Parue avant-hier 24 juillet au JDD, cette intéressante tribune de Christophe Boutin éclaire utilement le sujet des relations franco-marocaines récemment mises à mal par la diplomatie erratique d’Emmanuel Macron au Maghreb. Au delà même des liens historiques traditionnels noués autrefois entre les deux États, Christophe Boutin se propose ici de démontrer l’intérêt réciproque dans le contexte géopolitique actuel de relations étroites franco-marocaines .
TRIBUNE. Le lien qui unit le Maroc, acteur géopolitique majeur, à la France apparaît comme une évidence et doit être restauré, assure Christophe Boutin, politologue, professeur de droit public à Caen.
« Le bilan du quart de siècle de règne de Mohammed VI le prouve amplement : c’est parce qu’il sait d’où il vient que le Maroc sait où il va. »
Un quart de siècle : cela fera le 30 juillet vingt-cinq ans que Mohammed VI est sur le trône chérifien. Son père Hassan II lui avait légué un pays stabilisé, lentement ouvert à la démocratie. Le nouveau souverain allait partir cette base pour faire du Maroc un acteur géopolitique d’une autre ampleur.
Le premier axe, interne, aura été de stabiliser le régime. Cela passa par un épisode de justice transitionnelle destiné à tirer un trait sur les violences du passé. Cela passa aussi et surtout par la réponse donnée au Maroc à la crise des « printemps arabes », dont tant de pays ont eu à connaître les conséquences désastreuses. Au Maroc, le souverain joua la carte de l’ouverture : la nouvelle constitution de 2011 maintenait les équilibres fondamentaux mais offrait le pouvoir au parti islamiste majoritaire. Pour autant, contrairement aux crises égyptienne ou tunisienne, il n’y eut, dans ce pays, où le souverain est aussi commandeur des croyants et pouvait donc imposer son choix d’un islam modéré, ni violences ni bouleversements. Au bout de deux épisodes gouvernementaux (2011-2021), une alternance démocratique écartait les islamistes du pouvoir au profit d’un gouvernement libéral.
Au Maroc, le souverain joua la carte de l’ouverture
Le second axe aura été de mettre en place une collaboration Sud/Sud principalement à destination de l’Afrique. Indigné de voir l’OUA reconnaître le pseudo-État du Sahara occidental, territoire marocain un temps colonie espagnole mais réintégré au royaume lors de la Marche verte de 1975, Hassan II avait quitté l’institution. Son fils allait ramener le Maroc dans l’Union africaine, tout en engageant une action de fond sur le continent. La coopération économique du pays, avec l’Afrique de l’Ouest notamment, qui touche à des domaines aussi divers que la construction, la banque, les télécommunications ou l’agriculture, en font un investisseur majeur du développement africain. L’implication personnelle du souverain dans cette politique de partenariat, l’ouverture à la jeunesse africaine des universités marocaine, la réflexion menée dans le cadre onusien par le Maroc sur la question migratoire forment un tout qui place le royaume au centre des questions qui agitent le continent.
Le troisième axe de l’action de Mohammed VI a été l’affirmation de l’indépendance géopolitique du pays : le Maroc ne s’interdit rien et assume ses choix. Il le fait de manière très symbolique en signant en 2020 les accords d’Abraham qui normalisent ses relations avec Israël, sans pour autant que le souverain, président du comité Al Quods, oublie l’aide à apporter au peuple palestinien. Il le fait aussi en s’ouvrant à d’autres partenaires économiques que ceux qui étaient traditionnellement les siens comme la France. Plaque tournante traditionnelle du commerce entre le Nord et le Sud, il est en train de le devenir entre les deux rives de l’Atlantique grâce à ses travaux portuaires de Tanger et Dakhla. Producteur d’énergie renouvelable en croissance, il bénéficie, dans ce domaine comme dans le précédent, de ces planifications à long terme que la stabilité du pouvoir favorise.
Stabilité et confiance : le Maroc attend de ceux qui sont ses partenaires une relation la plus équilibrée possible et leur offre de réelles garanties. Sur le plan de la sécurité internationale, il participe à la sécurisation de la façade ouest d’une zone sahélienne marquée depuis des décennies par la violence, en y diffusant son approche d’un islam modéré ou en participant à des exercices militaires internationaux annuels aux côtés des USA. Au-delà, par sa collaboration efficace dans les domaines du judiciaire et du renseignement, il participe directement à la sécurité des États du nord de la Méditerranée, dont le nôtre.
Le Maroc attend de ses partenaires la relation la plus équilibrée possible
Et pourtant, alors que, le partenariat semble une évidence pragmatique, quelque chose s’est rompu depuis 2017 entre Rabat et l’Élysée. On sait la tension qui existe entre Rabat et Alger, née principalement de l’instrumentalisation par l’Algérie de la question toujours pendante à l’ONU du « Sahara occidental ». Les gouvernements de Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy maintenaient un équilibre entre un vrai partenariat avec le Maroc et des contacts souvent plus tendus avec une Algérie instable. Mais Emmanuel Macron a cédé à toutes les demandes, symboliques ou non, d’un pouvoir algérien qui reste enfermé dans une fuite en avant victimaire et réclame notre éternelle repentance.
Est-ce pour complaire à ce pouvoir dont certains semblent craindre l’effondrement ? Toujours est-il que les fautes diplomatiques se sont succédé, choquant une élite marocaine attachée aux liens historiques qui unissent nos deux pays. Certes, la France continue de soutenir à l’ONU le plan d’autonomie proposé par le Royaume pour en terminer avec la question du Sahara, et qui est sans nul doute aujourd’hui la meilleure solution. Mais un vrai travail reste à faire pour retrouver l’indispensable relation de confiance que les choix du Président français ont mise à mal, de son refus de s’engager plus avant dans la reconnaissance de la souveraineté marocaine à sa fausse familiarité avec le souverain, affichée dans des déclarations ensuite démenties par Rabat.
Même sous le protectorat, le dialogue entre la France et le Maroc est resté celui de deux États qui plongent leurs racines dans l’histoire ancienne : ce sont deux nations millénaires, et la dynastie actuelle régnait quand Louis XIV dirigeait la France. Ce ne sont donc pas de ces « territoires » aux composantes floues dont le progressisme aime à organiser une « gouvernance » qui se veut toujours « fluide » mais n’est que fluctuante. Le bilan du quart de siècle de règne de Mohammed VI le prouve amplement : c’est parce qu’il sait d’où il vient que le Maroc sait où il va. Espérons qu’une France qui retrouvera cette même assise pourra renouer le dialogue avec lui, car ce dernier est aujourd’hui plus que jamais nécessaire ■ CHRISTOPHE BOUTIN
Christophe Boutin est professeur de droit public à l’université de Caen. Derniers ouvrages : avec Olivier Dard et Frédéric Rouvillois, Dictionnaire du progressisme (Le Cerf, 2022) ; avec Frédéric Rouvillois, Le référendum, ou comment redonner le pouvoir au peuple (La Nouvelle librairie, 2023).
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