Par Antoine de Lacoste.
« … Un homme décidé peut faire beaucoup, même lorsqu’il dirige un petit pays. »
« Bref, la mère c’est une femme, le père c’est un homme et laissez nos enfants tranquilles ! Point final ! Fin de discussion. »
Être obligé de rappeler ces vérités élémentaires et en vigueur depuis que Dieu créa l’homme en dit long sur l’état de déliquescence des sociétés occidentales. C’est Viktor Orban, premier ministre hongrois depuis 2010, qui a tenu ces propos en 2020 devant le Parlement. C’était à l’occasion de l’adoption d’un texte sur la protection de l’enfance contre de « possibles interférences idéologiques ou biologiques ». Naturellement ce vote fut réduit à une « offensive anti-LGBT » dans la presse française.
Voilà donc quatorze ans que Viktor Orban trace un autre sillon en Europe, à rebours de la dictature des minorités qui s’installe progressivement comme elle le fit aux Etats-Unis il y a bien longtemps.
Orban a toujours fait de la politique. Dès sa vie étudiante, il s’engagea contre le régime communiste et rédigea un mémoire sur le mouvement polonais Solidarnosc. Avant la chute du mur, il participa en 1988 à la création du Fidesz, parti alors libéral. Rappelons que la Hongrie fut, après la tragédie de 1956, le pays le plus tolérant des dictatures communistes d’Europe de l’Est. Elu député en 1990, à 27 ans, il n’avait pas alors les idées qu’il professera ensuite. Il était indifférent à la religion, et ses discours étaient davantage libertariens que de tendance nationale-conservatrice. En 1989, il avait même obtenu une bourse de la fondation Soros pour étudier la science politique à l’université d’Oxford…
Ses dons d’orateur et son sens de l’organisation et du contact lui permirent de prendre la direction du Fidesz en 1993. A la tête d’une coalition de droite qui remporta les élections en 1998, il devint premier ministre et commença une sorte de rechristianisation de la Hongrie avec un patriotisme intransigeant comme support.
Qu’est-ce qui avait provoqué ce changement chez lui ? Question toujours délicate, mais il semble que son mariage ait joué un rôle majeur. Elevé, comme beaucoup de Hongrois dans la religion protestante, Orban épousa une catholique, Aniko Lévai, en 1993. Certes, ce fut un pasteur qui bénit le mariage mais c’est à partir de ce moment qu’Orban évolua vers le national-conservatisme au grand dam du pasteur qui devint un opposant. Le couple eut cinq enfants et fut reçu au Vatican par Benoit XVI.
Le premier mandat ne se passa pas très bien. La Hongrie connaissait une grave crise économique et Orban perdit d’un cheveu les élections législatives de 2002 remportées par les socialistes. Il n’avait pas eu le temps d’imprimer une nouvelle voie pour son pays mais avait tout de même posé un acte symbolique : l’installation au parlement de Budapest de la couronne de Saint Etienne, premier roi catholique et saint patron de la Hongrie (1000-1038).
Après un nouvel échec en 2006, Orban ne se découragea pas et remporta un succès éclatant en 2010 avec 53% des voix et la majorité des sièges. Cette fois, il mit très vite les choses au point et réforma la constitution pour préciser que le mariage est « l’union entre un homme et une femme ».
Peu de temps après, l’Europe fut confrontée à une grande crise migratoire, la première aussi spectaculaire : des millions de personnes venues de Syrie, d’Irak (des Kurdes essentiellement), d’Afghanistan, du Pakistan et de bien d’autres pays prirent la route des Balkans avec la complicité de la Turquie. Tétanisés, les dirigeants européens ne surent que faire, sauf Angela Merkel qui dit oui (« Wir schaffen das ») et Viktor Orban qui dit non et fit mettre à ses frontières des barrières pour bloquer les immigrés afin de ne pas se faire submerger. Le bras de fer avec les institutions européennes et la très sympathique Commission de Bruxelles commençait.
A partir de ce moment, Orban suivit son chemin dissident malgré les menaces des grandes démocraties européennes. Il rejeta le concept de quotas de migrants, réforma le système scolaire en y introduisant notamment des notions de religion : « on ne peut pas éduquer les enfants en leur disant qu’il n’y a pas de vérité » dira Bence Retvari, le secrétaire d’Etat à l’Education. La réforme de la justice fit couler beaucoup d’encre. Orban en avait assez de ces juges tout puissants qui se substituaient au pouvoir politique et bloquaient les réformes. Il reprit la main en créant de nouvelles cours administratives dont les magistrats étaient nommés par le ministre de la Justice.
Encouragé par sa large réélection de 2014, Orban s’attaqua ensuite à un symbole fort : la Central European University de Budapest. Créée par Georges Soros en 1991, cette université anglophone était le cheval de Troie des idées que le milliardaire d’origine hongroise voulait diffuser dans son pays natal : rejet de l’identité nationale au profit de l’Europe, ouverture aux minorités, soutien aux réseaux luttant contre les gouvernements aux tendances trop nationalistes. Soros avait fait de l’Europe centrale sa cible prioritaire afin d’y faire évoluer les mentalités.
En 2017, une loi obligea les universités étrangères à justifier d’une activité dans leur pays d’origine, en l’occurrence les Etats-Unis. L’Université ne pouvait rien justifier puisque ses cours n’étaient dispensées qu’à Budapest même si les Etats-Unis reconnaissaient ses diplômes. La Commission de Bruxelles vola en vain à son secours : l’école de Soros quitta Budapest pour Vienne.
La campagne électorale de 2018 fut délibérément orientée contre Soros et ses réseaux mondialistes. Des affiches représentant le milliardaire avec la mention « Stop Soros », recouvrirent le pays. C’était un pari audacieux : les Hongrois allaient-ils s’intéresser à ce duel identitaire ? La presse européenne y vit une erreur qui pouvait entraîner la défaite du vilain dissident. Mais les Hongrois, à l’exception de Budapest, accordèrent une nouvelle fois leur confiance à Viktor Orban.
Le bras de fer avec les instances européennes s’intensifia. Orban multiplia les initiatives diplomatiques qui déplaisaient, en particulier ses fréquents tête à tête avec Vladimir Poutine. Il rencontra également Marine Le Pen et se fit encore remarquer par un grâcieux baise-main. Il a récemment récidivé avec Giorgia Meloni ce qui lui valut moins d’attaques bien sûr.
Son seul échec réside dans la politique familiale. Malgré tous ses efforts pour faire construire des crèches, augmenter les allocations, créer des primes à la naissance, il n’est pas parvenu à faire remonter la natalité hongroise. Les perspectives démographiques sont moroses et, comme la quasi-totalité des pays européens, la Hongrie voit sa population diminuer. Elle n’est pourtant pas si importante avec 9,5 millions d’habitants. Poutine connait d’ailleurs le même échec en Russie malgré des incitations financières encore plus importantes.
L’échéance de 2022 semblait pleine de périls : toute l’opposition se regroupa y compris avec l’extrême-droite, le Jobic. L’invasion de l’Ukraine pouvait le mettre en difficulté et les médias européens prédisaient déjà sa défaite. Ce fut un triomphe dans tout le pays malgré Budapest, acquise aux idées libérales et opposant du concept de démocratie « illiberale » forgé par Orban.
La ligne de crête n’est toutefois pas facile à tenir. Orban sait qu’il ne peut quitter ni l’OTAN ni l’Europe car ce serait contraire au souhait profond de la population hongroise. Ses adversaires européens le savent bien et ont tenté d’abattre le récalcitrant par le gel des subventions dûes à la Hongrie. Trente milliards d’euros ont ainsi été gelés sous le prétexte fallacieux du non-respect de l’état de droit.
Orban s’en sortit avec habileté. Il mit son veto à l’adhésion de la Suède à l’OTAN alors que l’unanimité est nécessaire. Les Américains firent pression sur l’Europe pour lever la difficulté et la Commission lâcha 10 milliards à Orban qui leva son véto. Au moins, on sait qui commande en Europe ! Il reste 20 milliards à négocier…
Isolé en Europe, hormis la Slovaquie, Orban poursuit son chemin avec conviction. Il a commencé sa présidence de l’Europe par une rencontre avec son ami Poutine pour explorer les possibilités d’une paix en Ukraine. L’initiative a déplu car l’Europe veut continuer la guerre. Gageons qu’il récidivera.
Le parcours d’Orban, qui est loin d’être terminé, prouve une chose : un homme décidé peut faire beaucoup, même lorsqu’il dirige un petit pays. Par son courage et ses convictions, Orban restera dans l’Histoire. Ce ne sera pas le cas de tout le monde en Europe. ■ ANTOINE DE LACOSTE
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