat arrivé en troisième position. Les macronistes décideront-ils le retrait de leur candidat – sauf si celui-ci devait bénéficier à LFI ? S’ils s’effacent en faveur d’un candidat socialiste ou écologiste et bien sûr LR, ce serait une façon de préparer un bloc républicain rénové. Et sinon, les électeurs s’en chargeront-ils eux-mêmes à l’égard de LFI ? Enfin, en cas de duel Nouveau Front populaire vs Ensemble pour la République, les électeurs RN donneront-ils la priorité à leur antimacronisme ou à leur intérêt de diminuer le nombre d’élus de gauche ?
À quoi ressemblerait la cohabitation Macron/Bardella ?
Emmanuel Macron serait d’abord vilipendé pour avoir dissous au pire moment, pour avoir trucidé la grande majorité de ses propres députés et pour avoir livré le pouvoir au RN. Mais il retrouverait illico un rôle politique majeur. En tenant bon à l’Élysée sans démissionner évitant les précédents Mac Mahon (1879) et Millerand (1924). En conservant sa fonction symbolique et d’expression publique pour tenir le compte des échecs et des contradictions du RN au pouvoir. Enfin, il pourrait aider à l’émergence d’un bloc central rénové en 2027 et même à la mise sur orbite de son candidat. Il redeviendrait ainsi un point d’appui pour tous ceux qui ne veulent pas d’une installation durable du RN aux manettes du pays. ■
Avec le FP se sera l’union soviétique vous pouvez en être certains!!!!!
N’excluez pas une alliance NFP et Macronistes en fonction du nombre d’élus. Un tel pouvoir otage des « Insoumis » n’aura pas vocation à durer mais éviterai des troubles majeurs.