Par Marc Vergier.
Plusieurs scrutins nous ont alertés sur quelques questions existentielles. Ils nous ont démontré, une fois de plus, le peu de pouvoir consenti aux électeurs que nous sommes et la complexité des mécanismes par lesquels notre destin nous échappe.
Parmi ces questions politiques il en reste une dont nous ne sommes pas complètement dessaisis : l’usage de la langue française. Chaque locuteur, cent fois par jour, peu choisir entre sa défense et son illustration ou son désamour au profit du sabir mondialiste appelé globish ou angloricain et de l’appauvrissement qui s’en suit.
Soyons clairs : redingote, spleen, week-end, zapper…, employés avec goût, humour et discernement, sont chez eux chez nous. Il en est ainsi pour de nombreux termes applicables aux sports. On leur souhaite un long et bon usage si, en même temps, le français continue d’être la langue olympique. Et si les competitions restent des jeux !
Il est, à l’opposé, des formes vilaines, telles « parking » qui n’est ni français ni même anglais, ni utile ni plaisant à l’oreille. Une honte nationale. Je viens de découvrir que le « Parc des Terreaux » à Lyon, œuvre souterraine remarquable de M. Portzamparc (pour garer ou parquer les voitures, donc, en français, un garage public !) était référencé, sur internet en particulier, comme « Parking Parc Terreaux » ! Ce genre de cancers est donc incurable. Autant les prévenir qu’espérer les guérir.
Dans cet esprit je me suis intéressé à quelques formes ou tournures qui ont, depuis peu, envahi la langue courante.
Ce billet, sur un sujet de permanentes ruminations, c’est le Figaro du 8 juillet 2024 qui l’a suscité. On y critique l’abus du verbe « dédier » . Français, « dédier » l’est, mais pas dans ces envahissants emplois, nés, comme beaucoup d’autres, d’une transposition paresseuse et inculte de l’anglais ; ici du verbe to dedicate .
Figaro rappelle qu’on dédicace un livre mais qu’on affecte, réserve ou destine une somme d’argent, un serveur informatique, un bâtiment … à un projet, un travail ou une personne. Les leur « dédier » est malvenu.
Qualifier un employé de « dédié » est incorrect quand on veut dire zélé, appliqué, dévoué, motivé. Laissons ces personnes dedicated à leurs patrons anglais.
Ce sont plutôt les autels, les temples qu’on dédie chez nous; on peut aussi les dédicacer. De même dédier un poème, une œuvre…
Figaro attire notre attention sur notre verbe « vouer », présentement semi-placardisé. Comme « dédier », Il s’emploie pour des engagements de nature élevée tels la prière, la chasteté, le service des malades, de la patrie.
Qu’on ne se méprenne pas : je n’ai rien contre l’anglais que je connais assez bien. Proche et lointain du français, son étude nous régale d’aperçus, de rapprochements sur, entre et avec des mots, des sens, des tours que nous avons oubliés ou laissés de côté. Il manifeste de plus une passion pour les mots de toutes sortes. Ainsi son vocabulaire s’enrichit tous les jours, quand le nôtre irait plutôt s’amenuisant. Les deux langues se sont répondues à travers les siècles en d’infinis échos donnant lieu à de nombreux et redoutables faux-amis. Des larynx et des oreilles formés sous des climats différents ajoutent à la richesse de ces va-et-vient permanents. Je souhaite que ce manège continue, « gagnant-gagnant », selon l’expression en vogue !
« Vouer », par exemple, se traduit par to devote. « Avouer », au sens judiciaire, par confess ou acknowledge. To avow, venu d’avouer (mais avec un sens différent du nôtre), est vieilli, délaissé au profit du germanique to own : reconnaître, déclarer comme sa propriété, son travail… posséder !
En ces jours d’élections, il est plaisant de découvrir votary qui désigne celui qui est tenu par un vœu (a vow) ou un serment. Notre « vote » (construit, de même, depuis le latin voveo, ere, vovi, votum) a d’abord, selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFI), été anglais, avec le sens de souhait, désir ou vœu. Il n’est pas inutile de se souvenir aussi qu’avant d’être un souhait (mot construit avec le latin sub sur une racine franque) ou un choix, le vote est un acte religieux (perceptible dans « votif »). Comme « vouer », on l’a vu ; C’est aussi le cas de « dévouer » qui dans la fable des Animaux malades de la peste a le sens d’envoyer au sacrifice suprême. Se dévouer, c’est au figuré, se sacrifier. Ne dit-on pas un dévot (devout, ou devotee, en anglais) et devotion (commun aux deux langues).
Jacques Baud, dans une video récente, insiste sur la différence entre la « votation » suisse, expression d’un choix sur un projet ou un texte précis et l’« élection », qui, chez nous, confine au sacre d’un individu nimbé – et immunisé – par un brouillard idéologique, autant dire un « vote » quasi-religieux.
Comme dédier, « générer » envahit le français courant, en repoussant aux oubliettes tout un nuancier. L’Académie, dans la 9ème édition de son Dictionnaire, résume la situation : « ce verbe, qui avait disparu depuis des siècles, est parfois employé dans certaines spécialités scientifiques, mais il est à éviter dans l’usage courant chaque fois que l’on peut utiliser engendrer, produire, causer ». Sobriété et retenue académiques qui ne donnent qu’une faible idée de sa prolifération. Voici quelques C.O.D. surpris, au hasard , associés à l’envahissant « générer » : profit, frais, fraîcheur, chaleur, cancer, haine, ambiance, embouteillages, collisions, CO2, vent de colère, pluie, grèle et neige, heures de visionnage (Pour Netflix)…
Mieux, l’IA « générative » génère, en veux-tu en voilà, des prêtres, des faux Biden, des contes pour enfants, de la musique, des video…
N’oublions pas la science : (RTL 11 octobre 2021) « générer beaucoup de gaz pourrait être un symptôme : Selon une étude américaine, l’excès de rots et de pets dans la journée pourrait être un signe avant-coureur de dépression » Si les Américains le disent !
C’est ainsi qu’occupés comme nous le sommes à tout générer, nous oublions de faire des enfants.
« Anticiper » est une autre de mes bêtes noires. Comme pour « générer », sa multiplication est le sous-produit de la science.
Quelle science ? L’envahissante et charlatanesque science économique. Victor Hugo versifiait comme il respirait, Tout économiste qui se respecte anglicise de même matin midi et soir. Ce faisant il génère des transpositions douteuses telles « économies d’échelle » ou « anticipations rationnelles ». Comme la science économique constitue l’essentiel de la culture scientifique de nos politiques, journalistes et marchands, son charabia se répand absolument partout, boutant hors les mots français.
Comme les Immortels, je suggère que le verbe « anticiper » garde sa spécificité et sa signification traditionnelles, c’est à dire, principalement, devancer, faire d’avance, brusquer, forcer, précipiter, prévenir, se prémunir, se préparer… Quant aux emplois rentrant dans ces cas, ils sont précis : la mise à la « retraire anticipée » n’est pas nécessairement celle qu’on prévoyait. De même, nous venons de le vérifier, les élections anticipées (jolie expression anglaise : snap election), ainsi l’appel (sous les drapeaux) devancé,.
L’anticipation française est donc plutôt affaire d’inattendu, de brusqué, d’imprévu, d’imagination, de prospective, de conjecture, voire de futurisme. Un autre terme anglo-français peut lui être associé : science-fiction (roman d’anticipation, à la Jules Verne).
C’est dire le contre-sens (et la confusion qui en résulte) quand on traduit l’anglais anticipate par « anticiper », même si, dans certains contextes, leurs significations peuvent se superposer.
Anticipate, en anglais d’aujourd’hui, c’est d’abord et avant tout : prévoir. Dans le monde des affaires, ce prévoir est associé à des calculs, des analyses techniques, des statistiques, largement contradictoires avec l’anticipation du français ; de la science, en somme, ou presque, mais pas de la science-fiction.
Pourquoi, chez beaucoup de nos meilleurs esprits, cet acharnement à tout mettre dans le même sac, à piétiner, par de telles singeries anglo-maniaques, la richesse de notre lexique ? Pourquoi ce mauvais exemple donné, cette incitation superflue du public à la paresse et à la confusion ? ■ MARC VERGIER
Sans oublier « Privatisé » qu’utilisent ceux qui veulent « faire bien » alors qu’une soirée ou une réunion privées n’ont rien à voir avec le « privatizedd » anglais !