De l’annonce surprise de la dissolution à la stratégie du « ni-ni » pour les législatives, comment Emmanuel Macron a « tout fait exploser », jusque dans son camp.
Par Margaux Dugu et, Clément Parrot – avec Julien Nény, France Télévisions.
On passera sur les éventuels commentaires politiciens ou partisans. On retiendra surtout l’extravagance du récit, celle d’Emmanuel Macron, celle des hommes du Système, de la République, fût-elle la Ve, jadis fondée par Charles De Gaulle !
« Macron est détesté à un point… Il faut qu’il retourne dans son château et qu’il ne nous emmerde plus ! » Un candidat de la majorité à franceinfo
Après la large victoire du RN aux élections européennes, le président de la République a fait le choix de dissoudre l’Assemblée nationale, suscitant colère et inquiétude dans son camp. Franceinfo vous raconte la douloureuse campagne d’Emmanuel Macron.
« Au QG, ils sont en panique » , souffle un membre de la campagne à quelques jours du premier tour, le dimanche 30 juin, des élections législatives anticipées. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, prononcée par Emmanuel Macron en réaction à la déroute de son camp aux européennes, les soutiens du président mènent une campagne avec un vent de face. Au lendemain du scrutin du 9 juin, l’annonce du président de la République avait provoqué une onde de choc dans les rangs de la majorité. Depuis, le chef de l’Etat, réceptacle de la colère, ne cesse de se justifier de sa décision, dont seul un cercle restreint avait été informé.
Il n’est pas encore 20 heures, dimanche 9 juin, quand l’Elysée fait savoir qu’Emmanuel Macron prendra la parole pour s’exprimer sur le résultat des élections européennes. Les rumeurs vont bon train en macronie. L’annonce d’une dissolution flotte dans l’air. A la Maison de la Mutualité à Paris, lieu réservé par Renaissance pour suivre les résultats, ministres et eurodéputés se mettent à la recherche d’un poste de télévision pour écouter le président de la République. Et afin de fuir caméras et journalistes, empruntent deux monte-charges. « Il y avait la moitié des membres du gouvernement et de l’équipe de campagne entassés dans des ascenseurs de service », sourit un cadre du parti. Au fil des minutes, le Premier ministre met au parfum certains de ses proches qui sont au gouvernement. « Il a appelé ma ministre trente minutes avant l’annonce, j’ai vu son visage se fermer » , raconte un conseiller ministériel.
Une heure auparavant, à l’Elysée, l’ambiance – immortalisée par la photographe officielle d’Emmanuel Macron – est crépusculaire. Autour de la table, Gabriel Attal, le visage fermé, entouré de cadres de la majorité, écoute le président de la République leur annoncer son intention de dissoudre l’Assemblée nationale. Le chef du gouvernement l’a appris de la bouche du chef de l’Etat lors d’un tête-à-tête peu de temps auparavant. Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale sortante, n’est informée, elle, qu’au cours de cette réunion. « C’est un moment très brutal », soupire-t-elle encore, deux semaines plus tard, au micro de TF1. Elle demande à Emmanuel Macron une entrevue, d’ailleurs prévue par la Constitution, espérant le faire changer d’avis. « Trop tard », constate-t-elle, amère.
« Il ne supporte pas d’être empêché »
Laurent Hénart, présent lui aussi autour de la table, reçoit d’abord « la nouvelle avec surprise ». Le chef du Parti radical, mouvement associé au camp présidentiel, comprend finalement la logique du président : « Soit on ne fait rien, soit on remanie, mais ça n’a pas eu d’effet électoral, ou alors il reste la dissolution. » Mais d’autres sont beaucoup plus sceptiques et mettent en garde le chef de l’Etat. « La dissolution de convenance conduit à une crise de régime », lâche Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances, lui aussi présent à cette réunion.
Les proches d’Emmanuel Macron ne sont, au contraire, pas étonnés. « C’est un président qui ne supporte pas d’être empêché, avec deux blocs qui refusent tout compromis. Et puis il savait qu’en septembre, une motion de censure avait toutes les chances de passer », assure l’un d’eux.
A 20h10, c’est Gérard Larcher, le président LR du Sénat, qui reçoit un coup de téléphone d’Emmanuel Macron, comme l’exige là encore la loi fondamentale. La conversation dure « une minute trente », selon ses dires. « Il me dit : ‘J’ai décidé de dissoudre.’ Je n’appelle pas ça une consultation mais une information' », a-t-il raconté au Parisien.
Cinquante minutes plus tard, le visage d’Emmanuel Macron apparaît sur les télés. « J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale. » Le chef de l’Etat cible le score du RN, « un danger pour notre nation, pour notre Europe, pour la place de la France en Europe et dans le monde », et appelle les Français à « choisir d’écrire l’histoire plutôt que de la subir ».
A la Mutualité, les cadres, déjà tous au courant, s’éparpillent rapidement. Les députés de la majorité, eux, sont sous le choc. « Je suis totalement abasourdi », glisse le député Renaissance sortant Ludovic Mendes. « Personne ne comprend comment réinstaller un récit en trois semaines », se lamente un macroniste. Emmanuel Macron a opté pour le délai le plus court prévu par la Constitution : les législatives anticipées se tiendront les 30 juin et 7 juillet. Les parlementaires, congédiés en quelques secondes, se ruent alors dans leur circonscription pour organiser une campagne éclair.
En interne, les attaques se concentrent d’abord sur l’entourage du chef de l’Etat. Dans la presse fleurissent des récits sur le rôle d’une petite bande de conseillers, dont le conseiller mémoire, Bruno Roger-Petit, et l’ancien sénateur LR Pierre Charon, qui se targuent d’avoir soufflé l’idée de la dissolution. « Les parquets des ministères et des palais de la République sont pleins de cloportes, fustige Bruno Le Maire sur TV5 Monde le 18 juin. Ils sont dans les parquets, dans les rainures du parquet, il est très difficile de s’en débarrasser. »
« Macron ? Human bomb, vous voulez dire »
Mais la figure d’Emmanuel Macron est aussi très vite ciblée dans le camp présidentiel. « Macron ? Human bomb, vous voulez dire », cingle ainsi une ministre. Deux jours après la dissolution, le 11 juin, François Bayrou estime ainsi qu’il faut « démacroniser la campagne » lors d’une réunion à l’Elysée, en présence notamment d’Edouard Philippe et du président de la République. Dès le lendemain, pourtant, le chef de l’Etat organise une conférence de presse lors de laquelle il détaille pendant 90 minutes ses axes de campagne et tente de justifier la dissolution. Le premier personnage de l’Etat ne voit pas monter la frustration dans son propre camp. « Je n’écoute pas le président, je suis en campagne », lance au même moment, sur un marché parisien, un député Renaissance sortant.
Pour ne pas être contaminé par le rejet, l’écrasante majorité des candidats du camp présidentiel choisit de ne pas afficher la photo du chef de l’Etat sur leurs tracts, voire ne mentionnent pas leur étiquette sur leurs affiches. « Je ne me cache pas derrière mon petit doigt, je suis centriste », répond ainsi Hadrien Ghomi, député sortant Renaissance de Seine-et-Marne, quand des électeurs lui demandent quel est son parti politique. « Aucun candidat n’a sa bobine sur les affiches, il faut peut-être se poser des questions, non ? », souffle un membre de la campagne.
« Les candidats se trompent, ce n’est pas parce que vous mettez la photo de Macron sur votre affiche que vous perdez des voix », tente un proche du président. Mais au fil des jours, la colère ne redescend pas au sein des troupes macronistes, tout comme l’impopularité du chef de l’Etat, au plus haut selon le baromètre Odoxa. « Il n’avait aucune raison de prendre une telle décision, s’emporte un autre candidat de la majorité, à une semaine du premier tour. On n’est pas des comprimés qu’on met dans l’eau pour les dissoudre ! »
Pour répondre aux inquiétudes, les différents responsables de la majorité se mettent en ordre de marche et font entendre leur propre musique. Gabriel Attal, qui mène la campagne du camp présidentiel, ne prend plus la peine de défendre le chef de l’Etat face à la colère des Français sur le terrain. Et le 20 juin, il appelle même les Français à le « choisir » comme Premier ministre. Le lendemain, Edouard Philippe estime sur TF1 que « le président de la République (…) a tué la majorité présidentielle » et appelle à « construire une nouvelle majorité parlementaire ». Tous semblent déjà préparer l’après. « Emmanuel Macron a fait une immense connerie. Il faut qu’on prenne les choses en main maintenant. Tout le monde l’a compris : Attal, Darmanin, Le Maire, Bayrou…On est dans une accélération de l’émancipation vis-à-vis de Macron pour 2027 », résume un proche d’Edouard Philippe.
« Le président ne se représente pas, donc les aventures individuelles, les prises de distance étaient déjà en germe », nuance un conseiller de l’exécutif. « Les gens sont sonnés, il y a de la sidération. Tous se disent que le 7 juillet ce sera sans doute terminé. Cela justifie le rejet de sa personne. Dans ce genre de situation, on cherche un coupable », estime aussi un proche du président.
« Il a bien compris qu’il devait changer »
Malgré les doutes qui s’expriment, Emmanuel Macron multiplie les prises de parole, avec neuf interventions en 15 jours. De sa conférence de presse du 12 juin à sa participation au podcast « Génération Do It Yourself », en passant par des micros tendus, des confidences à la presse et une lettre adressée aux Français, le président ne cesse de se justifier. « Il fait des interventions un peu en filigrane, il ne fait pas des JT tous les soirs », relativise Laurent Hénart. « Le président a pris son risque avec la dissolution, il n’allait pas non plus s’effacer. Cela aurait été un peu lâche de laisser tout le monde se débrouiller sur le terrain », complète un conseiller ministériel.
Le chef de l’Etat esquisse d’abord un mea culpa auprès des Français, admettant dans sa lettre que « la manière de gouverner doit changer profondément » à l’issue du scrutin. « Il a bien compris qu’il devait changer, être plus horizontal et associer davantage les citoyens », explicite un proche. Mais sur le terrain, la promesse ne prend pas. « J’entends en réunion publique : ‘Il a fait ça tout le temps, on n’y croit plus’, qu’est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? » s’interroge un candidat. Un proche d’Emmanuel Macron reconnaît que les tentatives présidentielles sur l’exercice du pouvoir – convention citoyenne, grand débat, CNR, rencontres de Saint-Denis – « ont plus ou moins fonctionné ».
Emmanuel Macron tente aussi de remobiliser son camp, en vain. « J’ai pris une décision très grave, très lourde et je peux vous dire qui m’a beaucoup coûté. Non, non, non il ne faut pas avoir très peur », martèle-t-il lors d’un mot d’accueil lors de la Fête de la musique à l’Elysée, le 21 juin.
« Cette décision a été difficile et soudaine pour les parlementaires et pour leurs collaborateurs. Je leur dis mon amitié et mon respect », écrit-il dans sa lettre publiée par la presse régionale. Il en enregistre même une version orale, diffusée à ses troupes sur les boucles Telegram de la majorité. « Je n’ai écouté que le début, j’ai autre chose à faire », peste un candidat. « Aucun intérêt », ajoute un député sortant.
« Je leur ai dit : ‘Faut y retourner’. C’est très dur, j’en ai conscience et beaucoup m’en veulent mais je l’ai fait car il n’y a rien de plus grand et de plus juste dans une démocratie que la confiance dans le peuple », insiste-t-il le lendemain dans le podcast « Génération Do It Yourself ». « Même si des gens lui disent de se mettre en retrait, pour lui c’est totalement contre-intuitif. Il estime qu’il faut combattre », explique un proche du président. Dans sa psychologie, c’est quelqu’un qui veut à tout prix convaincre. Il déteste l’impuissance. » Et pour limiter la casse, la stratégie de campagne est claire : renvoyer dos à dos « les extrêmes ».
« Le risque est grand d’avoir deux Frances en confrontation directe »
Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron assure que son parti est le seul « capable à coup sûr » de « faire barrage à l’extrême droite comme à l’extrême gauche ». La gauche s’indigne de se voir mettre sur un pied d’égalité avec le RN. « Indigne, irresponsable, coupable », s’insurge le patron sortant des députés socialistes, Boris Vallaud. Des voix s’élèvent dans son propre camp pour dénoncer cette stratégie du « ni-ni » en cas de duel entre le RN et LFI, à l’instar de l’ancien ministre Clément Beaune, qui refuse de mettre « un signe égal entre l’extrême gauche, même La France insoumise, et l’extrême droite du Rassemblement national ».
L’ancien conseiller d’Emmanuel Macron tweete également son rejet de « toute stigmatisation dans le discours politique » des personnes LGBT+. Une référence directe aux propos du président qui, en marge d’un déplacement sur l’île de Sein, le 18 juin, s’en est pris aux propositions du Nouveau Front populaire.
Dénonçant un « programme totalement immigrationniste », Emmanuel Macron a qualifié d’« ubuesque » la proposition permettant d’« aller changer de sexe en mairie ». Une sortie transphobe qui lui a attiré les foudres des associations, de la gauche et d’une partie de son camp. « Mais qu’il se taise ! Ça a suscité une levée de boucliers chez nous de la communauté gay », s’exaspère un candidat Renaissance. « Les propos transphobes, on s’en serait passés », évacue une figure du parti présidentiel.
Le 24 juin, le locataire de l’Elysée provoque aussi de vives réactions en estimant que les programmes des « deux extrêmes » mènent « à la guerre civile ». « Il ne le dit pas comme ça. Il dit que si on suit la logique des programmes, ça peut mener à la guerre civile », défend un conseiller de l’exécutif. « Je ne lui tomberais pas dessus, le risque est grand d’avoir deux Frances en confrontation directe », abonde un cadre du parti.
Toute cette stratégie pourrait se heurter aux résultats du premier tour. « Notre enjeu, c’est de racoler les électeurs républicains. Mais on peut perdre une partie de l’opinion en mettant un signal égal entre les deux », met en garde un conseiller ministériel. Que fera le camp présidentiel dans les nombreuses triangulaires qui se profilent ? « Oui, il faudra de la clarté, dimanche soir », insiste un conseiller de l’exécutif, pour qui « la question de l’arc républicain » doit se poser. Les sondages mettent tous le camp présidentiel loin derrière le RN, et le NFP. « Les choses peuvent encore bouger », espère un proche d’Emmanuel Macron, qui décrit un chef de l’Etat « combatif ». Deux semaines et demie après l’annonce de la dissolution, les secousses provoquées par la décision présidentielle n’en finissent pas de se faire sentir, constate un conseiller ministériel : « Il a vraiment réussi à tout faire exploser. » En cas de défaite à ces législatives, la « clarification » voulue par le chef de l’Etat pourrait précipiter l’ouverture d’une autre séquence : celle de l’après-Macron, trois ans avant la fin de son mandat présidentiel. ■
Moi et 40 millions d’autres français vont « aller le déloger » de son palais parisien. Et je vais traverser les rues pour trouver l’urne du vote de ces élections législatives anticipées d’abord demain, puis j’y retournerai dimanche prochain, « quoiqu’il m’en coute », puisque je ne suis « Rien » pour lui, et « Sans dents » pour son prédécesseur socialiste élyséen. Il faut supprimer le « SOCIALISME ».