Par Wally Bordas.
Cet intéressant article a été publié dans Le Figaro le 21 juillet. Il s’agit d’un récit, informatif qui n’appelle pas de commentaire sauf qu’il confirme le dégoût ambiant à l’endroit de l’institution parlementaire tant en son sein que dans l’opinion. On rappelle un peu partout la prédiction de François Mitterrand qui était, quant à lui, féru d’Histoire, à propos des parlements : « ils ont tué la monarchie, ils tueront la République ».
RÉCIT – Après une semaine de tensions et de tractations, les députés se sont réparti les postes clés de l’institution. Et se donnent rendez-vous en septembre, sans grandes perspectives législatives.
« Ça va ? » « Non. » Un ange passe. Dans les jardins de l’hôtel de Lassay, vendredi soir, l’écologiste Sandrine Rousseau n’est pas la seule à afficher sa mauvaise humeur. Et à ne pas trouver les mots pour exprimer sa colère. Renfrogné et tête basse, à quelques mètres de là, le macroniste François Cormier-Bouligeon avance au pas de charge. « Je suis dégoûté… Ce qui se passe est très grave », grogne-t-il sans s’arrêter. Il est un peu plus de 21 heures, plusieurs psychodrames viennent de secouer l’Assemblée nationale. Parmi eux, probablement le plus important de ces dernières années : au lendemain de la réélection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée, le scrutin pour élire ses vice-présidents vient de subir de graves irrégularités. Dix enveloppes en trop ont été glissées dans l’urne. Des députés ont donc sciemment tenté de saboter l’élection.
Alors que les parlementaires ont dû revoter et que les résultats sont annoncés, l’atmosphère devient électrique. « Honte à ceux qui ont pratiqué cette fraude ! (…) L’amour de la République ne peut tolérer de l’abîmer de cette manière », fulmine le socialiste Jérôme Guedj au micro. Dans l’Hémicycle, toute la tension accumulée ces dernières semaines, de la dissolution de l’Assemblée aux législatives anticipées, explose. Chacun a quelque chose à reprocher à son voisin. Les haines recuites éclatent au grand jour.
Des députés proches d’en venir aux mains
La gauche s’emporte contre les macronistes et la droite de Laurent Wauquiez, qui, survivantes notamment grâce au « front républicain » anti-RN mis en place par le Nouveau Front populaire hier, s’allient pour le faire battre dans l’Hémicycle aujourd’hui. Les troupes présidentielles, elles, surjouent l’indignation de voir des élues Insoumises – Clémence Guetté et Nadège Abomangoli – élues aux postes de vice-présidente grâce aux voix du Rassemblement national. Ce, alors même que leur collègue Naïma Moutchou (Horizons) vient elle aussi d’être réélue au même poste grâce aux mêmes voix marinistes. « Vous êtes en train de franchir le cordon sanitaire allègrement », attaque Marc Fesneau (MoDem). « Les LFI étant élus avec les voix du RN, ils pourraient au moins leur serrer la main désormais », tempête même le ministre démissionnaire Gérald Darmanin, en référence aux événements survenus la veille, lorsque les députés mélenchonistes ont tous refusé de saluer le benjamin de l’Assemblée, l’élu RN Flavien Termet.
La tension est extrêmement forte. Elle atteint son paroxysme plus tard dans la soirée, lorsque les troupes de Marine Le Pen se présentent devant la presse pour dénoncer le « déni de démocratie » ayant conduit les macronistes et la gauche à les priver des postes à responsabilités – vice-présidents, questeurs et secrétaires – de l’Assemblée. Pendant que Marine Le Pen s’exprime devant les caméras, salle des Quatre-Colonnes, dénonçant les « magouilles » ayant amputé ses députés de ces postes à responsabilités, le député MoDem Nicolas Turquois l’interrompt en criant à plusieurs reprises : « Je refuse d’entendre des choses pareilles. »
Colère immédiate des députés marinistes Jean-Philippe Tanguy et Émeric Salmon, qui se précipitent alors vers le macroniste pour lui demander de se taire. Le ton monte et l’on en vient presque aux mains, sous l’œil médusé de l’Insoumis Sébastien Delogu, provocateur en chef de LFI, qui n’en croit pas ses yeux. Les huissiers interviennent à temps, ainsi que Renaud Labaye, le secrétaire général du groupe RN, venu calmer les esprits.
Les macronistes vont se coucher et perdent la majorité au sein du bureau
Mais la nuit ne fait que commencer. Il est désormais l’heure de voter pour les douze secrétaires du bureau. Les députés du RN, vexés d’avoir été écartés de tous les postes à responsabilités, décident de quitter l’Assemblée. Il faudra compter sans eux. Le camp macroniste et la droite, en supériorité numérique, n’ont plus qu’à attendre le troisième tour : c’est une certitude, s’ils le souhaitent, ils rafleront tous les postes de secrétaires au nez et à la barbe de la gauche, qui n’aura plus, comme la veille, que ses yeux pour pleurer.
Mais il faut d’abord passer les deux premiers tours. Assurés de l’emporter, au fil des minutes, les députés macronistes quittent le Palais Bourbon. Comme cette parlementaire, qui rentre chez elle pour s’occuper de son fils en bas âge. Ou cet autre député, qui part dormir à l’hôtel, exténué par une semaine « interminable ». « Les macronistes étaient trop confiants et on les a vus quitter les lieux petit à petit », râle un député wauquieziste, resté jusqu’au bout.
Alors, la gauche en profite. Et met en place une stratégie pour battre le camp macroniste. « On a vu qu’on pouvait rafler la mise, alors on a ajouté de nouveaux candidats au troisième tour et on a négocié avec quelques députés Liot », résume un député NFP, pas peu fier de la manœuvre. Le résultat tombe à 4 heures et demie du matin : le Nouveau Front populaire obtient neuf postes de secrétaires sur douze. Et pourra donc jouir d’une majorité absolue au sein du bureau de l’Assemblée nationale, la plus haute instance décisionnaire du Palais Bourbon.
« Gabriel Attal est incapable de tenir ses troupes »
Colère dans les rangs du camp présidentiel et de la droite. Et « grosse gueule de bois » au réveil le lendemain matin, avoue un stratège du parti présidentiel. « Les jeux ont été complètement dévoyés. Je suis atterrée. On va voir une énorme difficulté à ce que l’Assemblée retrouve de la respectabilité », peste la députée LR Marie-Christine Dalloz salle des Quatre-Colonnes. Car c’est effectivement cette instance qui décide – ou non – de sanctionner les députés fauteurs de troubles dans l’Hémicycle, comme cela a très souvent été le cas depuis 2022.
« Les Insoumis vont pouvoir venir avec des fumigènes et des drapeaux palestiniens dans l’Hémicycle tous les jours sans se faire sanctionner », résume, mi-amusé, mi-inquiet, un observateur avisé du Palais Bourbon. « On voit bien le cirque qui se prépare. C’est dramatique pour les Français, qui ont des urgences et qui ont besoin d’une Assemblée qui fonctionne et ne se donne pas en spectacle », s’alarme le député MoDem Romain Daubié. Cet autre macroniste ne décolère pas : « On a perdu bêtement la majorité au bureau. Il suffisait juste de ne pas aller se coucher. Quelle connerie ! » Et ce dernier, rempli d’aigreur : « Gabriel Attal est incapable de tenir ses troupes. Il y a de vraies tensions dans le groupe, une ambiance complètement délétère avec des gens qui ne se parlent plus et ne veulent même pas s’asseoir à côté. Comment voulez-vous qu’il y ait une discipline… »
Samedi matin, la gauche a donc le sourire, au Palais Bourbon. Et se vante de cette victoire obtenue contre le cours du jeu à la dernière minute. « C’est notre petite vengeance ! Surtout, ça prouve que les équilibres sont très fragiles et que rien n’est écrit pour personne », résume, amusé, un cadre écologiste.
Une Assemblée coupée en trois
Les majorités se font et se défont déjà. Jeudi, les députés Liot participaient à réélire la macroniste Yaël Braun-Pivet au perchoir. Vendredi soir, ils pactisaient avec la gauche pour l’aider à rafler presque tous les postes de secrétaires. Et samedi, ils faisaient réélire l’Insoumis Éric Coquerel à la tête de la commission des finances.
Concours d’indignation macroniste. Irrité par la nomination du député centriste Charles de Courson au poste de rapporteur général du budget, le député Mathieu Lefèvre va même jusqu’à qualifier « d’Insoumis » cet élu, pourtant fervent défenseur de la réduction de la dépense publique. « Il y a surtout eu une énorme erreur stratégique de la part de Gabriel Attal de ne dealer qu’avec LR en abandonnant complètement le petit groupe Liot. On les a envoyés dans les bras du NFP », peste un autre macroniste. « Chaque voix compte et les alliances d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui et encore moins celles de demain », résume quant à lui, amer, un autre député du camp présidentiel.
Car ces trois jours d’élections à la Chambre basse ont bien prouvé une chose : l’Assemblée est plus que jamais coupée en trois, entre un bloc central macroniste affaibli, une gauche renforcée et un Rassemblement national isolé mais plus que jamais arbitre des votes. Faute de gouvernement, le Palais Bourbon est désormais à l’arrêt jusqu’en septembre. Voire un peu plus si la situation politique ne se démêle pas d’ici à la rentrée. Le temps pour tous ces élus, épuisés et à bout de nerfs après une campagne européenne, une dissolution et une législative express, de reprendre leur souffle et leurs esprits.
« Je suis traumatisée, j’ai honte. J’ai déjà vécu des journées pas faciles à l’Assemblée, mais celles-ci resteront dans les annales comme les pires. Nous avons donné une image pitoyable du parlementarisme », déplore la députée LR Marie-Christine Dalloz. L’écologiste Sandrine Rousseau, elle, résume : « Tout ce qu’il s’est passé ces dernières semaines est trop brouillé et brouillon. À la rentrée, il va falloir que l’on soit à la recherche de choses simples, qu’on arrête les manœuvres de couloirs. C’est ce que les Français nous demandent. » En attendant le projet de loi de finances, qui devrait normalement arriver à partir du mois d’octobre, le retour à l’Assemblée s’annonce éruptif mais plus incertain que jamais. Un ex-député vaincu lors des législatives anticipe, un peu trop sûr de lui : « Il ne va rien se passer pendant un an, jusqu’à la prochaine dissolution. En attendant, je vais repartir en campagne dès septembre. » ■ WALLY BORDAS