1239 : Première représentation du Miracle de Théophile, de Rutebeuf
Si l’on connait relativement bien la vie même de Rutebeuf, et en tous cas ses moments les plus importants, on ne dispose, curieusement de presqu’aucune date en ce qui le concerne. C’est dans l’exposé suivant – très intéressant malgré son aspect un peu austère – que l’on trouve la date du 8 septembre pour la première représentation publique, sur le parvis de Notre-Dame, du Miracle de Théophile, œuvre commandée au poète par l’évêque de la ville lui-même.
Une partie du vitrail de la cathédrale de Beauvais, raconte le Miracle
On trouvera cette œuvre expliquée et commentée dans notre éphéméride-évocation du 28 mai : Quand la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais a reçu, au XIIIème siècle, son extraordinaire vitrail du Miracle de Théophile.
Et, sur le lien suivant – très technique et sans intérêt pour le grand public et les non-spécialistes – un petit tableau, en haut à droite, qui donne accès à tous les textes de Rutebeuf :
Bien sûr, pour le grand public, aujourd’hui, Rutebeuf reste d’abord connu pour sa Griesche d’Hiver, ou
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu’arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n’aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m’était à venir
M’est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m’évente
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta.
L’espérance de l’endemain, ce sont mes fêtes.
1830 : Naissance de Frédéric Mistral
Le Mas du Juge à Maillane maison natale de Mistral
Mistral reçut le Prix Nobel de Littérature 1904. Le fait – important pour l’époque – est à noter quoiqu’il n’ajoute rien à sa gloire. Ni Homère, ni Virgile, ni Dante, n’ont reçu le Prix Nobel de Littérature et ils forment pourtant ce cercle des Princes du Chant Sublime dont parlait Maurras, qui, bien-sûr, y rangeait Mistral. Cela dit seulement pour ceux qu’impressionnent les distinctions mondaines plus que la plus haute des poésies. Passons.
Autre intérêt, prosaïque du Nobel : Mistral consacra la totalité de la somme d’argent qui accompagne le prix nordique à la réalisation de ce qui lui tenait, alors, le plus à cœur : la création du Muséon arlaten tout entier voué à la Provence.
C’est Lamartine qui l’a lancé, en le faisant connaître à la France entière par son Quarantième Entretien (extraits) :
« …Je vais vous raconter aujourd’hui une bonne nouvelle ! Un grand poète épique est né. La nature occidentale n’en fait plus, mais la nature méridionale en fait toujours : il y a une vertu dans le soleil. Un vrai poète homérique en ce temps-ci; un poète né, comme les hommes de Deucalion, d’un cailloux de la Crau; un poète primitif dans notre âge de décadence; un poète grec en Avignon; un poète qui crée une langue d’un idiome comme Pétrarque a créé l’italien; un poète qui, d’un patois vulgaire, fait un langage classique d’images ravissant l’imagination et d’harmonie l’imagination et l’oreille un poète qui joue sur la guimbarde de son village des symphonies de Mozart et de Beethoven; un poète de vingt-cinq ans qui, de son premier jet, laisse couler de sa veine, à flots purs et mélodieux, une épopée agreste où les scènes descriptives de l’Odyssée d’Homère et les scènes innocemment passionnées du Daphnis et Chloé de Longus mêlées aux saintetés et aux tristesses du christianisme, sont chantées avec la grâce de Longus et avec la majestueuse simplicité de l’aveugle de Chio, Est-ce là un miracle ? Eh bien ! ce miracle est dans ma main : que dis-je ? Il est déjà dans ma mémoire, il sera bientôt sur toutes les lèvres de toute la Provence…
…Sa physionomie, simple, modeste et douce, n’avait rien de cette tension orgueilleuse des traits ou de cette évaporation des yeux qui caractérise trop souvent ces hommes de vanité, plus que de génie, qu’on appelle les poètes populaires : ce que la nature a donné, on le possède sans prétention et sans jactance. Le jeune provençal était à l’aise dans son talent comme dans ses habits; rien ne le gênait, parce qu’il ne cherchait ni à s’enfler, ni à s’élever plus haut que nature.
La parfaite convenance, cet instinct de justesse dans toutes les conditions, qui donne aux bergers, comme aux rois, la même dignité et la même grâce d’attitude ou d’accent, gouvernait toute sa personne. Il avait la bienséance de la vérité; il plaisait, il intéressait, il émouvait; on sentait dans sa mâle beauté le fils d’une de ces belles arlésiennes, statues vivantes de la Grèce, qui palpitent dans notre Midi. »
(Alphonse de Lamartine, Cours familier de littérature. Tome septième).
Léon Daudet en parle ainsi dans Souvenirs et polémiques (Robert Laffont, collection Bouquins, 1993, p. 36-37) :
« On l’a comparé souvent à Goethe. Il est lui-même. Ce qui frappe le plus, dans ses propos, c’est l’harmonie des plans, la perspective qu’il a dans l’esprit, comme un descendant d’aïeux qui ont longtemps contemplé le ciel étoilé et la plaine. Tel il était il y a trente ans, et plus loin encore dans mon souvenir, jugeant équitablement les hommes et les choses, célébrant son pays et poursuivant avec méthode son plan de reconstruction provinciale, dont ses amis eux-mêmes n’apercevaient peut-être pas toute l’ampleur. Il est clair, limpide comme la source, mais profond, et sa bonhomie n’exclut pas la méfiance.
À Paris, on le discutait, on harcelait mon père : “Pourquoi n’écrit-il pas en français, votre Mistral ? Relever la langue d’oc, un patois, c’est une chimère, c’est un rêve… Daudet, votre amitié vous aveugle sur l’importance de ce mouvement.” On a vu depuis qu’au contraire l’œuvre de Mistral était et est des moins chimériques, des plus utiles qui soient. Le maître de Maillane est pour la moitié dans la superbe résistance de l’Alsace-Lorraine. C’est aux armes forgées par lui, à ses méthodes, à ses principes qu’ont eu recours les mainteneurs malgré tout de l’âme héroïque de l’Alsace, de ses coutumes, de ses aspirations.
Poète et le plus doué de tous, Hugo compris, sans comparaison possible, Mistral connaît en outre les secrets de la cité et ceux du verbe, les moyens d’étayer la cité par le verbe et réciproquement. C’est un sorcier, au sens étymologique du mot, un trouveur d’ondes jaillissantes. Il ne frappe pas en vain le roc stérile. Si vous voulez mon avis, Mistral est bien grand, mais l’avenir le fera plus grand encore. Dans les abris posés et chantés par lui, les nations opprimées iront, au cours des âges, chercher un refuge contre la force brutale. Dictionnaire, poèmes, drames, propagande, fêtes commémoratives, costumes, allocutions, exemple de la longue vie passée au même endroit, tombeau, tout cela se complète et défie le temps et l’oubli. »
« Sount mort li béu diséire, mai li voues an clanti.
Sount mort li bastisséire, mai lou temple es basti. »
Chez lui, à Maillane : « …longue vie passée au même endroit… »
Voir notre album Maîtres et témoins (I) : Frédéric Mistral. (90 photos)
Voici la suite – et la fin – de notre évocation de Frédéric Mistral, à travers sa poésie, que nous avons décliné en trois temps.
Aujourd’hui, 8 septembre, date anniversaire de sa naissance, nous achevons la lecture commencée le 29 février (attribution du Prix Nobel de littérature), et poursuivie le 25 mars, jour anniversaire de sa mort.
Et nous évoquons cette poésie au moyen de deux poèmes (ou extraits) à chaque fois, soit au total six textes majeurs, qui permettent de se faire une première idée du fond de ses inspirations.
1. Le 29 février, nous avons lu un poème que l’on qualifiera de chrétien, tant est forte et sous-jacente partout chez Mistral cette source d’inspiration : La coumunioun di sant (La communion des saints) de 1858. Puis l’enracinement dans l’Histoire provençale et dans cette Provence charnelle, à travers ses paysages et ses villes. L’amour profond pour sa terre transparaît évidemment lui aussi partout chez Mistral : « …Se quauque rèi, pèr escasènço… » (Si Clémence était reine…, Mireille, Chant II)
2. Le 25 mars, nous avons lu un extrait d’un poème de combat, pourrait-on dire : I troubaire catalan (Aux troubadours catalans, partie I) de 1861. Puis, un poème peut-être un peu plus politique : A la raço latino (Ode à la race latine) de 1878.
3. Enfin, aujourd’hui – 8 septembre – nous allons voir le Mistral virgilien et homérique, paysan au sens fort et grand du terme, de l’Invocation de Miréio (Mireille). Et, pour finir – épique et historique – l’Invocation de Calendau (Calendal).
L’invocation de Mirèio. Le Mistral Virgilien et Homérique.
Épique et historique, l’Invocation de Calendau, simple pêcheur de Cassis.
E dins sa lengo e dins sa gèsto; Dans son histoire et dans sa Geste;
Trois de nos éphémérides essayent donc de restituer au moins une partie de la puissance et de la beauté de la poésie mistralienne (8 septembre, naissance; 25 mars, décès; 29 février, Prix Nobel) : elles sont réunies et « fondues », pour ainsi dire, en un seul et même PDF, pour la commodité de la consultation : Frédéric Mistral
Mais six autres éphémérides rendent compte de son action, de ses initiatives ou d’autres prises de position importantes :
• la création du Félibrige et la fête de son Cinquantenaire (éphéméride du 21 mai) ;
• l’institution de la Fèsto Vierginenco (éphéméride du 17 mai) et celle de l’Election de la Reine d’Arles (éphéméride du 30 mars) ;
• le contexte historico/politique de la création de la Coupo Santo (éphéméride du 30 juillet) ;
• Frédéric Mistral récite L’Ode à la Race latine à Montpellier (éphéméride du 25 mai) ;
• enfin, la publication de son brûlot anti-jacobin, fédéraliste et décentralisateur, donc authentiquement politique, traditionaliste et réactionnaire : La Coumtesso (éphéméride du 22 août)
Cette éphéméride vous a plu ? En cliquant simplement sur le lien suivant, vous pourrez consulter, en permanence :
ces deux commentaires sur l’oeuvre de Mistral sont très intéressants. Il faudrait aujourd’hui remettre au premier plan ce merveilleux poète et ce provençal qui savait aussi être un vrai français. L’institution du Félibrige, bien discrète de nos jours, doit également être remise en valeur.
Merveilleux Mistral qui nous conforte dans nos racines chrétiennes et provençales.Quelle belle coincidence de naitre le méme jour que notre Mère,la Vierge Marie fétée le 8 septembre…Soyons moins discrets comme l’étaient nos anciens et soyons fiers de nos appartenances.Confiance,paix,joie.
Merci pour l’hommage rendu à Frédéric MISTRAL.
Il était né le Jour de la Nativité de la Vierge Marie, et décède le Jour de l’Annonciation.
Sa maman voulait , à cause de la Vierge , le
prénommer Nostradamus,en hommage à la
Vierge ,et en rapport à Michel de Notre-Dame, un voisin provençal.
Comme ce fut refusé ,on l’appela Frédéric.
Le texte conçu par Léo Ferré ne suit pas exactement celui de Rutebeuf ; cela dit hors la restitution en français actuel. Cette admirable réussite en chanson du XXe siècle (avec gente et pleine mélodie parfaitement adaptée) a été établi avec des extraits de DEUX textes de Rutebeuf, tous deux figurant au nombre de ce que l’on a retenu dans le groupe dit des «Poèmes de l’infortune». Il s’agit bien, d’une part, de «La Griesche d’yver» («L’entrée d’hiver») et, d’autre part, de «La Complainte Rutebeuf» (d’après les tristesses de son mariage), à laquelle «Pauvre Rutebeuf» a le moins emprunté (la strophe initiale, légèrement revue) :
«Ne convient pas que vous raconte
Comment je suis mis à honte,
Car bien avez ouï le conte
En quelle manière
Je pris ma femme der(re)nière. »
Et puis ce passage que l’on ne peut dire sans frémir d’émotion (auquel j’ajoute entre crochets des vers que Ferré mit de côté) :
« Que sont mes amis devenus
Que j’avais si près tenus
Et tant aimés ?
Je crois qu’ils sont trop clairsemés ;
[Ils ne furent pas bien semés,
Si sont faillis (aussi, font défaut)
Tels amis m’ont mal bailli (donné)
C’onques, tant comme Dieu m’assailli (qu’en telles circonstances Dieu m’éprouva)
En maints côtés,
N’en vit un seul en mon osté (ma compagnie).]
Je crois le vent les a ôtés,
L’amour est morte :
Ce sont amis que vent emporte,
Et (comme) il ventait devant ma porte
(ce vent) Les emporta.»
Quant au reste de la chanson, effectivement tiré de «La Griesche d’yver», c’est encore adapté de diverses manières et, surtout, ne représente pas plus d’un dixième du poème. Il faut préciser que, pour l’essentiel, la langue de Rutebeuf nous reste difficilement – très difficilement– accessible (non aussi comme le provençal de Frédéric Mistral, mais quasiment tant). Si bien que la chanson de Léo Ferré est grande œuvre, œuvre pie, car elle nous donne accès à la très haute «sentimentalité» médiévale, aussi éloignée du vil sentimentalisme, notre contemporain, que notre présent parler apparaît vilain, quand on le compare au rude et subtil langage du noble et beau XIIIe siècle.
Il faudrait qu’un inspiré médiéviste s’attaquât à l’œuvre complète de Rutebeuf et en livrât restitution immédiatement compréhensible aux pauvres sires que sommes si malheureusement devenus céans.
Et vive Léon Daudet ! au passage et toujours, pour sa spirituelle perception des choses, des êtres et des œuvres. C’est celui-là, entre les Français de la haute intelligence, qui sait le mieux inféoder la vertu culturelle à la Seigneurie sainte qu’est la Vierge Marie…
Et «par ainsi» (comme on disait antan), en sa «Chanson de la plus haute tour», Arthur Rimbaud savait encore confusément se demander :
«Ô mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie?»