Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« L’Elysée et peut-être tout le personnel républicain continuent de redouter une Commune.»
A la suite d’incidents encore obscurs, mais graves et sur lesquels courent d’étranges rumeurs, reconstitution du ministère Viviani par l’élimination d’une demi-douzaine de radicaux du type vulgaire et la rentrée de Millerand, de Delcassé, de Briand et de Ribot. C’est un gouvernement qu’on appelle déjà de « défense nationale ». L’autre était donc impropre à cette défense ? L’apparition de Marcel Sembat et de Jules Guesde dans cette société de modérés prouve que l’Elysée et peut-être tout le personnel républicain continuent de redouter une Commune. Il est remarquable que, du côté français autant que du côté allemand, les têtes sont hantées par l’analogie avec 1870…
Dans cette occasion, on pense à ce qu’eût été le rôle de Jaurès s’il n’eût pas été abattu par le révolver d’un assassin. Il n’eût pas manqué d’être appelé à faire partie du ministère, et il y eût pris peut-être la place de Gambetta, celle de l’irréalisme et de l’éloquence. Guesde, tout théoricien qu’il est, a dans la cervelle beaucoup moins de nuées que Jaurès et ne parle que de ce qu’il connaît. Sembat a de la clarté et du bon sens. Comment se tirera-t-il, dans ses fonctions nouvelles, de son dilemme : Faites un roi, sinon faites la paix ?
Le gouverneur de Paris, général Michel, est remplacé par le général Gallieni, (À droite) de qui on attend plus d’énergie pour les éventualités que l’on redoute. Le général Michel manquait de prestige et d’autorité ; on s’en apercevait aux libertés que prenait déjà la presse, aux discussions et aux tons des discussions des journaux, à ces éditions criées à toute heure à travers Paris et qui énervaient le public sans rien lui apprendre. Le préfet de police, Hennion, créature de Caillaux, s’en va aussi. Qu’est-ce que cela veut dire ?
En fin il est clair que le gouvernement est inquiet et prévoit des évènements graves. Ceux qui se souviennent de l’autre guerre se rappellent que l’accent, la physionomie des journaux, la manière de présenter les choses étaient exactement les mêmes en 1870.
Un convoi de prisonniers allemands que l’on conduisait à Dinan a passé près d’ici. L’assurance des officiers, le monocle dans l’œil, de somptueux cigares dans la bouche et disant à tout propos que leurs camarades seraient bientôt à Paris, a fait impression sur les ruraux, les a intimidés. ■ JACQUES BAINVILLE
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Guesde : Mélenchon de l’époque