Envoyé spécial du Monde en Arabie-Séoudite à la fin du XXe siècle, au retour à Paris, j’intitulai mon reportage sur le Royaume : « Borgia ou Capétiens ? ». A notre époque, je pose la même question mais cette fois j’y apporte au moins un début de réponse : oui, la Séoudie actuelle relève bien de ces deux dynasties si différentes mais, avec l’arrivée sur la scène politique vers 2017 de l’émir héritier Mohamed, fils du roi Selmane à présent régnant, on peut avancer que le côté capétien tend a l’emporter sur le côté Borgia.
L’affaire Kashoggi
Certains lecteurs seront sans doute surpris car ils se souviendront de l’élimination violente à Istamboul, en 2018, du journaliste turco-séoudien Jamal Kashoggi par ordre, dit-on, du prince héritier Mohamed ben Selmane. (Photo de droite vers 2018). Or il faut savoir ce que même mes confrères Chesnot et Malbrunot ne disent pas (pourquoi ?) dans leur nourrissante bio de « MBS » (Éd. Michel Lafon, 270 pages, 2024), c’est que Kashoggi était un influent frère-musulman, ennemi des Séoudites et aussi de la France, des chrétiens et des régimes musulmans proches de nous. Surtout, Kashoggi passait pour avoir secrètement trahi les services secrets séoudiens au profit de ceux de la Turquie, très proches, eux, des frères-musulmans …
Un émir séoudite pas comme les autres, un mahométan ni mystique ni fanatique
Né en 1985 a Ryad (à droite, une aile du Palais royal principal de Ryad) de la seconde épouse du futur roi Selmane, la princesse Fahida, le prince Mohamed n’a pas effectué d’études poussées en Occident comme nombre d’autres émirs séoudites et n’a pas eu non plus la vie cosmopolite débridée qu’on prête souvent à ces altesses arabes richissimes. Ainsi il n’aurait appris qu’assez tard à parler couramment le sabir anglo-américain devenu partout quasi obligatoire. Il s’est au contraire toujours montré attaché à la vie arabo-musulmane traditionnelle avec une tendance a la sobriété. Il n’aurait ainsi à ce jour qu’une seule épouse, la princesse Sarah, avec laquelle il vit et a eu plusieurs enfants. Ni mystique ni fanatique, il est regardé par ses coreligionnaires comme un musulman modère exemplaire. On parle aussi beaucoup de sa fierté d’être arabe, de son fort nationalisme séoudien et de son assiduité au travail étatique.
Il admirerait le président Poutine (Photo à droite en sa compagnie) et considèrerait le président Macron comme « pas sérieux », et en tout cas il lui tient la dragée haute alors que le chef de l’Etat français pensait pouvoir le mettre à sa main …
Même attitude indépendante avec le président Biden (à gauche) auquel il a osé refuser d’augmenter la production de naphte séoudien, ce qui a stupéfait le monde politico-pétrolier international …
Un « néo-Ataturk » ?
Notre confrère algérien de nationalité française, Slimane Zeghidour, bon connaisseur de l’islam politique et des musulmans en général est allé jusqu’à nous décrire Mohamed ben Salmane comme un néo-Ataturk . Disons plutôt un néo-Reza-Chah Pahlavi car le prince héritier séoudite est profondément royaliste … Donc, le voici maintenant à la tête, de par la volonté de son père, le vieux roi Selmane (photo de droite), d’un royaume de plus de 2 millions de km2, peuplé de 37 millions de sujets en bonne santé et cachant sous ses sables une inépuisable mer d’hydrocarbures. Certes la dynastie séoudite ne descend pas du prophète Mahomet comme les monarques du Maroc ou de Jordanie mais elle repose sur une riche histoire guerrière un peu comparable en effet à celle des Capétiens, histoire remontant à 1744 et marquée par un nouveau départ spectaculaire en 1932.
Une ville a nulle autre pareille
Après une vraie libéralisation de la vie quotidienne des Séoudiens, notamment pour la jeunesse et les femmes et le lancement touristique de la magnifique région nabatéenne du nord du royaume (Vue de droite), Mohamed ben Salmane a lancé, avec des experts du monde quasi entier, le mégaprojet de cité totalement nouvelle, prénommée Neom, prévue pour 9 millions d’âmes, sans voitures ni usines mais s’étendant sur 170 km et 500 m de haut ! Bref un chantier de règne. Un chantier sur lequel le mot « démocratie » n’a pas cours … ■ PÉRONCEL-HUGOZ
Ci-dessous le projet Neom (En cours de réalisation)
Sur cette réalisation extraordinaire, lire l’étude de Laurent Làmi (JSF 4 octobre 2023) : L’Arabie Séoudite et le projet The Line
Publié le 6 juin 2024 – Actualisé le 29 août 2024
Longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, Péroncel-Hugoz a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il a travaillé pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Les lecteurs de JSF ont pu lire de nombreux extraits inédits de son Journal du Maroc et ailleurs. De nombreuses autres contributions, toujours passionnantes, dans JSF.
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