Par Aristide Ankou.
C’est Sacha Guitry qui prêtait à l’un de nos grands personnages, un de nos « illustres » (nous avons oublié lequel), cette définition : « L’Écosse, contre-poison de l’Angleterre ». Vision politique, sans doute. Sur ce pays étrange et attachant, Aristide Ankou a donné de savoureuses impressions de voyage écrites avec son intelligence des choses et des gens et son talent habituels. Suivons-le en ce dimanche où la France retient son souffle, inquiète pour son destin.
L’Écosse est une curieuse contrée.
Par certains aspects, ça ressemble incontestablement à l’Angleterre.
D’abord, les gens là-bas parlent anglais. Enfin, du moins c’est ce que vous croyez tant que vous ne les avez pas entendu parler.
Parce que, lorsque vous essayez de communiquer avec les autochtones, avec votre bel anglais perfectionné à Oxford ou à New-York, ou même avec votre bullshit english appris au sein de votre boite où tout le monde forwarde des mails asap, eh bin vous êtes tout perdu.
Parler anglais avec un Ecossais, c’est à peu près comme essayer de parler français avec votre grand-père alsacien, qui, vicissitudes de l’histoire oblige, a appris le français comme troisième langue, après l’alsacien et après l’allemand : vous finissez par dire « oui » à tout ou bien par employer le langage de signes, parce que là au moins il n’y a pas d’accent.
Je le sais, j’ai essayé les deux. Je veux dire : le grand-père alsacien et le natif écossais.
Et puis comme les Anglais, les Ecossais conduisent du mauvais côté de la route. Mais en Ecosse non seulement les routes sont tournées dans le mauvais sens, mais en plus elles sont toutes étroites, toutes pleines de trous et de moutons et les bas-côtés ressemblent un peu à Verdun à la fin de l’année1916. D’ailleurs, comme à Verdun, les routes écossaises semblent dire à l’innocent touriste : « On ne passe pas ! »
Lorsque vous en discutez avec le garagiste écossais qui a pris votre voiture en remorque après que vous ayez perforé deux pneus, parce que vous avez eu la mauvaise idée de sortir légèrement de l’étroit ruban de bitume pour éviter la camionnette autochtone qui arrivait en face de vous à deux fois la vitesse maximum autorisée (à vue de nez), il vous explique en rigolant que, si les routes sont en si mauvais état par chez lui, c’est parce que les anglais leur doivent de l’argent qu’ils refusent de payer.
J’en étais sûr ! Ces Anglais, jamais à court d’une perfidie.
Parce qu’il faut le savoir, l’Ecossais n’aime pas l’Anglais. C’est peut-être pour cela qu’il se fait un point d’honneur de massacrer l’anglais – la langue, je veux dire, pas les gens (enfin, plus depuis le début du 18ème siècle).
Pourtant, physiquement, les Ecossais ressemblent aux Anglais. Vous trouvez en Ecosse la même abondance de gens au teint tellement pâle qu’ils doivent faire des cloques lorsqu’ils sont exposés à une ampoule électrique de plus de 40W, aux cheveux filasse tirant sur la carotte anémique, et fringués avec un mauvais goût tellement poussé et uniforme qu’il en devient presque recherché.
Certes le kilt et le tartan ça a incontestablement de la gueule, de même que les costumes qu’on trouve dans les boutiques de Savile Row, mais en ce qui concerne l’Anglais comme l’Ecossais ordinaires, on peut dire que leurs tailleurs ne sont pas riches.
En revanche, à la différence de l’Anglais, l’Ecossais est sympa. Très sympa même. Les Ecossais, ce sont un peu les Italiens du Royaume-Uni, la combinazione et la pizza en moins. Ils sont si sympas que vous en oubliez presque que leurs routes sont si mauvaises.
Par ailleurs la cuisine écossaise est un peu moins abominable que la cuisine anglaise, même si vous sentez bien qu’elles sont cousines et qu’elles se sont mariées entre elles. Et qu’elles ont par conséquent un peu la même gueule que les souverains espagnols à compter du 16ème siècle.
Enfin, ce n’est pas non plus comme si j’avais eu beaucoup d’occasions de tester la gastronomie locale.
Parce que l’Ecossais a une particularité : il se couche très, très tôt. Et comme il se couche très tôt, il dine aussi à l’heure du goûter. C’est très surprenant les premières fois.
Vous entrez dans un pub qui vous parait sympathique, il est 20h30, l’heure à laquelle vous allez au restaurant en France :
« Sorry, kitchen closed »
Vous tentez votre chance le lendemain à 20h01 :
« Sorry, kitchen closed »
Vous vous précipitez le surlendemain à 19h30 :
« Sorry, drinks only, kitchen is about to close…”
Et vous finissez, comme tous les touristes, par mâchonner tristement un sandwich triangle acheté à la superette du coin.
J’ai eu l’explication du mystère en visitant une distillerie de whisky. La petite jeune fille qui faisait la visite nous a expliqué que, lorsque vous rentrez dans un pub écossais et que vous demandez « a half and half » (un moitié-moitié) – ce qui en Angleterre signifie une pinte d’un mélange de deux types de bières – on vous sert une pinte moitié bière et moitié whisky.
Par conséquent, les Ecossais qui sont au pub à 18h sont complètement torchés à 20h et doivent être brouettés dans leur lit à 21h. Mais, a-t-elle ajouté finement, la nuit plus longue laisse plus de temps pour cuver ses excès alcooliques. Et pour pouvoir recommencer le lendemain.
L’Ecossais est malin.
En revanche, là où l’Ecosse ressemble vraiment très peu à l’Angleterre, c’est pour les paysages.
L’Angleterre, vous savez, c’est les petits cottages, le long de petites ruelles, dans la petite campagne, avec la petite pluie, comme disait le général de Gaulle.
Alors que l’Ecosse… ah mes aïeux ! L’Ecosse, mais c’est grand, c’est rude, c’est majestueux, c’est exaltant, c’est poignant, c’est admirable, c’est gouleyant, enivrant et intimidant comme un single malt de 50 ans d’âge dégusté un soir de tempête dans un château hanté au bord du Loch Ness.
Et l’Ecosse, ce n’est pas seulement la nature, c’est aussi un patrimoine à faire pâlir un Anglais (si c’est possible). Parce que l’Ecossais est un peu radin. Sympa, mais radin. Alors il accumule : des châteaux, des abbayes, des églises, des monuments et des bâtiments de toutes sortes. L’Ecosse, c’est le parfait mariage entre la nature et la culture, hachés bien fins et mijotés longuement avec un assaisonnement relevé, comme un bon haggis.
L’Ecosse, c’est beau, tout simplement. Et parfois il y a même du soleil. Si, si. Parfois.
Il faut visiter l’Ecosse au moins une fois dans sa vie.
D’ailleurs, est-ce que j’ai mentionné le fait que les Ecossais sont sympas ? ■
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur, (le 30 mai 2024).
Aristide Ankou
Très belle description de l’Ecosse qui donne envie d’y aller.
C’est vrai, moi aussi, j’aimerais y aller, pour voir Edinbourg , cette ville dans laquelle mon amourette y a enseigné notre langue de Molière, à des collégiens plus respectueux que ceux d’aujourd’hui chez nous.
C’était mieux avant.
Aristide Ankou a décidément un remarquable verbe. Je rappelle quand même que l’Ecosse est aujourd’hui l’un des bastions du décolonialisme et de l’européisme, que son ancien premier ministre, l’indépendantiste Humza Yousaf, ne cessait de dénoncer la « suprématie blanche » qui selon lui régnait au Royaume-Uni et que le SNP penche de plus en plus vers le républicanisme. Autant de paramètres qui doivent nous rappeler que nous ne sommes plus à l’époque de Marie Stuart ou de Rob Roy. L’Auld Alliance, c’est terminé (hélas).