Cet entretien avec deux observateurs très experts de la chose politique a été publié hier, jeudi 4 juillet dans le Figaro. Figaro où – comme nous le pressentions et comme nous l’avons discrètement noté, parfois, ces derniers temps – une crise interne de la rédaction est devenue publique. Elle oppose ceux qui ont pris acte, parfois avec sympathie, de la vague montante du bloc national et ceux qui entendent s’en tenir à la ligne traditionnelle, européiste, libéralo droitière ou centriste du Figaro d’autrefois. Pascal Perrineau et Aquilino Morelle sont des esprits libres et des observateurs avisés, habitués à l’analyse des réalités. C’est ce qu’ils font ici sur les grands sujets qui intéressent la politique nationale à la veille d’un scrutin crucial qui devrait ouvrir sur une période de grandes incertitudes et sans-doute d’affrontements durables et rudes où se déploira le grand jeu du destin national. Nous livrons tel quel ce riche entretien à la sagacité des lecteurs de JSF qui y feront le tri ntre points d’accord et de désaccord. Reste que les joutes politiques ou politiciennes (domaine réservé d’Emmanuel Macron, désormais réduit à cela) n’annuleront pas les grands problèmes, réels, objectifs, qui menacent la France le plus gravement qui soit. Il n’est pas sûr – bien au contraire – que le Régime en soi-même soit capable de l’en sortir. Alors se reposera en termes d’aujourd’hui la question même du régime. Question, certes embarrassante, difficile, mais qui, de fait, se pose à la France des deux derniers siècles sans qu’elle ait jamais réussi depuis à retrouver un équilibre à peu près stable et un tant soit peu satisfaisant.
ENTRETIEN – Après le premier tour des élections législatives, le RN n’a jamais été aussi proche du pouvoir. L’ancien conseiller de François Hollande et le politologue analysent les causes profondes de ce basculement et alertent quant au danger d’une Assemblée sans majorité.
LE FIGARO. – Pour la première fois, les élections législatives anticipées pourraient conduire le Rassemblement national au pouvoir. Aquilino Morelle, en novembre, vous avez publié un ouvrage La Parabole des aveugles. Marine Le Pen aux portes de l’Élysée (Grasset, 2023). Vous aviez tout vu, sauf peut-être une chose : aujourd’hui ce n’est pas Marine Le Pen, mais Jordan Bardella qui est aux portes de Matignon. Vous attendiez-vous à un tel scénario ?
Aquilino Morelle. – Peu de personnes envisageaient ce scénario d’une dissolution dans la foulée des européennes. Mais davantage que la dissolution, c’est la soudaineté de celle-ci qui a surpris. Car ces élections européennes ont été un choc. Le Rassemblement national est arrivé en tête dans 457 circonscriptions sur 557, dans 93% des 35.000 communes de France, dans 96 départements sur 101 et dans 17 régions sur 18. Ce résultat impressionnant, sans précédent, s’est imposé à tous, y compris au Président. Dès lors, celui-ci se devait d’en tirer une leçon politique : il a choisi de dissoudre l’Assemblée nationale le soir-même des européennes car cela lui permettait de se replacer au centre du jeu et de montrer qu’il fallait encore compter sur lui. Il a également voulu, d’une certaine façon, sanctionner le vote du peuple français, le « punir » d’avoir « mal voté »… Attitude absurde en démocratie.
Pascal Perrineau, est-ce que le président de la République a voulu sanctionner le peuple français ?
Pascal Perrineau. – On ne vote jamais mal en démocratie. La parole est au peuple, le peuple s’exprime, le président de la République, en tant que pivot des institutions, doit respecter la parole du peuple et trouver la solution la plus adaptée. Après les élections, le président de la République devra jouer tout son rôle, c’est-à-dire en cohabitant avec le Rassemblement national si celui-ci est victorieux, en démissionnant s’il ne peut envisager cette hypothèse ou en partant à la recherche d’un gouvernement de compromis s’il n’y a pas de majorité claire. La France a déjà connu des cohabitations, ça n’a jamais été un drame. Pendant longtemps cela a même été un moyen d’éviter les effets pervers de la bipolarisation entretenue par le scrutin majoritaire à deux tours: « La cohabitation est le centrisme que les Français ne peuvent pas se payer ».
Cependant, la cohabitation pourrait être d’un genre nouveau. Le parti du président de la République, si l’on en croit les premiers résultats des législatives et les projections en sièges, ne représenterait pas une force d’opposition importante au Palais Bourbon, contrairement au Nouveau Front populaire qui incarnerait cette principale opposition.
P.P. – Le Nouveau Front populaire durera le temps que peut durer ce genre d’union abracadabrantesque. Après le 7 juillet, chacun reprendra ses billes. Certains élus socialistes ou communistes n’ont pas grand-chose à voir avec la France insoumise, qui a imposé, au moins sur le plan économique et social, son tempo. Nationalisations à part, leur projet est un programme bien plus de rupture que le projet présenté par la gauche en 1981. Ainsi, nous allons vite retrouver des oppositions plus éclatées qu’on veut bien le croire. Le Nouveau Front populaire est un artefact politique et a peu de chances de se maintenir tel quel.
La majorité présidentielle, qui ne serait plus majoritaire de fait, serait aussi le bloc le plus faible à l’Assemblée nationale…
P.P. – Certes, elle peut peser ce que pèse le Rassemblement national dans l’Assemblée sortante. Une reproduction des rapports de forces actuels (une « majorité » sans majorité absolue) peut s’opérer, si le Rassemblement national obtient une majorité relative loin des 289 voix nécessaires pour avoir la majorité absolue des sièges Alors, comme cela a été dit, le Rassemblement national refusera d’exercer le pouvoir à Matignon. Le président de la République devra donc essayer de trouver une solution de construction d’une majorité provisoire. Très difficile à partir d’un bloc Ensemble faible et diminué. L’autre solution se trouve dans le gouvernement technique à l’italienne, avec un Mario Draghi français et des ministres essentiellement techniciens. Mais les oppositions pourraient se coaliser pour faire tomber le gouvernement avec une motion de censure. Nous pourrions vivre assez vite une situation de blocage. Et le scénario d’une éventuelle élection présidentielle pourrait réapparaître.
A.M. – La cohabitation, si elle survenait, serait très différente des précédentes. Elle ne mettrait pas face à face, comme en 1986, en 1993 et en 1997, des « partis de gouvernement ». Cette fois, la majorité appartiendrait à un parti qui, jusqu’ici, a toujours été tenu en lisière de la République. Le conflit politique qui surviendrait serait alors autrement plus dur, d’une autre nature même. Par ailleurs, Emmanuel Macron n’a pas la même personnalité que François Mitterrand ou Jacques Chirac, des politiciens chevronnés et endurants ; il supporterait probablement mal les frustrations du pouvoir perdu, la tension hebdomadaire des conseils des ministres face à des adversaires politiques implacables…
Reste que le pire résultat pour la France serait celui d’une Assemblée nationale sans majorité, car partagée en trois blocs équivalents : il conduirait à une forme de paralysie de l’État et ouvrirait une période chaotique de notre vie politique. Le gouvernement se heurterait très vite à la perspective de motions de censure et le président subirait une pression politique très forte. Cette hypothèse semble toutefois peu probable, tant le RN connaît une dynamique politique. Quant à la position de Jordan Bardella affirmant qu’il refuserait Matignon sans majorité absolue, elle ne me convainc pas : s’il obtenait 260 ou 270 députés, certes en dessous de la barre des 289 sièges nécessaires pour avoir une majorité absolue, il lui serait néanmoins très difficile de refuser de gouverner le pays. Car, alors que le RN représentait jusqu’ici plutôt une forme de repère dans un système en décomposition, il deviendrait lui-même un élément de trouble.
Sommes-nous face à une crise de régime ?
P.P. – La crise dépasse les institutions. Les institutions de la Ve république ont montré leur capacité de résilience. Cependant, il faudra à l’avenir envisager des réformes, notamment sur le mode de scrutin, pour réouvrir le jeu et développer une culture de compromis parlementaire, en cas de majorité relative. Nous devrions regarder au-delà de nos frontières, en Allemagne, et ne pas cultiver nos péchés mignons de division permanente et de diabolisation de l’adversaire. Sinon, nous pourrions aboutir à une vraie crise de régime.
« Tout le monde connaît, pour ceux qui refusent de vivre dans l’entre-soi, des électeurs du RN dans son cercle d’amis ou de voisins, et personne ne les considère comme « fascistes » Pascal Perrineau
Après les élections législatives, d’autres événements pourraient se produire dans la rue, sur le terrain des mouvements sociaux. Des manifestations, des émeutes urbaines peuvent se déclarer. Jean-Luc Mélenchon en rêve. Selon lui, il faut toujours accompagner le mouvement des urnes par un mouvement « populaire ». C’est ce qu’on appelle la « gauche mouvementiste ». Elle pense que le peuple dans la rue est davantage un « peuple » que celui des urnes. En France, il s’agit d’une vieille tradition. Mais, ce mouvement pourrait créer des tensions très fortes dans la société française, et déboucher sur une crise politique aux allures de crise de régime. Les « journées révolutionnaires » d’antan ont souvent débouché sur des changements de régime…
A.M. – La décomposition de notre système politique vient de loin, mais elle s’est produite rapidement. À l’élection présidentielle de 2012, les partis de gouvernement, représentés par François Hollande et Nicolas Sarkozy, réunissaient 56% des voix au premier tour. En 2017, ces mêmes partis récoltaient encore 26% des voix. En 2022, ils obtinrent 6% des voix, un score presque ridicule, effrayant en vérité. Emmanuel Macron a bénéficié et a joué de cette décomposition en 2017, ayant compris que la vie politique française n’était plus qu’un théâtre d’ombres. Il s’est frayé un chemin entre les décombres et a désarticulé méthodiquement la gauche, puis la droite. Ironie et revanche de l’histoire : au bout de sept ans, cette décomposition s’applique désormais à son propre camp. C’est cette décomposition politique sans précédent qui pourrait désormais ouvrir la perspective d’une crise de régime.
Comment en est-on arrivé à un tel score du Rassemblement national, lors des élections européennes ? Dans votre livre, Aquilino Morelle, vous en expliquez l’origine, qui remonte loin. Quel est le point de départ historique de cette crise politique ?
A.M. – Le RN, autrefois FN, connaît un essor depuis 40 ans et les élections européennes de juin 1984 qui, avec un résultat de 11%, soit autant que le PCF de l’époque, le virent pour la première fois surgir sur la scène politique nationale, quelques mois après la municipale de Dreux en septembre 1983 où il avait percé. Depuis, la poussée a été continue, avec l’exception de l’élection présidentielle de 2007, où Nicolas Sarkozy a fait reculer Jean-Marie Le Pen de près de 40%, en s’appropriant la question identitaire et la question sociale. Mais, très vite, le RN a repris sa marche en avant, avec une forte accélération au cours du quinquennat de reniement de François Hollande, qui s’est logiquement conclu par l’accession, pour la première fois, de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017, après les premières places obtenues par le RN aux européennes de 2014, aux régionales et aux départementales de 2015. Quant à Emmanuel Macron, après s’être fait élire en 2017 sur l’argument du « choisir dès le premier tour le candidat le mieux placé pour battre le RN » et avoir pris l’engagement de « tout faire pour que les Français ne votent plus RN », c’est lui qui, par sa politique dite « de l’offre », sa personnalité urticante et, finalement, sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, aura placé le RN aux portes du pouvoir avec plus de 10,5 millions de voix lors du premier tour des législatives.
Sur le fond, trois facteurs principaux expliquent cette ascension politique depuis 1984.
D’abord, la dérive fédérale de l’Europe. Après le « tournant » de mars 1983, François Mitterrand, sans consulter les Français, a engagé notre pays dans une spirale fédéraliste, marquée par l’Acte unique de 1986 et le traité de Maastricht en 1992. Avec ensuite un moment décisif : le référendum de 2005, sur le projet de traité constitutionnel européen. Après le « non », à 56%, du peuple français, l’accord Sarkozy-Hollande a piétiné la volonté populaire pourtant nettement exprimée : aujourd’hui encore, nous vivons des répliques de ce déni de démocratie. Ensuite, la question migratoire explique beaucoup de la poussée du RN. Dans toute l’Europe, si les partis « d’extrême droite » ou « populistes » arrivent au pouvoir, c’est à cause de l’immigration. Les trois seuls pays européens qui ont vu reculer ces partis aux européennes du 9 juin dernier, la Suède, le Danemark et la Finlande, sont des pays où les coalitions gouvernementales ont appliqué des politiques très strictes en matière d’immigration. En France, nous connaissons depuis 40 ans une immigration du « fait acquis », ainsi que la désignait le regretté Bruno Latour, et nous en payons le prix politique.
Enfin, il y a la question du « grand déclassement » économique, industriel et agricole du pays. Le taux de pauvreté atteint 14,5% de la population active et plus de neuf millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté. Nous avons perdu 2,5 millions d’emplois industriels en 20 ans. En France, l’industrie ne représente plus que 10% de la population active, alors qu’en Allemagne elle atteint 23% et 18% en Italie.
L’inertie des gouvernements successifs, de droite comme de gauche, et la démission des élites face à ces trois problèmes a créé la puissance politique, humaine, sociologique et électorale du RN. Certains continuent néanmoins à ne pas vouloir voir cette réalité : ce sont les « aveugles », des aveugles volontaires, que j’évoque dans mon livre.
Pascal Perrineau, partagez-vous ce diagnostic ?
P.P. – Bien sûr, les élites françaises ne sont plus à la hauteur des défis qui leur sont lancés. Quand le FN naît comme puissance électorale aux élections européennes de 1984, c’est un parti « à enjeu unique ». Il nait parce qu’il prend en charge des enjeux que la droite et la gauche n’avaient jamais pris au sérieux : l’immigration et l’insécurité. Dans de nombreux pays, ces partis apparaissent autour de ces enjeux laissés sur le bord du chemin. Puis ensuite, le FN a su, dans les décennies 1990 et suivantes, lors des grandes consultations européennes, se mettre à l’avant-garde du camp du refus, du camp qui ne voyait plus les vertus de la société ouverte, et qui réclamait un recentrage national sur le plan économique, politique, sociétal et culturel. Cette seconde phase crée le choc, celui de 2002. Nicolas Sarkozy sera le seul à brouiller épisodiquement le jeu en allant sur le terrain du FN. Mais, à la fin de son mandat, s’ouvre la dernière phase de progression du FN qui se clôt aujourd’hui : le FN sera le seul parti sachant organiser la transition entre les générations. Jean-Marie Le Pen décide de transmettre, après une consultation interne, le relais à sa fille. Alors qu’on pensait que le Front national était un parti de bruit et de fureur, la transition se fait de manière paisible. Marine Le Pen est intéressée par le pouvoir, contrairement à son père. Depuis 2012, sa progression est continue, bien au-delà de la progression de son père. À partir de ce moment, le RN réussit aussi à fédérer les Français qui ne sont plus satisfaits de la politique. Ces derniers ne sont plus seulement indifférents à la politique, ils commencent à haïr les politiques. Le RN est parvenu à politiser la haine et le rejet de la politique. Ils ont réussi à ne pas perdre ce rejet dans les sables de l’abstention, et à le transformer en force politique. Les populistes sont des orfèvres en la matière sur ce terrain.
A.M. – Cette haine du politique, voire de certains politiques, est essentielle à saisir. Toutefois, la force du RN vient de ce qu’il embrasse à la fois la question sociale et la question identitaire. La gauche nie la question identitaire, la considérant comme « fasciste », ce qui est une attitude puérile. Car l’identité de la France, ce sont aussi les services publics, l’école, l’hôpital ou encore la laïcité. L’identité de la France, c’est la République. Les Français qui votent pour le RN, dans leur immense majorité, ne sont pas des « fachos », mais des citoyens attachés à leur nation.
« Si la gauche ne révise pas sa pensée sur la question migratoire, elle ne reviendra jamais au pouvoir » Aquilino Morelle
Quand Jean-Marie Le Pen s’est présenté à l’élection présidentielle de 1974, il n’a obtenu que 0,74% des voix : c’était un marginal, à la tête d’un groupuscule. En 2002, il a récolté presque 5 millions de voix et a accédé au second tour. Mais en 2022, Marine Le Pen obtient, elle, plus de 13 millions de voix, c’est-à-dire 70 fois le score de son père en 1974, et trois fois son résultat du 21 avril 2002 ! Les électeurs de Jean-Marie Le Pen en 1974 étaient d’extrême droite. Considérer que les plus de 13 millions de Français qui ont choisi Marine Le Pen en 2022 et les presque 11 millions ayant voté RN dimanche dernier sont des « fascistes » est insultant pour eux et absurde politiquement. Cela ne conduit qu’à ulcérer ces citoyens et à renforcer le RN.
Comment définir le Rassemblement national ? Le qualifieriez-vous de parti populiste, et est-ce forcément péjoratif ?
P.P. – Le terme le plus exact serait « national populiste ». Le populisme est un courant qui existe depuis la fin du 19e siècle. Mais il faut arrêter de penser la réalité d’aujourd’hui avec les catégories d’hier. Beaucoup de ceux qui luttent contre ce phénomène, luttent en fait contre un phénomène qu’ils ne comprennent pas. Ils favorisent, par la stigmatisation des électeurs, le phénomène contre lequel ils prétendent lutter.
Un élément important à prendre en compte est que maintenant sur le terrain de la vie quotidienne, tout le monde connaît, pour ceux qui refusent de vivre dans l’entre-soi, des électeurs du RN dans son cercle d’amis ou de voisins, et personne ne les considère comme « fascistes ». Dans les années 1960, un politologue américain analysait la politique des états du sud des États Unis et avait mis au jour un effet « friends and neighbors ». De nombreux phénomènes politiques, dans leur diffusion, trouvent leur épanouissement et leur ampleur dans cet effet. Aujourd’hui, le RN n’a plus grand-chose à faire. Les Français, dans les réseaux amicaux, familiaux, professionnels ou de quartier, contribuent à banaliser le Rassemblement national, à l’inscrire dans le paysage national, parce qu’il est dans le paysage de leur vie quotidienne et de leurs interactions.
A.M. – En France, le RN est le seul parti qui défende l’idée de nation : c’est là une de ses grandes forces. Pour un homme de gauche comme moi, c’est là un crève-cœur. Car, historiquement, la nation est née à gauche. Mais qui l’a abandonnée ? La gauche ! La droite l’a suivie sur cette pente mortelle. Nous avons abandonné collectivement la nation au RN. Or la nation est, encore aujourd’hui, ce qui permet aux citoyens de vivre la démocratie et d’avoir non seulement un passé partagé mais aussi un projet commun. La nation possède une épaisseur historique et anthropologique qui fait d’elle une « figure mondiale », comme l’a justement souligné Pascal Ory. La guerre en Europe nous le prouve : il y a d’un côté un nationalisme belliqueux, agressif, qui bafoue le droit international, celui de la Russie ; et, de l’autre, le nationalisme d’une nation qui souhaite sauvegarder son indépendance, ses frontières, sa souveraineté et son existence même, celui de l’Ukraine. Le nationalisme n’est pas condamné à connaître seulement sa version pathologique. Le nationalisme peut représenter la guerre, mais aussi la paix et la coopération internationale. Il existe un nationalisme rationnel qu’il faut défendre et valoriser.
La gauche semble avoir, non seulement abandonné la nation, mais versé dans une forme de communautarisme, de multiculturalisme, de wokisme . Quel regard portez-vous sur cette nouvelle gauche ?
A.M. – Il faut retrouver une Europe respectueuse des nations qui la composent. Mais il est impératif aussi de défendre l’idée de nation en France même. La France ne doit pas devenir une juxtaposition de communautés, il n’y a qu’une seule communauté, celle des citoyens, la communauté nationale. Les autres appartenances, fondées sur des critères religieux ou sociaux, doivent, en République, être cantonnées à la sphère privée. Or, le dénigrement de l’idée nationale a pris son essor en 1984, lorsque François Mitterrand, Julien Dray et Harlem Désir, ont décidé de lancer SOS Racisme. Dans leur vision « multiculturaliste », il n’y avait plus de communauté nationale, mais uniquement de multiples communautés d’origines, culturelles ou religieuses, dont on espérait qu’elles coexistent de façon pacifique. En affirmant que « l’immigration n’est pas un problème, c’est le racisme qui en est un », cette gauche mitterrandienne a expulsé la question migratoire du champ rationnel et du débat politique, avec les conséquences terribles que l’on sait et que vous rappeliez dans votre question. Il existe ainsi désormais un décalage entre la majorité écrasante de Français, y compris de gauche, qui souhaitent une maitrise de l’immigration, et la gauche des partis qui reste de facto favorable à l’immigration. Si la gauche ne révise pas sa pensée sur ce point essentiel, elle ne reviendra jamais au pouvoir.
Pascal Perrineau, comment analysez-vous cette mutation de la gauche ? Est-ce qu’elle vous inquiète ?
P.P. – C’est très inquiétant, et la dérive a commencé il y a longtemps. Pour reprendre un livre d’Éric Conan, La gauche sans le peuple (Fayard, 2004), « la France de gauche s’est séparée du peuple ». La gauche s’est tournée vers une logique multiculturelle, et a même théorisé la séparation avec les couches populaires. Pour les tenants de cette gauche des minorités, ces couches populaires « pensent mal », en considérant l’immigration, l’insécurité ou la nation comme des questions fortes et légitimes. Pour eux, la gauche doit s’éloigner de ces catégories populaires, pour tenter d’inventer une capacité majoritaire nouvelle à partir des femmes, et du combat néo féministe, des jeunes, et des immigrés. Le genre, l’âge et l’origine deviennent l’alpha et l’omega de cette gauche. Aujourd’hui, cette logique s’épanouit avec la France insoumise. La campagne de LFI pour les élections européennes s’adressait à une série de minorités segmentées, et voulait, dans le contexte de la situation à Gaza, créer un vrai vote communautaire. Nos enquêtes montrent que 62% des musulmans ont voté pour la liste de Manon Aubry. Il n’existe pas d’équivalent. Qui aurait dit que le destin de la gauche se dessinerait dans un vote communautaire à base religieuse? Du côté des jeunes, le vote est très polarisé : 31% des jeunes s’apprêtent à voter RN aux élections législatives, et 45% d’entre eux voteraient Nouveau Front populaire. Il y a une radicalisation des jeunes. Deux jeunesses se confrontent : d’un côté, nous observons une jeunesse étudiante, des grandes métropoles, habituée aux manifestations, et de l’autre, nous voyons une jeunesse en bas de la hiérarchie sociale, très souvent issue de l’enseignement professionnel, avec des difficultés à rentrer dans la vie active. Cette jeunesse vote massivement pour le Rassemblement national. Toutes ces fractures générationnelles, communautaires ou sociales sont préoccupantes. La gauche ne parvient plus à parler à l’ensemble de la nation et surtout aux gens d’en bas : 21% des ouvriers avaient l’intention de voter pour le NFP contre 60% qui choisissaient le RN !
A.M. – A quoi sert d’avoir fait des études et obtenu des diplômes, ce dont les « élites » se targuent tant, si c’est seulement pour prendre de haut ceux qui n’ont pas eu cette chance ? Ce « racisme de l’intelligence », qu’avait dénoncé Pierre Bourdieu en son temps, ce refus obstiné d’ouvrir les yeux et de voir la réalité en face, sont deux puissants moteurs qui poussent le RN vers une majorité à l’Assemblée nationale, le 30 juin et 7 juillet prochains. Avec, ensuite, comme perspective ce contre quoi ces « aveugles volontaires » prétendent se dresser : l’arrivée de Marine Le Pen à l’Élysée. ■
VIVE le ROI !
OUI VIVE LE ROI
Beau plaidoyer inhabituel en faveur de la nation et même du nationalisme que nous défendons qui n’est pas la caricature que politiques et médiatiques veulent nous imposer depuis Mitterrand. Cela vient corriger l’erreur précédente: « l’identité de la France c’est la République » Non l’identité de la France c’est la Nation et même l’Etat-Nation. Rappelons nous : l’Etat c’est moi de notre grand Roi.
Non, Louis XIV n’a pas lancé la sentence trop fameuse. On l’a lui a prêté pour les besoins d’un certain «sens de l’Histoire». Lequel, du reste et malheureusement, n’a pas beaucoup dévié – du moins, jusque-là – depuis que Marx en a inventé le concept. Il faut absolument établir le distinguo essentiel entre «État et nation», entre «nation et royaume» et, plus fondamentalement encore, entre «État et Royaume». Le roi n’incarne pas l’État, à un quelconque degré, mais quelque chose d’une nature éminemment supérieure. Jeanne d’Arc a donné une clef de compréhension en le déclarant «lieu-tenant du Christ», c’est-à-dire que le Royaume devient alors lui-même «lieu-tenant», lieutenant du Royaume du Ciel, «nation» historique intermédiaire entre le Paradis terrestre – perdu – et la Jérusalem céleste – qui sera révélée.
Je sais bien que ces notions semblent «hors sol» relativement au pays légal, mais elles correspondent à «L’Éveil de la glèbe» (Knut Hamsun) du pays réel : «Il y a plus de choses au Ciel, mon vieil Horatio, que n’en peuvent imaginer toutes tes philosophies» – Shakespeare, cité de mémoire.
Au fond, il est question «d’identité» de quelque chose, seulement lorsqu’il apparaît que celle-ci s’est égarée, dissipée, lorsqu’elle est en péril de disparition. De la même manière, il n’y a de «royalisme» envisageable qu’après abolition légale de la royauté ; mais la royauté n’en est pas moins réelle. Seulement, comme elle ne se manifeste pas, il revient aux sujets de Sa majesté d’en donner un autre sens de réalité, sous atours de doctrine politique – d’où, nous autres, les «royalistes». Cependant, il s’agit que nous ne perdions jamais de vue qu’aucune doctrine sociale (ou humaine, ce qui revient au même) ne saurait permettre l’incarnation réelle de quoi que ce soit. Il y a donc lieu de réserver intellectuellement la part de ce que – doctrinalement, verbalement, «politiquement» – nous ne pouvons humainement exprimer. Et encore, si l’être humain est évidemment bien moins que ce que les humanismes de pacotille veulent persuader, il est infiniment plus que tout ce qu’ils sont capables d’imaginer.
L’État ne saurait être aucun roi – «Et merde pour le roi d’Angleterre, Qui nous a déclaré la guerre ! – ou, plutôt, aucun roi ne saurait être un quelconque État, car le roi est infiniment plus.
Vive Dieu, la France et le Roi !
L’introduction par JSF (le « chapeau ») est plus informative que la suite. On le sait déjà : quarante ans de dénis, de mépris, de culpabilisation du peuple (Tapie et les « salauds »), de mensonges, de tripatouillages institutionnels, voire de trahisons expliquent ce qui se produit. Les interlocuteurs en ont pris très tardivement conscience (AM, dans ses livres, avant et plus nettement que PP qui reste un commentateur ondoyant, sorte de girouette de plateaux télévisés). Quoique bienvenues, leurs pontifications sont un peu dérisoires.
Sentiment : nos expériences passées de « cohabitation » m’ont semblé favorablement appréciées par le peuple. C’était de la séparation des pouvoirs, en action, en vrai. Les politiques (et leurs porte-voix) les ont détestées. La séparation des pouvoirs ne leur convient pas. Ça va donc remuer encore !
Emmanuel MACRON est plus fort que Doc BROWN qui a envoyé Marty Mc FLY 30 ans en arrière, L’Illustrissime LUI MEME va renvoyer la France 70 ans en arrière, au temps peu glorieux de la IVème république, car , à moins d’un changement de dernière minute, il n’y aura pas de majorité stable qui sortira des urnes ( machines à fabriquer des illusions perdues)
La dissolution a été le caprice rageur d’un inconscient, qui va sacrifier les siens , alors que rien ne l’obligeait. S’il n’accepte pas le résultat des élections au Parlement européen, eh bien qu’il démissionne.
PS J’ai la chance d’avoir un excellent candidat du RN qui a toutes les chances d’être élu dimanche
Comme le capitaine du Titanic il veut garder le contrôle de la situation alors que par son impéritie, négligence dans l’encadrement, il a fait couler le navire. Et nous, pauvres de nous, avons nos encore la possibilité de nous sauver? Les canaux de sauvetage sont insuffisants ? Devrons nous nager dans l’eau glacée ? Le navire France va -t-il être sauvé. Si nous prenions de la hauteur : j’avais écrit à propos du film de Camerone, il y a longtemps, que ce film nous apprenait à mourir, donc à vivre et à aimer. Aujourd’hui nous devons bien sûr continuer à aimer notre pays dans cette tempête et ainsi lui permettre de continuer à vivre, et garder cet espoir enraciné au delà des péripéties.
Cet entretien passionnant ne traite pas du sujet pourtant essentiel : la confrontation entre le clan des » nulle part » et la foule majoritaire des gens demeurant quelque part, en France.
Il suffit de voir le vote des Français de l’étranger qui sont déracinés et ne votent plus pour des candidats de la France réelle mais penchent pour les forces de dissolution de la France.
Cela est à rapprocher de l’attitude de certains de nos porteurs de l’espérance Française, les héritiers. Seront ils toujours présents aux côtés des patriotes et des Français qui souffrent, ou bien iront ils en villégiature chez leurs » cousins » des pays germaniques, pendant l’orage ?