Par Guillaume Roquette.
N’alourdissons pas d’un long commentaire ce bref et courageux éditorial. Deux remarques pourtant : une symétrie trop marquée entre classe de ploucs périphériques non diplômés et déclassés versus élites sachantes et opulentes, nous paraît devenir un peu lassante, discutable et peut-être en voie d’obsolescence. Les chiffres et les sondages nous ont dit ces derniers temps que des glissements substantiels des classes dirigeantes ou élevées vers le RN sont devenus réalité. Quant aux élites, la contestation de leur compétence, de la valeur de leurs diplômes, de leur culture ou inculture, et, surtout, de leurs résultats, cette contestation, donc, est devenue assez générale, y compris, bien sûr, au delà des 11 millions d’électeurs du RN. Deuxième remarque : Guillaume Roquette se croit tenu de noter que « la proscription du RN est peut-être justifiée politiquement« . Peut-être en effet. Mais alors que dire des politiques menées jusqu’à ce jour par les proscripteurs du RN ? Les résultats sont là et sont tangents à la catastrophe.
Le contraste est saisissant. Au moment où les Français qui ont voté pour le Rassemblement national ont quelques raisons de se sentir ostracisés (on a même voulu écarter leurs députés des postes hiérarchiques de l’Assemblée nationale, en violation de tous les usages républicains), Donald Trump vient d’introniser en grandes pompes un des héros de l’électorat populaire américain. Le candidat républicain à la présidentielle a en effet choisi le sénateur de l’Ohio James David Vance comme vice-président, s’il est élu en novembre prochain. Né dans une famille pauvre, brillamment diplômé de Yale et financier multimillionnaire, Vance s’est érigé depuis son entrée en politique en défenseur acharné de l’homme blanc non diplômé, victime de la désindustrialisation et méprisé par les élites.
Aux États-Unis, les préoccupations de cette population défavorisée (que Hillary Clinton nommait avec dédain « les déplorables ») sont au cœur de la campagne présidentielle. Tandis que chez nous, au contraire, « la France d’en bas » est victime de ce que le grand géographe Christophe Guilluy appelle « le nihilisme d’en haut ». En effet, pour les classes supérieures de notre pays, le peuple et la majorité ordinaire n’existent pas, il faut juste faire barrage à ceux qui s’en réclament pour faire disparaître le sujet. L’insécurité n’est qu’un sentiment, le refus de l’immigration une phobie, le rejet de la mondialisation un enfantillage.
Comment expliquer cette relégation ? La première cause est évidemment géographique : la France périphérique (l’expression est de Guilluy) ne croise plus jamais celle des métropoles. Chacun vit dans sa bulle. Mais on peut aussi évoquer une fracture des valeurs. Aux États-Unis, toutes les classes sociales se retrouvent autour du drapeau et d’une fierté nationale partagée. En France, le patriotisme est au contraire une valeur ringarde chez les élites. L’historien Patrick Boucheron, co-concepteur de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris, se félicite ainsi de ne pas avoir fait un spectacle qui aurait pu être « une leçon d’histoire adressée au monde par la France » ou « une ode à la grandeur ». Il a choisi pour référence la cérémonie du bicentenaire de la Révolution française, qui avait « déjoué les stéréotypes nationaux » et prôné « le métissage planétaire ». Seuls le défilé et les festivités du 14 Juillet échappent encore à cette déconstruction en règle, et c’est sans doute pour cela que ces célébrations sont si populaires dans le pays.
La mise à l’écart des classes défavorisées est aussi une réalité électorale. Moins les Français sont diplômés et plus ils votent pour un parti, le Rassemblement national, qui est exclu des responsabilités nationales. Cette proscription est peut-être justifiée politiquement mais elle n’en demeure pas moins un vrai danger pour la cohésion de notre pays. ■ GUILLAUME ROQUETTE
Directeur de la rédaction du Figaro Magazine
Une tarte à la crème…. sans crème