Par Pascal Praud.
C’est un article de journaliste, que nous avons trouvé plutôt bien écrit, vigoureux, avec un net talent d’exposition. Il n’évite pas les mots anglais. Il ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà. Il restitue surtout une atmosphère. Celle un peu étrange qui, quoique elle existait déjà avant, a suivi la cuisante défaite d’Emmanuel Macron aux européennes et sa décision immédiate, inattendue, celle-là, de dissoudre l’Assemblée Nationale. Article d’atmosphère, donc. avec cette dose d’ambiguïté qui tient à tout ce qui touche a celui qui l’a déclenchée…
« À 47 ans, il est à terre. Pour la première fois de sa vie. « J’ai eu mal. » »
Emmanuel Macron pense que la parole guérit tout. Il se trompe. Quand un drame effroyable surgit à Courbevoie, qu’une enfant est agressée et violée parce qu’elle est juive, le président de la République convoque tous les élèves de France pour que soit percé le furoncle de l’antisémitisme. Je pense aux professeurs de collèges et de lycées qui ont appris que le remède passait par « un échange » d’une heure sur un fléau qui traverse les siècles depuis deux mille ans. Je leur dis courage !
Le président court aujourd’hui après les enseignants. Il avait refusé de marcher contre l’antisémitisme avec les manifestants. Ils ont défilé sans lui le 12 novembre.
Emmanuel Macron parle aux Français comme jadis les rois capétiens touchaient les malades. Avec la certitude qu’ils iront mieux. Aux Gilets jaunes, il a parlé. Aux agriculteurs, il a parlé. À Vladimir Poutine, il a parlé. À Israël, il a parlé. Avec quel résultat ? Son brio a fait illusion. A-t-il éteint les colères ? A-t-il obtenu quoi que ce soit ?
Emmanuel Macron arrive au bout de son aventure. La parole ne suffit pas. Le charme est rompu. Après sept ans de présidence, il faut nous rendre à l’évidence. Le président est trop petit pour un destin trop grand. Emmanuel Macron n’a pas le tempérament pour diriger la France. Je dis le tempérament, je pourrais dire les épaules, les nerfs ou la carrure. Il est une facétie de l’histoire. Il n’était pas programmé pour le poste. Un concours de circonstances a changé l’élection présidentielle en 2017. Sa réélection en 2022 fut une énième réplique du séisme qui a chamboulé la droite et la gauche. Emmanuel Macron glisse vers la sortie.
Burn-out
« J’ai eu mal », a avoué Emmanuel Macron devant les caméras quand il a commenté la gifle électorale. « J’ai eu mal », drôle de phrase dans la bouche d’un président. Il a dissous l’Assemblée nationale parce que les Français lui ont dit « non ». L’enfant chéri des médias, le chouchou des décideurs, l’élu des fées n’a pas compris. Il fut élu à l’Élysée à sa première tentative. Il fut réélu le premier hors période de cohabitation. À 15 ans, il montait sur les planches et embarquait son professeur dans une épopée romantique. À 47 ans, il est à terre. Pour la première fois de sa vie. « J’ai eu mal. »
Lorsque les dieux grecs voulaient punir un simple mortel, ils lui donnaient tout. Puis ils lui reprenaient tout. L’ancien lycéen de La Providence à Amiens raconte l’itinéraire d’un enfant gâté par la vie qu’un fantasme de puissance a envahi et, qui sait, a détruit. Comment pourrait-il en être autrement quand le 36 sort à chaque tour de roulette ? Le gamin contrarié « a tué la majorité présidentielle », selon Édouard Philippe. Il a cassé son jouet. Il a fait un caprice. Les Français ont peur. Ils cherchent à comprendre.
« L’effort pour imaginer ce qui diffère de soi », écrit Marcel Proust. « Dans la tête d’Emmanuel Macron » est devenu le thème de toutes les conversations. Qui est-il ? Ou plutôt qui sont-ils ? Ne seraient-ils pas plusieurs ? Emmanuel Macron cannibalise l’espace. Il vole à chacun la vedette. Quand Kylian Mbappé perd un match, le président accourt et entre dans une lumière qui n’est pas la sienne. Il se place au centre de tout. Idem le dimanche 9 juin. Il a changé le récit. J’entends les commentaires. Le président est fou. Le président est dangereux. Le président est usé. Le président est insomniaque. Il envoie des SMS au cœur de la nuit. Il risque le burn-out. « Un président, ça dort ! »lui aurait conseillé un visiteur du soir qui ne voulait pas passer des heures à refaire le monde.
Et l’article 16 ? Et si Emmanuel Macron demandait les pleins pouvoirs au lendemain du 7 juillet comme la Constitution le permet ? De quoi est capable ce maître du palais qui a craqué des allumettes après avoir allumé le gaz ? De Nicolas Sarkozy à Lionel Jospin, de ses amis à ses ennemis, du Figaro à Libération, de Lille à Marseille, je n’ai entendu aucune voix défendre cette idée folle : renvoyer les Français dans l’isoloir à vingt jours des Jeux olympiques. Rien ne justifiait pareille précipitation. La raison commandait d’attendre l’automne. Alors pourquoi ici et maintenant ? Malheur au pays dont le prince est un enfant.
Le gâchis
Je n’ai jamais ressenti pour la France ce que je ressens aujourd’hui, cette impression de gâchis qui anime une colère et produit une tristesse.
La séquence présente un avantage : les masques tombent ! Dominique de Villepin appelle à voter Front populaire. Éric Ciotti a fait scission. François Hollande vote avec Philippe Poutou. Jean-Pierre Raffarin refuse de choisir entre Bardella et Mélenchon. Chacun choisit son camp. Macronistes sans collier, droite sans union, gauchistes sans culotte. Les masquent tombent, vous dis-je.
La France traverse les époques le plus souvent sans heurts ni violence, fière du passé qu’elle a reçu et heureuse de l’histoire qu’elle écrit. Derrière cette harmonie, la mutinerie n’est jamais loin. La haine attend son moment. Ce fut la Terreur en 1793, les journées révolutionnaires de 1848 ou l’épuration en 1945. Chacun a vu ces images, quand les résistants de la dernière heure tondaient des femmes françaises sans procès ni jugement. Les médiocres prennent leur revanche. Ils restent confinés à la cave par temps calme. Ils plastronnent sur l’échafaud par temps trouble. Les ratés ne vous rateront pas.
Hier, le Comité de salut public de l’An II ; aujourd’hui le Nouveau Front populaire. Michel Onfray a noté que les enragés qui ont voté la mort de Louis XVI avaient tenté l’un, une carrière d’écrivain, l’autre d’avocat, le troisième de diplomate, et que tous avaient lamentablement échoué. Robespierre écrivait des poèmes que personne ne lisait. Hébert poinçonnait les tickets dans un théâtre. Leur salut était venu du tumulte. Mélenchon, Faure, Panot, Binet et consorts rêvent du Grand Soir. Nous en sommes là.
Ces deux France, la bonne et la mauvaise, cohabitent depuis mille ans. Elles se regardent en chiens de faïence. La mauvaise prend le pas sur la bonne quand le souverain passe du côté obscur de la force. Emmanuel Macron a ouvert une boîte de Pandore. Nul ne sait comment tout cela se terminera, mais chacun frémit à l’idée que le pire soit possible. « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » J’ai découvert cette semaine cette promesse de Hölderlin. J’y ai vu un signe. Je ne voulais pas vous laisser ce dimanche sans espoir… ■
Pendant ce temps, Frau von der Leyen semble en mesure de garder son trône (ce mot pris dans un deuxième sens, très prosaïque). Journalisme de la défausse, bavardages irresponsables, impuissance, querelles de minus, dénis de réalité. L’élection européenne n’aura servi à rien qu’à livrer un peu plus la France à ses démons. On avait pourtant l’occasion d’amorcer un changement. Vogue la nef des fous ! Vers quel abîme ?