Par Radu Portocala.
Prison de Sighet, à l’extrême Nord-Ouest de la Roumanie. La seule parmi les centaines ouvertes par le pouvoir communiste à avoir fonctionné sous un nom de code : Dunărea (le Danube). La seule qui n’apparaissait pas dans les documents du ministère de l’Intérieur. La seule, aussi, qui ne tenait pas une évidence des détenus. Arrivés là-bas, ils cessaient d’exister. Ils y étaient pour mourir et pour passer dans l’oubli.
Deux cents dignitaires de l’ancien régime – la plupart arrêtés dans la nuit du 5 au 6 mai 1950 – y ont été enfermés sans jugement, sans condamnation. Mon grand-père, ancien ministre libéral (et, entre autres, officier de la Légion d’Honneur) était du nombre. Il venait de subir une très lourde intervention chirurgicale.
Aucun n’avait moins de 50 ans. Leurs âges allaient de 60 à 80 ans. Le plus vieux d’entre eux, Dinu Brătianu, ancien premier-ministre libéral, avait 83 ans au moment de l’arrestation. Ils subissaient tous une sorte d’exécution lente. Il fallait les exterminer par la faim, le froid, la maladie. Lorsqu’ils mouraient, deux gardiens traînaient leurs corps dans les couloirs et les escaliers, enlevaient leurs couronnes dentaires en or, s’ils en avaient, les chargeaient la nuit venue sur une charrette et les enterraient nus, sans cercueil, dans des tombes restées à jamais anonymes.
En général, on cherchait à les isoler dans des cellules individuelles de manière à ce qu’ils ne sachent jamais qui étaient leurs co-détenus. Il n’y avait que quelques cellules communes. Mon grand-père était dans l’une de celles-ci. Un jour, il fut surpris par l’un des gardiens au moment où il tentait de regarder par la fenêtre – ce qui était rigoureusement interdit. On l’amena dans la cellule de punition, dite « la noire » parce que les détenus y étaient enfermés dans l’obscurité totale, enchaînés au sol couvert d’eau froide. Mais cette simple mesure d’isolement ne suffisait pas. Il y fut battu à mort. Le soir, un gardien ouvrit la trappe de la porte et jeta dans la cellule sa chemise ensanglantée. La nuit, ses co-détenus entendirent la charrette qui s’éloignait.
Jean-Luc Mélenchon et ses amis, ceux à qui Emmanuel Macron a donné l’occasion de s’agiter maintenant, à l’ombre de leurs drapeaux rouges, en bas des marches du pouvoir, sont les héritiers de ce que je viens de raconter. Ils sont les héritiers du premier secrétaire du parti communiste qui avait décidé que ces morts étaient nécessaires ; ils sont les héritiers du ministre de l’Intérieur qui avait signé les ordres d’arrestation ; ils sont les héritiers du commandant de la prison qui représentait la lutte contre l’ancien monde ; ils sont les héritiers du gardien qui a battu mon grand-père jusqu’à ce qu’il rende l’âme. fait d’idéologues criminels, de délateurs, d’enquêteurs, de tortionnaires, de gardiens cruels, de fossoyeurs nocturnes. Et ils n’existent que parce que l’Occident a refusé de juger le communisme comme il a jugé le nazisme. Cette honte ne sera jamais effacée. ■ RADU PORTOCALA
Ce bel article est paru le 18 juillet sur la page FB de son auteur.
Radu Portocala est écrivain et journaliste, spécialisé notamment en Relations Internationales.
Dernière publication…