Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
La grande émotion de la guerre a déterminé aussi un mouvement de piété.
Dom Besse revient de Poitiers. Il a été témoin de quelques incidents : des hommes qui criaient : « Vive la sociale ! » et : « À bas la guerre ! ». Mais c’étaient toujours des isolés. Une fois dans le rang, plus un mot… Est-ce que Liebknecht, qu’on disait fusillé pour avoir refusé d’obéir à son ordre de mobilisation, n’a pas, aux dernières nouvelles, pris le sac et le fusil comme le recommandait Bebel, le vieux compagnon de luttes de son père ?…
La grande émotion de la guerre a déterminé aussi un mouvement de piété. Les hommes demandent des prêtres et leurs officiers vont en réclamer à l’archevêché. Un capitaine se désolait parce que, dans sa compagnie, il n’avait qu’un diacre, et un diacre ne peut pas donner l’absolution. Dom Besse a vu des soldats qui se confessaient en pleine rue. Personne ne songeait à s’en étonner, encore moins à rire… (Dans les Vosges, messe dite en plein air par un pretre-soldat).
Rencontré André Bonnier sur le Pont Royal. Il a été mobilisé par erreur et renvoyé « dans ses foyers ». Il ne garde aucune amertume d’un impair des bureaux qui l’a fait voyager durement et par trente degré de chaleur de Paris à Argentan et retour, – pour rien.
– N’ébruitez pas la chose, me dit-il. Nous étions cinquante réservistes de la territoriale dans mon cas sur vingt mille hommes appelés à Argentan. L’autorité militaire peut se tromper de cela !
C’est le plus délicat des lettrés, des Parisiens et des sédentaires qui parle ainsi.
Nous nous sommes quittés sur un « Qui l’eût cru ? Qui l’eût dit ?« , en nous félicitant des nouvelles de la guerre qui nous sont toujours favorables. Il semble qu’en quelques jours la rive gauche du Rhin doive tomber en notre pouvoir… L’air s’est subitement rafraîchi et chacun pense à nos soldats qui n’auront pas à se battre aujourd’hui sous un ciel de feu.
La rareté ou l’absence des nouvelles est une dure école et enseigne au public que la guerre est une chose sérieuse. Beaucoup de lettres de combattants n’arrivent qu’avec le timbre de Paris. Les officiers ont donné leur parole d’honneur de ne pas révéler même à leurs parents les plus chers, à leur ami le plus intime, le nom de l’endroit où ils se trouvent. On a supprimé de l’esprit du « monsieur qui passe » et qui achète tous les journaux que l’on crie sans y trouver autre chose que le communiqué officiel, l’idée qu’il a le droit d’être renseigné, comme le monsieur qui a payé son fauteuil d’orchestre a droit au spectacle. Le non-combattant n’est plus rien. Il le sent et se tait.
Un régiment de chasseurs à cheval a pris part au beau succès par lequel deux divisions allemandes ont été bousculées à Dinant. Georges L… en était-il ? Sa mère elle-même l’ignore. Il faut vivre dans ces perplexités et se plier à cette discipline. ■ JACQUES BAINVILLE
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