Par Christian Laborde.
Cette tribune est parue le 9 oût dans Le Figaro. Bien sûr, il faut se méfier des chapeaux du Figaro : ce sont des édulcorants. Le texte de Christian Laborde, même s’il prend de la hauteur, même s’il flirte avec le genre poétique, est moins léger, plus évocateur des réalités des défunts J.O., que ne le laisse supposer la rédaction du journal. On contestera la comparaison entre la Reine et les taureaux : on pensera que Paris a sublimé les J.O. bien plus que l’inverse ; l’article se termine par l’évocation du rugby, de la Vierge Marie et d’un miracle, d’Antoine Blondin, enfin. Ce n’est pas rien. Le plongeon de retour à la politique au mode Emmanuel Macron et son engeance arrivera bien assez tôt. Ce ne sera plus pour le bonheur français à ce qu’on peut craindre…
TRIBUNE – Les Jeux olympiques ont sublimé la capitale et les performances des athlètes français ont empli la France de joie, salue l’écrivain* dans un texte poétique qui revisite les moments phares de la compétition.
*Dernier livre paru : « Fourbi » (Éditions Héliopoles, 2024).
Je n’aime point que dans l’arène meurent les taureaux, non plus que les reines sur l’échafaud.
Les Jeux olympiques, la France, Paris 2024 : tout commençait mal. Une menace planait sur les bouquinistes, sommés de déguerpir, de libérer les quais, eux qui les font vivre, et de laisser la place aux selfies, aux drones, à Coca-Cola, à RoboCop. L’ordre fut retiré : Paris restait Paris, la « seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », comme l’écrit Blaise Cendrars dans Bourlinguer. Et que veulent-ils ces livres rangés dans les boîtes vertes ? Voir passer des bateaux. Ils les virent passer, la nuit, durant la cérémonie d’ouverture. Des bateaux sur lesquels gambillaient, dans les jets de lumières et les gouttes de pluie, des athlètes agitant des petits drapeaux, heureux d’être là. À Paris, les athlètes cessent de défiler. Fini, les corps raides ! Fini, les épaules bloquées ! Disparu, celle ou celui qui marchait en tête de délégation, la hampe du drapeau plantée dans les abdos ! Sur les bateaux, comme à Rio, comme partout où la joie est chez elle, les athlètes dansaient. C’était « Samba-sur-Seine ».
Pendant que les champions dansaient sur l’eau, un personnage, le visage dissimulé sous une capuche, courait à perdre haleine sur les toits de Paris en brandissant la flamme olympique. Il semblait sortir d’un jeu vidéo. Mais au Grand Palais, on passa du jeu vidéo au roman, au roman de cape et d’épée, à l’escrime. Et je crus voir tomber, depuis mon canapé, les hommes du cardinal. Épée, sabre, fleuret, notre médaille est de bronze mais notre botte, de Nevers.
Rien n’est aussi beau qu’un bateau, excepté un cheval. Et nous en vîmes un galoper sur la Seine, mi-Pégase, mi-Nautilus, laqué de nuit, glissant sur l’échine frissonnante du fleuve, monté par une cavalière qui était à la fois une amazone et une créature surgissant de la télé de notre enfance, signant son nom à la pointe de l’épée d’un J qui veut dire JO.
Rien n’est aussi beau qu’un bateau, excepté un cheval. Et les chevaux sont chez eux à Versailles, entre le soleil qui appartient au roi, et l’ombre qui appartient aux arbres. Ils trottent, galopent dans l’ombre et dans la lumière, se jouant des obstacles et de l’eau. Beauté des crins, beauté des sabots, beauté des naseaux : le château de Versailles est la coiffeuse des chevaux. La reine Marie-Antoinette avait aussi quelques habitudes en ce château où elle garait son carrosse. Nous la retrouvâmes, décapitée, sur les murs de Paris, durant la cérémonie des JO. Je n’aime point que dans l’arène meurent les taureaux, non plus que les reines sur l’échafaud.
Rien n’est aussi beau qu’un bateau, excepté un oiseau, et nous regardons Simone Biles, justaucorps étoilé, courir et s’envoler
Rien n’est aussi beau qu’un bateau, excepté un vélo. Le vélo de Remco Evenepoel se joue du pavé ruisselant de Paris, frôle le dôme doré des Invalides et les balustrades bleues. Il est doté d’une roue lenticulaire, laquelle sous la pédalée puissante et fluide de Remco se donne des airs de soucoupe volante et de frisbee. Les reins de Remco sont d’airain et le casque de Remco, celui des guerriers homériques.
Les vélos des JO, qui ne sont ni des Vélib’ ni des trottinettes mais de fort gracieuses montures, ressuscitent, lorsqu’ils abordent la montée de la rue Lepic, un Paris qui l’on croyait perdu, le Paris du Cyclocross de la butte Montmartre que remporta à deux reprises un certain Jean Robic, vainqueur du Tour de France en 1947. Si les « escaliers de la Butte sont durs aux miséreux », ils le sont aussi aux mollets des champions. Que les courses cyclistes reviennent dans Paris ! Débarrassons-nous des fumées et des 4×4, rendons Paris aux piétons, aux cyclistes, aux cavaliers, et Montmartre à Marcel Aymé !
Rien n’est aussi beau qu’un bateau, excepté un oiseau, et nous regardons Simone Biles, justaucorps étoilé, courir et s’envoler. Le tremplin reste au sol, la poutre reste au sol, le sol reste au sol : seule Simone vole.
Voler comme Simone. Aux JO, d’étranges vélos le font. On les appelle BMX. Trois consonnes qui se tamponnent, et le tour est joué. Ces machines volantes ont un cadre bas. Leurs roues ne sont pas celles du vélo de Pogacar, plutôt celle d’un vélo d’enfant. Leurs pilotes portent des casques de motard, des casaques de jockey, des gants de joueur de hockey. Ils sprintent dinguement, et les voici qui volent au-dessus de la piste bossue, mauve et dorée, semblables à des gazelles. « Mais où sont passées les gazelles ? », se demandait au siècle dernier Lizzy Mercier Descloux dans une chanson ? Elles sont à Paris, aux JO.
Les ponts de Paris, durant les JO, crevèrent l’écran, et parmi eux sans doute le pont Mirabeau sous lequel jadis coulait la Seine. Et la Seine de nouveau coule lorsque Cassandre Beaugrand nage dans ses eaux.
Rien n’est aussi beau qu’un bateau, excepté l’eau qu’il épouse et fend. Celui qui, à Paris, se vêt d’eau, c’est Léon Marchand. Il plonge et devient un dauphin. L’eau ne pouvait rêver meilleur compagnon. Léon dans le bassin bleu, c’est chorégraphique. Un pas de deux et d’eau. De cette eau qui est sienne, Léon Marchand prend quelques gouttes et les transforme en or.
En France, tout finit par des chansons, lesquelles souvent louent les ponts de Paris. Durant la cérémonie des JO, les lumières se glissèrent sous les ponts de Paris, éclairèrent leurs pierres pâles, les caressèrent comme des ventres de chiots. Et je songeais à Vincent Scotto, à Lucienne Delyle, à Francis Lemarque disparaissant tous les trois « sous les ponts de Paris, lorsque descend la nuit », sous « les ponts de Paris où l’on vient s’aimer en cachette ». Mais je me tais tant je crains d’être accusé de « “trouple” à l’ordre public ».
Les ponts de Paris, durant les JO, crevèrent l’écran, et parmi eux sans doute le pont Mirabeau sous lequel jadis coulait la Seine. Et la Seine de nouveau coule lorsque Cassandre Beaugrand nage dans ses eaux. Seront-elles bientôt claires, les eaux de la Seine ? Pourront-elles de nouveau nous parler du temps qui passe, du temps qui dure, du temps qui reste ?
Les ponts de Paris, durant les JO, crevèrent l’écran. Les JO à Paris, c’est les ponts et Dupont. Dupont qui découvrit le rugby à Castelnau-Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées, à deux pas de l’institution Notre-Dame de Garaison, Garaison où la Vierge Marie apparaît à la jeune bergère Anglèze de Sagazan en 1515, Garaison qui fut le théâtre de plusieurs miracles, Garaison où je fus professeur de lettres et Jean Castex un brillant élève. Les miracles, durant les JO, Dupont s’en est chargé. Sur la pelouse du Stade de France, où que tombât le ballon, il y avait Dupont. Dupont qui jaillit, Dupont qui perce, Dupont qui marque. Les Anglais avaient nommé Jean Prat « M. Rugby ». Ce titre, qu’ils le donnent à Dupont. Lequel se prénomme Antoine. Comme Blondin. ■ CHRISTIAN LABORDE