Par Pierre Builly.
La vérité de Henri-Georges Clouzot (1960).
» Moi je fais…un peu rien… ».
1953, Les Diaboliques, 1955, Le salaire de la peur ; deux succès, public et critique, qui ont installé Henri-Georges Clouzot au sommet de la pyramide du cinéma français, que lui valaient déjà L’assassin habite au 21, Le corbeau et Quai des orfèvres. Il y a tout, dans ces films : l’intérêt parfait de l’intrigue, la qualité des acteurs, la maîtrise technique du cinéaste, le rythme, l’émotion, le suspense, l’aigreur, le sarcasme. Les espions, en 1957, n’en sont que plus surprenants, paraissant hermétiques, abscons, figés. Mais sont pourtant fascinants.
N’empêche que lorsque La vérité paraît, en 1960, c’est un véritable coup de tonnerre : on a retrouvé le Clouzot de toujours. Le succès est immense et la critique et l’opinion célèbrent d’une même voix le triomphe de Brigitte Bardot, enfin reconnue comédienne, bouleversante et pathétique.
Eh bien, je ne suis pas certain que la performance d’actrice de BB, honorable, convenable, satisfaisante, mais nullement inoubliable n’ait pas à la longue beaucoup desservi le film, ne lui ai pas, si je puis dire, volé la vedette, substituant au récit intelligent et subtil d’une rencontre qui n’aurait jamais dû avoir lieu et qui aboutit à une catastrophe, des considérations sur la parfaite adéquation de la personnalité de la vedette de Et Dieu créa la femme à son personnage. À force de se demander si Brigitte Bardot, à la moue irrésistible et à la fesse somptueuse n’avait pas transféré ce qu’on lui prêtait de naïveté primale et d’animalité érogène dans le personnage de Dominique Marceau, on a quelquefois gommé toute la richesse du scénario.
Qu’est-ce que c’est que La vérité, si ce n’est une version ancienne, dramatique – et quelquefois mélodramatique – du merveilleux Pas son genre de Lucas Belvaux (2014) ? Deux êtres horriblement, hystériquement attirés l’un vers l’autre par une sorte de pulsion charnelle irrésistible et dans l’incapacité totale de se comprendre – on pourrait écrire de s’entendre, dans le sens ancien du terme – une fois les jeux du lit accomplis. L’époque, et le pessimisme noir de Clouzot, qui n’aimait rien tant que la tragédie et la mort, voulaient qu’un film s’achevât par un champ de ruines sanglantes. De ce point de vue-là, l’assassinat de Gilbert Tellier/Sami Frey par Dominique/Brigitte Bardot et le suicide d’icelle, en soi point nécessaires, étaient dans la logique des choses.
Et donnaient, de surcroît, l’occasion de situer le film dans un prétoire où s’affrontaient, en superbes joutes oratoires de grands avocats d’assises, celui de la partie civile (Paul Meurisse) et celui de la défense (Charles Vanel) sous la férule rigoureuse du Président (Louis Seigner). Tout ceci est parfaitement artificiel, le film jonglant entre les débats du tribunal et les flashbacks sur la réalité évoquée par les propos des témoins et les plaidoiries des avocats, mais c’est tellement bien fait qu’on s’y laisse prendre et au-delà ! Même artificialité efficace, l’opposition frontale et absolue entre les personnalités des deux sœurs, Dominique, toute paresse et veulerie et Annie (Marie-Josée Nat, excellente), toute sagesse et mesure, qui ne se sont jamais entendues et finissent par se haïr.
Ajoutons à cela le Quartier latin de la fin des années 50, les ultimes survivances de l’insouciance germanopratine et, en face, la terrifiante bonne conscience de la société des adultes, son rigorisme, son hypocrisie, son arrogance, sa morgue. Je soupçonne que Clouzot a tout de même un peu beaucoup grossi le trait et a représenté les deux facettes en donnant identiquement envie de les mépriser. N’empêche que ça marche…. ■
DVD autour de 16€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.