Le Général de Gaulle célèbre le 50e anniversaire de la bataille de la Marne. Après Meaux, Esternay et Bar-sur-Aube, le Général s’adresse aux Français sur le parvis de la cathédrale de Reims.
« Aucune région de notre territoire, aucun événement de notre histoire, ne permettent mieux que cette région où coule la Marne et que cet événement que fut la victoire remportée sur ces rives, voici cinquante ans, de mesurer les conditions dont bien souvent a dépendu le destin de la France.
En septembre 1914, une fois de plus, tout pour nous s’est joué ici, et par les armes. Dans la même contrée du nord-est où furent jadis les Champs Catalauniques, où Villars dans l’extrémité repoussa les impériaux, où à Valmy Brunswick recula devant l’élan militaire de la Révolution, où l’Europe coalisée submergea Napoléon. Où en 1870 passèrent les armées allemandes en marche vers la Capitale, la guerre devait décider de ce que nous allions être Ou bien de nouveau des vaincus sans qu’il y eût de recours ou bien, cette fois, des vainqueurs à qui resterait ouverte la carrière d’un grand Etat.*
A vrai dire, ce n’est pas sans une longue et méritoire préparation que nous avions abordé l’épreuve. Les lois d’organisation, de recrutement, d’encadrement mises en oeuvre par la République, avaient donné à notre armée l’armature, et même en dépit d’une désastreuse dénatalité, l’effectif qui la mettait en mesure d’accomplir les plus grands efforts.
D’autant plus que cette armée, d’année en année, s’était obligée à l’entraînement et à l’instruction voulus. Encore était-ce l’élite du pays qui, après les malheurs de 70, lui fournissait ses officiers de l’active et de la réserve. Par dessus tout, elle était la Nation en armes, de telle sorte que la même unité et la même volonté qui animaient le peuple français devant le péril mortel marquaient chacun de nos éléments militaires. Sans doute, la routine et la démagogie, avaient-elle, comme d’habitude, eu de funestes effets quant à l’armement et quant à l’équipement.
Mais au total, la France avait abordé la bataille des frontières avec un instrument de guerre plein de valeur et de ressort. Cependant, le premier choc avait été une immense surprise. Au point de vue stratégique, les prévisions de notre commandement s’étaient trouvées brutalement démenties par le fait que l’ennemi nous débordait largement à travers la Belgique et qu’il mettait tout de suite en action de nombreuses grandes unités de réserve. Il en était résulté l’isolement de l’armée belge et l’obligation pour nous de changer précipitamment nos objectifs et notre dispositif.
Au point de vue tactique, la théorie qui était à la base de nos règlements, et suivant laquelle l’attaque avait une valeur absolue, quel que pût être l’obstacle du feu, nous avait jeté du 20 au 23 août sur toute la ligne, au prix des pertes les plus graves, dans une ruée inconsidérée. A grand’ peine, notre armée décimée avait pu, en se repliant, échapper au pire désastre, son flanc gauche surtout, qui, complètement débordé, n’avait dû son salut qu’à la capacité manoeuvrière de Lanrezac et à la solidité du Corps expéditionnaire britannique.
Maintenant, notre armée s’efforçait d’établir son front face au Nord, entre le camps retranché de Paris et le camps retranché de Verdun, et de le maintenir face à l’est vers Nancy et dans les Vosges. Ainsi mesurait-on, une fois de plus, l’affreuse infirmité de notre frontière qui fait qu’un seul revers essuyé, aux sources de l’Oise, risque de mettre aussitôt la capitale de la France, et par là sa destinée, à la merci de l’envahisseur.
Il aurait suffi quelque part d’une erreur de manoeuvre ou d’une défaillance pour que l’ensemble fût disloqué. Alors, ç’aurait été la retraite derrière la Loire, le repli dans leurs îles de nos alliés anglais, le défilé des troupes allemandes sous l’Arc de Triomphe de l’Etoile et sans doute pour finir, une paix de démembrement. Mais telles étaient la cohésion et la résolution des nôtres, que d’aussi mauvais débuts ne les avaient pas entamés. On voyait par là, tout à coup, ce que valent, pour un pays, l’ordre et la discipline militaires.
Dans les premiers jours de septembre, j’en prends à témoins tous mes camarades de l’époque qui sont là, il n’y avait pas un seul combattant qui tînt la partie pour perdue. Et en même temps, dans l’union sacrée, proclamée par Poincaré, quelle que fût à l’intérieur l’angoisse publique, et lors même que le gouvernement avait du se transporter à Bordeaux, aucune intrigue politique, aucun trouble administratif, aucun mouvement populaire, ne contrarièrent en quoi que ce soit le redressement attendu. Or si la guerre sanctionne impitoyablement les déficiences et les défaillances, elle ne ménage pas le succès à la valeur et à la vertu.
Ce fut la fortune de la France que notre armée qui ne s’était pas laissée abattre par un revers initial eût alors, à sa tête, un chef qui ne perdit point l’équilibre. Joffre, à son quartier général, installé successivement à Vitry-le-François, à Bar-sur-Aube, à Châtillon-sur-Seine, à Romilly, avait vu se succéder les mauvais coups qui le frappaient, en même temps que ses soldats.
Extension au nord de la Meuse du mouvement tournant de l’ennemi, échec de notre offensive en Alsace, en Lorraine, dans les Ardennes et à Charleroi, repli précipité sur l’Aisne et puis sur la Marne depuis notre dispositif à l’ouest de Verdun. Mais la maîtrise de soi, la lucidité, l’obstination, qui marquaient essentiellement sa puissante personnalité, préservèrent le Général Joffre de ce renoncement du chef par où passe toujours le désastre.
Dès qu’il eut constaté l’effondrement de son plan, il se dressa, au contraire, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, comme d’autant plus résolu à l’emporter sur de nouvelles bases. A peine perdue la bataille des frontières, il avait fixé son dessein, porté l’effort principal à gauche au lieu que ce fût à droite, prélevé partout ce qu’il fallait pour modifier en conséquence la répartition des forces, différé coûte que coûte la reprise de l’offensive tant que cela ne serait pas fait, mais alors, l’engager d’un bout à l’autre, et sans restriction.
En attendant, résister à toutes les pressions, objurgations et péripéties, et imposer son autorité pour maintenir la cohésion. Il se trouva que le comportement du Généralissime répondait à celui de l’armée et de la nation, et c’est ainsi, qu’après des évènements qui auraient pu nous mettre en pièces, par un subit et étonnant retournement, nous allions aborder le choc décisif dans l’harmonie et dans l’espérance.
Or en même temps, c’était la discordance qui se faisait jour chez l’ennemi. Sous le commandement lointain et incertain du Général Von Moltke, les circonstances concourraient, à placer en état d’infériorité l’armée allemande qui croyait déjà tenir la victoire. Tandis que, pour notre adversaire, toute la question c’était sa droite, dont d’ailleurs son plan avait voulu qu’elle fût aussi puissante que possible, c’est elle, qui, dans l’espace de 10 jours, était devenue sa faiblesse.
Trop assuré, de l’issue des opérations de France, après l’avoir emporté sur les frontières, le commandement allemand avait prélevé, pour repousser l’invasion russe, en Prusse orientale, 4 corps d’armée sur son aile marchante.
Et en outre, celle-ci, dont les chefs n’imaginaient pas que les français seraient capables de se redresser, et en particulier qu’ils pourraient monter une manoeuvre d’envergure, cette aile marchante commettait la faute ainsi de changer les directions, en offrant son flanc aux forces que Joffre, tout justement avait rassemblé autour de la capitale. Pour nous, c’était le moment ou jamais. Galliéni, gouverneur de Paris, le vit et en rendit compte. Le Généralissime saisit aussitôt l’occasion, le 6 septembre, sur tout le front, nos forces passèrent à l’attaque.
On sait comment l’aile droite allemande, débordée sur l’Ourcq par Maunoury, impuissante à rompre dans les marais de Saint-Gond la résistance de Foch, désunie en 2 tronçons par l’avance au nord de la Marne de French et de Franchet d’Esperey, dans la région à l’est de Meaux, on sait comment, dis je, cette droite, le 9 septembre, fut contrainte de se replier. Et dans le même temps, Langle de Cary en Champagne et Sarrail, autour de Verdun, avait maintenu leur position, et même ressaisi l’avantage. Tandis qu’en Lorraine, Castelnau, et dans les Vosges, Dubail, s’étaient montrés inébranlables. Le haut commandement allemand, le 10 septembre, tirant les conséquences du bouleversement total de la situation ordonnait la retraite générale, à l’ouest de Verdun.
On sait comment l’ennemi, poursuivi par nos troupes, quelle que fût leur fatigue, se rétablissait avec peine, sur la ligne Noyon-Laon-Rethel-Stenay, sans aucune possibilité de la dépasser avant longtemps. Et Reims, libéré, devenait alors, pour tout le reste de la guerre, et au prix d’immenses destructions, un môle glorieux de notre front.
La France et son armée avaient vaincu sur la Marne. Si au départ, elles avaient dû payer cher l’illusion habituelle, l’illusion nationale, qui croit pouvoir fonder l’action sur le système et la théorie, en passant outre aux réalités, illusion qui nous avait causé de grandes lacunes d’armement, en particulier en fait d’artillerie et de mitrailleuses, et qui avait provoqué de graves erreurs stratégiques et tactiques, en revanche, voici que pendant les 5 grandes journées de septembre, tout avait compté à la fois. De ce que l’une et l’autre, la France et son armée, s’étaient longuement obligées à faire pour préparer l’épreuve d’un conflit et de ce qu’elles avaient su tirer d’elle-même pour gagner la grande bataille.
Mais dès lors que la victoire eut fait passer dans l’âme du peuple et des soldats son frisson incomparable, le salut de la France, dans cette guerre, était assuré, quelles que puissent être les crises par où il lui faudrait encore passer avant le terme. Et quand, après un quart de siècle, d’immenses malheurs fondirent sur la Patrie, c’est la confiance en son destin, enflammée sur la Marne, en septembre 1914, qui inspira la foi et l’espérance de ceux qui ne renoncèrent pas, tant il est vrai que chaque action passée dans la vie d’un peuple entre en compte dans son avenir. Il n’y a qu’une Histoire de France.
Vive la France !
Ce magnifique anniversaire, marqué à Reims par cette si belle cérémonie et terminé par l’assemblée que voici, nous allons le marquer, tous ensemble, en chantant la Marseillaise. »
« Quel képi nous délivrera de la crise? »
Mais, mon pauvre ami, les képis bouffent tous au râtelier de l’OTAN ! Avez-vous vu la retraite dorée du Général de Villiers ? Hélas, Hélas, Hélas