Par Pierre Builly.
Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte (2024).
Comment réussir un ratage.
Ceux qui n’ont jamais lu Le comte de Monte-Cristo (même dans la version raccourcie et enfantine de la Bibliothèque verte), qui n’ont pas pu vibrer au fil des 1500 pages du roman d’Alexandre Dumas dans sa version intégrale pourront trouver du plaisir à regarder cette grande machinerie hollywoodienne. Il est vrai que lire, aujourd’hui, c’est demander beaucoup. Pourrait-on alors renvoyer aux précédentes adaptations filmées du récit ? Une bonne dizaine depuis l’arrivée du cinéma parlant, notamment celle de Robert Vernay en 1954 avec Jean Marais ou celle de Claude Autant-Lara en 1961 avec Louis Jourdan dans les rôles-titre.
À dire vrai, aucune de ces versions n’est vraiment satisfaisante, peut-être parce qu’il est difficile de transcrire à l’écran cette efflorescence aussi compliquée et pénétrante que Les Misérables de Victor Hugo. Il faut tellement sarcler, rogner, éliminer, simplifier qu’on perd beaucoup du suc originel. Je n’ai jamais vu la série en 4 épisodes de Josée Dayan en 1998 avec Gérard Depardieu ; peut-être sa longueur permet-elle de développer quelques épisodes supplémentaires ; mais la médiocrité intrinsèque de la réalisatrice m’ouvre des doutes.
Toujours est-il que le film d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, malgré ses 3 heures qui paraissent interminables n’est qu’un bien médiocre et faux (surtout faux) résumé de l’œuvre de Dumas. Musique clinquante, assourdissante, abominable, mielleuse. Belles images et beaux châteaux : grâce au succès des Trois mousquetaires (woke) des deux compères, les moyens n’ont pas manqué : les couchers du soleil ont tout ce qu’il faut pour séduire, les flambeaux et les cierges illuminent congrument les nuits, les sous-bois paraissent fleurer bon, les intérieurs sont somptueux ; il n’y a que les rues de Marseille en 1815 qui sentent l’image de synthèse.
Et les acteurs sont de qualité ; je n’aurais pas cru que Pierre Niney, qui me semblait de complexion un peu fragile, pût supporter un rôle aussi écrasant : un fier garçon, un marin courageux emporté par une suite de fatalités épouvantables vers une sorte d’enfer sur terre, dans un cul de basse-fosse du château d’If puis miraculeusement sauvé et rendu fabuleusement riche, qui va passer le reste de sa vie à poursuivre et à se venger de ceux qui lui ont fait perdre la liberté et Mercédès (Anaïs Demoustier), l’amour de sa vie. Les seconds rôles font ce qu’ils peuvent et ils assurent leurs cachets sans démériter. Mais est-ce que ça suffit ?
Ajouter des personnages – insignifiants -, en supprimer d’autres – importants – et croire que l’on va pouvoir tout de même reconstituer un des plus grands romans d’aventures de la littérature française en mélodrame larmoyant est une honte.
Je passerais des heures à relater les trahisons, les impropriétés, les balourdises, les faussetés, les bêtises du scénario ; on a même droit à une scène de kung-fu et à un duel sanglant où les deux adversaires paraissent sortir de Rambo. Je ne vais pas raconter pourquoi et comment les réalisateurs se moquent du monde en prenant une trame et en la lacérant : je dis simplement : fuyez cette mauvaise action, ce film déjà partout célébré, célébré parce que la littérature n’a plus d’importance dans notre sale monde et qu’on ne veut même pas faire croire qu’elle a du sens.
Ce film mérite des gifles; malheureusement il n’obtiendra que des bravos. ■
Sortie le 28 juin 2024.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
J’ai vu le film hier. je te trouve un peu sévère.
Cher Paul, tu peux juger que le film que tu as vu este un excellent divertissement, bien joué, bien filmé. J’ajoute qu’il n’est pas mauvais du tout que le cinéma français se lance dans le « grand spectacle ». Les deux compères, La Patellière et Delaporte avaient l’an dernier produit un « duo » autour des « Trois mousquetaires », ce qui voudra toujours mieux que les super-héros de Marvel.
Ce ne sont pas non plus les ellipses que je critique ; c’est pourtant bien regrettable de se passer du personnage de Noirtier, le père – bonapartiste – du royaliste Procureur de Villefort et de sa femme Hermine qui empoisonne à petit feu sa belle famille pour que son fils soit le seul héritier.
Ce que je trouve le plus détestable, ce sont les trahisons d’esprit : présenter comme de deux classes sociales différentes Edmond Dantès et Mercédès alors que l’un et l’autre sont de condition modeste. Faire de Morcerf un aristocrate d’abord quelque chose comme camarade de jeu d’Edmond, puis son pire adversaire, alors même qu’à la base Morcerf est Fernand Mondego, pêcheur et amoureux de Mercédès…
Je pourrais continuer longtemps… Me moquer du sort d’Hayden, la belle jeune grecque qui, là filer le parfait amour avec Albert de Morcerf… alors qu’en fait elle quitte l’Europe au bras de Dantès…
Si tu as le temps, lis dans Wikipédia le récit très exhaustif et fidèle du roman : tu verras toutes les trahisons.
Il est regrettable que vous n’ayez jamais vu la remarquable version de José Dayan (6 heures en 4 épisodes) avec Gérard Depardieu dans le rôle titre et une pléiade de grands artistes, version qui est à mon sens de loin la meilleure de la dizaine que vous mentionnez.
Ayant vu et revu celle-la je n’irai certainement pas voir cette dernière production de notre précieux trésor de la littérature française …
Selon plusieurs amateurs la meilleure version serait la série en 6 épisodes de Denys de La Patellière (le père d’Alexandre) avec Jacques Weber.
Si je tiens Depardieu pour un très grand, je n’ai pas beaucoup d’estime pour Josée Dayan. D’où mon silence.
Mais si vous le dites…
Si c’est la meilleure, je tremble pour le niveau des autres. La version de La Patellière est de bonne facture avec d’excellents comédiens et de somptueux costumes, mais elle est d’une abominable lenteur.
Celle de Depardieu est agréable, mais très éloignée du roman original. Quant à celle de Niney, il me faut encore la voir.