1848 : Mort de Chateaubriand, « l’Enchanteur »
Maison de Chateaubriand, la Vallée aux Loups, Chatenay-Malabry.
« Quand la mort baissera la toile entre moi et le monde, on trouvera que mon drame se divise en trois actes… Dans mes trois carrières successives, je me suis toujours proposé une grande tâche : voyageur, j’ai aspiré à la découverte du monde polaire; littérateur, j’ai essayé de rétablir la religion sur ses ruines; homme d’Etat, je me suis efforcé de donner aux peuples le vrai système monarchique représentatif avec ses diverses libertés.
Des auteurs modernes français de ma date, je suis quasi le seul dont la vie ressemble à ses ouvrages : voyageur, soldat, poète, publiciste, c’est dans les bois que j’ai chanté les bois, sur les vaisseaux que j’ai peint la mer, dans les camps que j’ai parlé des armes, dans l’exil que j’ai appris l’exil, dans les cours, dans les affaires, dans les assemblées que j’ai étudié les princes, la politique, les lois et l’histoire.
Si j’ai assez souffert dans ce monde pour être dans l’autre une Ombre heureuse, un peu de lumière des Champs-Elysées, venant éclairer mon dernier tableau, servira à rendre moins saillants les défauts du peintre : la vie me sied mal; la mort m’ira peut-être mieux. »
Sur la tombe, « Point d’inscription, ni nom, ni date, la croix dira que l’homme reposant à ses pieds était un chrétien : cela suffira à ma mémoire »
Promenade dans l’œuvre de Chateaubriand, au moyen de sept extraits
I – « En traçant ces derniers mots, ce 16 novembre 1841, ma fenêtre qui donne à l’ouest sur les jardins des Missions étrangères, est ouverte : il est six heures du matin; j’aperçois la lune pâle et élargie; elle s’abaisse sur la flèche des Invalides à peine révélée par le premier rayon doré de l’orient : on dirait que l’ancien monde finit et que le nouveau commence. Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse, après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l’éternité. » (fin des Mémoires, tome II, p.939).
II – « La royauté légitime constitutionnelle m’a toujours paru le chemin le plus doux et le plus sûr vers l’entière liberté. J’ai cru et je croirai encore faire l’acte d’un bon citoyen en exagérant même les avantages de cette royauté, afin de lui donner, si cela dépendait de moi, la durée nécessaire à l’accomplissement de la transformation graduelle de la société et des mœurs. » (MOT, tome II, p.700).
Armes de Chateaubriand, Vicomte et Pair de France
III – « Il y a quatre ans qu’à mon retour de la Terre-Sainte, j’achetai près du hameau d’Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Chatenay, une maison de jardinier, cachée parmi des collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n’était qu’un verger sauvage au bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances ; spatio brevi spem longam reseces. Les arbres que j’y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l’ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protègeront mes vieux ans comme j’ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que je l’ai pu des divers climats où j’ai erré, ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon cœur d’autres illusions.
Si jamais les Bourbons remontent sur le trône, je ne leur demanderai, en récompense de ma fidélité, que de me rendre assez riche pour joindre à mon héritage la lisière des bois qui l’environnent : l’ambition m’est venue; je voudrais accroître ma promenade de quelques arpents; tout chevalier errant que je suis, j’ai les gouts sédentaires d’un moine. Depuis que j’habite cette retraite, je ne crois pas avoir mis trois fois les pieds hors de mon enclos. Mes pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres tenant jamais ce qu’ils promettent, la Vallée-aux-Loups deviendra une véritable chartreuse. Lorsque Voltaire naquit à Chatenay, le 20 février 1694, quel était l’aspect du coteau où se devait retirer, en 1807, l’auteur du Génie du Christianisme ?
Ce lieu me plaît : il a remplacé pour moi les champs paternels; je l’ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles; c’est au grand désert d’Atala que je dois le petit désert d’Aulnay; et pour me créer ce refuge, je n’ai pas, comme le colon américain, dépouillé l’indien des Florides. Je suis attaché à mes arbres; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n’y a pas un seul d’entre eux que je n’aie soigné de mes propres mains, que je n’aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille; je les connais tous par leurs noms, comme mes enfants; c’est ma famille, je n’en ai pas d’autre, j’espère mourir au milieu d’elle. » (MOT, tome I, p.6).
IV – « Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux. » (MOT, tome 1, p.877).
V – « Vous êtes jeune, Monsieur, comme cet avenir que vous songez et qui vous pipera; je suis vieux comme ce temps que je rêve et qui m’échappe. Si vous veniez vous asseoir à mon foyer, dites-vous obligeamment, vous reproduiriez mes traits sous votre burin : moi, je m’efforcerais de vous faire chrétien et royaliste. Puisque votre lyre, au premier accord de son harmonie, chantait mes Martyrs et mon pèlerinage, pourquoi n’achèveriez-vous pas la course ? Entrez dans le lieu saint; le temps ne m’a arraché que les cheveux, comme il effeuille un arbre en hiver, mais la sève est restée au coeur : j’ai encore la main assez ferme pour tenir le flambeau qui guiderait vos pas sous les voûtes du sanctuaire… » (MOT, tome II, p.517).
Lettre de Chateaubriand au ministre des Relations extérieures Cacault, du 12 juillet 1803. Lettre autographe signée sur papier à en-tête de la République française
Chateaubriand, secrétaire d’ambassade à Rome, y rapporte sa présentation en tant que « simple particulier et homme de lettre » à Victor-Emmanuel 1er de Sardaigne et son épouse.
VI – « Après Alexandre, commença le pouvoir romain; après César, le christianisme changea le monde; après Charlemagne, la nuit féodale engendra une nouvelle société; après Napoléon, néant : on ne voit venir ni empire, ni religion, ni barbares. La civilisation est montée à son plus haut point, mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale; on n’arrive à la création des peuples que par les routes du ciel : les chemins de fer nous conduiront seulement avec plus de rapidité à l’abîme. » (MOT, tome II, p.261).
VII – » Prétendre civiliser la Turquie en lui donnant des bateaux à vapeur et des chemins de fer, en disciplinant ses armées, en lui apprenant à manœuvrer ses flottes, ce n’est pas étendre la civilisation en Orient, c’est introduire la barbarie en Occident : des Ibrahim futurs pourront amener l’avenir au temps de Charles-Martel, ou au temps du siège de Vienne, quand l’Europe fut sauvée par cette héroïque Pologne sur laquelle pèse l’ingratitude des rois. » (MOT, tome II, p.261).
Maison natale de Chateaubriand, Hôtel de la Gicquelais, Saint Malo
saint-malo.net/saint-malo-rues.htm#chateaubriand
Voir notre album (80 photos), Ecrivains royalistes (I), Chateaubriand
Le jeune Vicomte de Chateaubriand servit dans le Régiment de Navarre, l’un des plus anciens régiments du Royaume : dans notre album Drapeaux des régiments du Royaume de France, voir la photo « Le Régiment de Navarre ».
Les textes ci-dessus, seraient seulement hagiographiques si nous négligions de mentionner pour le lecteur – royaliste, d’Action Française ou maurrassien ou simplement lettré – les puissantes critiques exposées par Maurras à l’encontre du royalisme de Chateaubriand, par Jacques Bainville sous l’angle de la critique historique et plus tard par Pierre Boutang dans son Maurras, la destinée et l’œuvre. Maurras a développé l’essentiel des reproches qu’il oppose à Chateaubriand dans Trois idées politiques (1898). Voir ce texte célèbre en cliquant sur le lien qui suit.
Charles Maurras : « Chateaubriand ou l’anarchie » Grand Texte ∗∗∗
1936 : Reims inaugure – en sa présence – la rue Rockefeller
Il s’agit, pour la ville martyre, de remercier le très généreux mécène et donateur qui a permis – à Reims mais aussi ailleurs – de relever plusieurs monuments emblématiques de notre Patrimoine (éphéméride du 23 mai).
Rockefeller, rue [1936].
<= place Cardinal-Luçon, => 19-21, rue Chanzy.
Ancienne rue Libergier dont cette partie portait le nom de rue Sainte-Catherine jusqu’en 1886. Comme pour Branly et le Maréchal Pétain, il fut exceptionnel de dénommer une rue du vivant de son bénéficiaire.
(1874-1960). Philanthrope américain. John Davison Rockefeller, descendant d’une vieille famille française émigrée en Amérique au 18e siècle, consacra aux œuvres sociales l’immense fortune accumulée par son père et par lui-même. Au lendemain de la guerre, John D. Rockefeller entreprit d’aider la France à sauver ses plus précieux monuments et la ville de Reims bénéficia particulièrement de ses libéralités. Par deux donations successives dont l’ensemble s’élevait à quinze millions de francs, il prit à sa charge une très grosse part des frais de reconstruction de la cathédrale. C’est grâce à lui, notamment, que put être rétablie dans son intégrité la haute toiture dominée par le clocher à l’ange. Rockefeller Junior contribua aussi pour une très large part à la restauration des palais et parcs de Versailles et Fontainebleau. Il vint à Reims pour l’inauguration de sa rue, le 4 juillet 1936, accompagné de son fils David. La plaque portait l’inscription suivante : RUE/ JOHN-D. ROCKEFELLER Jr/ Donateur/ pour la reconstruction de la Cathédrale/ de Reims. Rockefeller vint à nouveau à Reims, pour les fêtes d’inauguration de la cathédrale, en 1938.
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Éphémérides, pourquoi, dans quels buts ?
Formidable visionnaire notre Chateaubriand.Ses mémoires sont intemporelles et donnent un sentiment d’immortalité à sa pensée.En cela elles sont indissociables des Evangiles.Merci pour votre travail sur notre histoire de France.
Il me semble que le rédacteur de ces indispensables éphémérides s’est justement laissé prendre aux sortilèges de celui qu’il appelle en titre, selon une formule usée mais en un sens véridique, « l’enchanteur ».
J’ai relu, ce matin même, dans « Trois idées politiques », le très fameux chapitre I où Maurras traite de Chateaubriand et y développe une analyse critique – reprise dans son fond par Boutang et bien d’autres – qui m’est apparue bien plus profonde et perspicace que les louanges tressées ici au solitaire orgueilleux de Combourg.
Il m’a semblé qu’en définitive, même si cela agace et dérange les admirations faciles, Maurras, de fait, a raison. C’est pourquoi je conseillerais volontiers à ceux qui voudront pousser la réflexion un peu plus loin que les convenances et aller à la racine – y compris psychologique – de ce que Maurras appelle « la mécanique de nos malheurs » des deux derniers siècles, de lire ou relire ce chapitre I, des Trois idées politiques.
Chapitre qui se termine par cette conclusion très célèbre que je retranscris ici et que vient confirmer à la réflexion le grandiloquent texte mortuaire de Chateaubriand publié dans les éphémérides de Lafautearousseau, ce jour.
« Race de naufrageurs et de faiseurs d’épaves, oiseau rapace et solitaire, Chateaubriand n’a jamais cherché, dans la mort et dans le passé, le transmissible, le fécond, le traditionnel, l’éternel ; mais le passé, comme passé, et la mort, comme mort, furent ses uniques plaisirs. Loin de rien conserver, il fit au besoin des dégâts, afin de se donner de plus sûrs motifs de regrets. En toutes choses, il ne vit que leur force de l’émouvoir, c’est-à-dire lui-même. À la cour, dans les camps, dans les charges publiques comme dans ses livres, il est lui, et il n’est que lui, ermite de Combourg, solitaire de la Floride. Il se soumettait l’univers. Cet idole des modernes conservateurs nous incarne surtout le génie des Révolutions. Il l’incarne bien plus que Michelet peut-être. On le fêterait en sabots, affublé de la carmagnole et cocarde rouge au bonnet. ».
mon cher FRANÇOIS RENÉ DE CHATEAUBRIAND
voilà qui explique pourquoi tu traverses les siècles je t’en prie continue de la haut ta protection
la richesse de ta vie (on est riche de son expérience) tu as été en mesure de nous la faire connaître je te confesse que je n’ai pas lu toutes tes œuvres mais tu es mon guide je t’aime
« Moi et le monde ». Extraordinaire ! Renversant ! Renversant de tout l’ordre traditionnel. Toute la révolution est là. Politique, littéraire, anthropologique, sociologique et ontologique, chez cet homme dont tout le génie se fondait sur les puissances de la Tradition. Son « moi et le monde » a tout inversé. Et nous sommes plus que jamais dans ce monde à l’ordre inversé.
Cet hommage nous permet aussi de rappeler 3 faits:
1/En septembre 1815, à 13 ans, Victor Hugo écrit son premier Cahier de vers français. À 14 ans, dans son journal intime, il écrit : “Je veux être Chateaubriand ou rien.” À 15 ans, il présente 300 vers à un concours de poésie organisé par l’Académie Française. Il recevra une mention. Son goût pour le livre a été favorisé par la découverte d’une Bible dans un grenier et surtout par son parrain, Victor de Lahorie. Lequel a été fusillé en 1812 pour avoir participé à une tentative de coup d’État. Cela montre l’influence de Chateaubriand sur les jeunes de son époque, nourris d’épopée napoléonienne « rentrée ». Verlaine qualifiait Hugo de « sublime et doux roublard » mais cela se retrouve, semble-t-il, chez le vieux Maître, à l’origine du « stupide XIX éme siècle » ( romantique).
2/ Comment oublier la pauvre Céleste, épousée à 17 ans ( il en avait 24) en pleine Révolution ( 1792) et abandonnée sur le champ, qui lui resta fidèle jusqu’au bout, tout en refusant le ménages à trois qu’il voulait lui imposer ( sans enfant)
3/ Rappelons enfin que J. P Sartre s’est vanté d’avoir pissé sur la tombe de Chateaubriand à Saint Malo, geste que chacun jugera à sa convenance.
C’est édifiant de lire l ‘avis de Charles Maurras à propos de Chateaubriand fort judicieusement « mis en lien » par JSF .
Bien entendu , de fort belles pages furent écrites : »Levez vous vite , orages désirés … » ; et pourtant , tous ces romantiques : Chateaubriand , A.de Vigny – « venu trop tard dans un monde trop vieux » – , Lamartine , Hugo – sur le tard – , quelles mauvaises graines politiques serait on tenté de dire !
Erratum : « venu trop tard dans un monde trop vieux » est d’ Alfred de Musset et non d’ Alfred de Vigny .
Avec mes excuses .
Finalement , on lit encore Musset ( la tirade de Lorenzaccio: « tu me demandes pourquoi je tue Alexandre » ou « dans Venise la rouge » ) ou Vigny ( « la Mort du loup » ou Servitudes et grandeurs militaires,) plutôt que Chateaubriand, dont on ressasse « la Nuit dans les déserts du nouveau monde » ou le fameux « Levez vous orages » appris à l’école, mais pas beaucoup plus…
Sans oublier : le 4 juillet 1776, le congrès américain signe la fameuse Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Que l’on apprécie lesdits Etats-Unis ou pas, cette date n’en est pas moins fondamentale.
Ces « Trois idées politiques » forment un ensemble superbe. Éphémérides obligent, c’est Chateaubriand qui est doctement commenté. Je suis allé jusqu’à Sainte-Beuve que j’admire et les mots de Maurras m’ont ravi.
Modestement, je voudrais signaler les conférences d’Henri Guillemin disponibles sur le net. Sainte-Beuve fut son modèle. Même méthode, même exigence de vérité servies par une sensibilité différente et, comme avec ces videos, par un immense talent de conférencier.
Je viens de commencer la longue série consacrée à « L’autre avant-guerre: 1871 – 1914 ». Je n’en dis pas plus
https://www.youtube.com/watch?v=-uq-Q8iMQWE