La leader nationale-conservatrice est sortie renforcée du scrutin eupéen : après 18 mois de pouvoir, Giorgia Meloni est encore plébiscitée par les Italiens.
Comme l’annonçaient les sondages, Giorgia Meloni et son parti Frères d’Italie sont sortis grands vainqueurs des élections européennes : malgré une participation historiquement faible, la coalition gouvernementale a progressé de 44 à 47 % dix-huit mois après son arrivée aux affaires. Le centre droit italien ne connaît pas encore l’usure du pouvoir.
Un pari gagné donc pour Giorgia Meloni qui avait fortement personnalisé ce scrutin et en avait fait un référendum sur son action gouvernementale. C’est le seul gouvernement en place au sein de l’UE à sortir renforcé par le résultat des urnes et selon le politologue Giovanni Orsina, de la Luiss, l’équivalent de Sciences Po à Rome, « Giorgia Meloni peut raisonnablement compter sur 24 mois de navigation tranquille. »
Ailleurs sur l’échiquier politique italien, on a observé la chute vertigineuse du Mouvement 5 Étoiles (M5S) qui avait délaissé son ADN originel antisystème pour tenter une OPA sur la gauche italienne : c’est l’inverse qui s’est produit, le Parti démocrate d’Elly Schlein a absorbé une partie de l’électorat M5S et a grimpé à 24 % des voix. La dirigeante du Parti démocrate (gauche) se profile donc comme la future première opposante à la droite mélonienne.
Enfin, grand perdant des élections, l’ancien Premier ministre Matteo Renzi, longtemps faiseur de roi de la vie politique italienne, a raté superbement son entrée au Parlement européen : son parti Les États-Unis d’Europe n’a obtenu que 3,7 % des voix. Carlo Calenda, autre voix de l’extrême-centre avec sa petite formation Azione, ne transforme pas non plus l’essai.
C’est donc une recomposition politique qui poursuit son cours en Italie, qui mérite une fois encore l’appellation de laboratoire politique. Malgré un scrutin à la proportionnelle, la vie politique italienne évolue vers le bipartisme et l’on peut imaginer une chute sans fin du M5S, qui sera, à long terme, absorbé par sa gauche. Les petits partis crypto-centristes ont été délaissés au profit de l’affrontement de deux grands pôles, social-démocratie d’une part et droite nationale, conservatrice et libérale (appelée Centre-Droit en Italie), d’autre part. Giorgia Meloni a toujours œuvré en ce sens et n’a jamais renié le clivage droite-gauche – son parcours militant, ses campagnes électorales, ses écrits et jusqu’à son pragmatisme à s’atteler à la réalité des problèmes de l’Italie le prouvent. Ainsi, elle goûte, au moins sur le plan national, cette façon de faire de la politique et d’opposer deux visions claires pour le pays.
Après dix années de gouvernement de gauche, Giorgia Meloni a récupéré fin 2022 une Italie en crise profonde, démographique (1,24 enfant par femme), économique (la dette représente plus de 140 % du PIB), institutionnelle, (la législature précédente a connu 3 gouvernements en 4 ans) et migratoire.
Quel bilan au bout d’un an et demi de pouvoir ?
Politique familiale
La nomination d’Eugenia Roccella, ancienne de la Manif pour tous en Italie, au poste de ministre de la Famille et de la Natalité augurait d’un changement radical dans la politique familiale, pour affronter l’urgence démographique. Les premières mesures sont en revanche encore bien timides, par manque évident de ressources : entre 2022 et 2023, les aides sociales aux familles passent de 12,5 milliards d’euros à 17 milliards, soit une augmentation de 37 % tandis que les allocations familiales augmentent et que le quotient familial fait son apparition. En 2024, un panier anti-inflation – 100 produits à prix bloqués – mais aussi de nombreuses aides pour les crèches, les gardes à domicile, le congé parental, les personnes âgées, les mères en difficulté, visent également à soulager les familles italiennes. La volonté du gouvernement Meloni de faire intervenir dans les Centres de planification familiale des associations pro-vie d’aide aux mères en difficulté qui proposent des solutions alternatives à l’avortement, a fait hurler la gauche transalpine : Meloni s’est contentée d’affirmer qu’elle entendait appliquer pleinement la loi 194 (qui libéralise l’avortement) en offrant aux femmes concernées les conditions d’un vrai choix. Très récemment, une proposition de loi de Forza Italia, par la voix de son président Antonio Tajani qui est également vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, a lancé l’idée d’un revenu de 1 000 euros par mois pendant 5 ans pour les femmes dont le revenu annuel est inférieur à 15 000 euros si elles renoncent à avorter. Le fonds provisionné par le ministère de l’Économie et des Finances s’élève pour cela à 600 millions d’euros.
Des réformes structurelles sont donc engagées mais il manque encore la grande réforme fiscale en faveur des familles qui permettrait, de façon peut-être décisive, d’inverser la courbe démographique. Rappelons également qu’il faut au moins 10, voire 15 ans pour percevoir sur la population d’un pays les fruits d’une politique résolument familiale : on l’a vu dans la Hongrie de Viktor Orban, où la reprise de la natalité commence tout juste à se faire sentir, malgré une politique très volontariste menée depuis une dizaine d’années. Toute politique familiale se conjugue forcément sur le long terme, or le temps presse…
Immigration
Sur le plan migratoire, Giorgia Meloni n’a pas tenu ses promesses, entend-on en France, à gauche comme à droite. « Elle a été domptée » sourit-on à gauche, « elle a tout trahi » fulmine-t-on à droite. La réalité est évidemment plus nuancée, mais on ne peut que s’étonner que la droite française ait beaucoup repris les éléments de langage et d’analyse de la gauche.
Si Giorgia Meloni entend lutter contre l’immigration clandestine, elle ne s’oppose pas à la venue d’immigrés « réguliers » munis d’un contrat de travail, notamment pour les employés saisonniers dans le secteur touristique et hôtelier. En cause, un manque de travailleurs dû à une population très vieillissante (48 ans de moyenne d’âge, l’Italie est le deuxième plus vieux pays du monde après le Japon) et par conséquent une demande très insistante du patronat italien. Les chiffres donnés par le décret loi « Programmation des flux d’entrée légale pour les travailleurs étrangers » émanant du Ministère du travail pour la période 2023 à 2025 sont affolants : sur trois ans, 452 000 étrangers avec contrats de travail réguliers fournis par les entreprises italiennes sont attendus.
Ingénuité, pression du patronat, réels besoins ? Un peu tout cela à la fois, mais ce qui devait arriver arriva… Début juin 2024, d’importantes fraudes sont détectées par la Banque d’Italie : la voie d’entrée des travailleurs étrangers réguliers est devenue une des nombreuses possibilités d’immigration clandestine. Les services de l’État repèrent une augmentation insensée de contrats de travail saisonniers, en Campanie notamment, qui ne correspondent pas aux réels besoins de la région : « la criminalité organisée se serait infiltrée dans la gestion des demandes » et « les ’décrets flux’ ont été utilisés comme mécanisme pour permettre l’accès en Italie, par une voie formellement légale et sans risque, à des personnes qui n’en auraient pas le droit, probablement contre paiement de sommes d’argent [selon certaines sources, jusqu’à 15000 euros par migrant] », explique Meloni qui a saisi le procureur anti-mafia. Elle a également annoncé début juin vouloir entièrement remodeler l’actuelle loi immigration. À suivre donc.
Sur le front de l’immigration clandestine, le gouvernement italien a initié une action politique de long terme. « Nous n’avons pas été aussi rapides que nous l’aurions voulu » a-t-elle répété plusieurs fois, assumant cependant une politique dont les fruits ne sont pas visibles, ou spectaculaires, à court terme.
De nombreux décrets lois ont été pris pour limiter l’action des navires-ONG qui patrouillent au large de la Libye et déverse$^nt au Sud de l’Italie les clandestins récupérés : ces ONG – dont beaucoup sont allemandes et financées par les institutions, Bundestag ou église luthérienne – ont obligation de rallier le port attribué par les autorités maritimes italiennes sans pouvoir continuer à patrouiller et récupérer d’autres clandestins. Les ports attribués ne sont plus systématiquement au Sud, et venir de Méditerranée centrale jusqu’à Gênes, ou encore Trieste, n’est pas chose aisée. Les cas de « désobéissance civile » de ces ONG étrangères sont sanctionnés par des amendes ou même la mise sous séquestre des bâtiments.
Par ailleurs, des accords ont été signés avec la Libye, l’Égypte, la Tunisie pour tenter de tarir le flux migratoire avant d’embarquer pour l’Europe, en échange de fonds et de matériels.
L’intense activité diplomatique menée depuis 18 mois par Giorgia Meloni en Afrique avec le Plan Mattei, plan de coopération économique mais aussi migratoire, et à Bruxelles, afin de renverser le paradigme qui voulait qu’on ne traite la question migratoire qu’en terme de redistribution, semble commencer à porter ses fruits : du 1 er au 4 juillet 2024, 26 202 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes, contre 66 491 à la même période en 2023. On observe une baisse de 62 % sur la route de la Méditerranée centrale et de 69 % sur la voie balkanique.
Ce sont les accords noués en Afrique et la suspension de Schengen à la frontière italo-slovène qui expliquent en partie cela, mais aussi le nouveau regard porté sur l’Afrique : « L’approche économique italienne à l’égard de l’Afrique a changé au fil du temps. De plus en plus d’entreprises, d’associations et d’institutions s’aventurent sur le continent, au-delà de l’Afrique du Nord. En 2013, en Afrique subsaharienne, il n’existait qu’un seul bureau de l’Agence ICE (l’Agence italienne pour le commerce extérieur), et c’était celui de Johannesburg, en Afrique du Sud. En 2023, les bureaux d’ICE en Afrique subsaharienne sont passés à huit : Johannesburg, Accra (Ghana), Addis-Abeba (Éthiopie), Dakar (Sénégal), Lagos (Nigeria), Luanda (Angola)., Maputo (Mozambique) et Nairobi (Kenya) » explique Edoardo Secchi, économiste et grand acteur des relations franco-italiennes. Nul doute que ces liens nouveaux soient assortis de coopération migratoire.
Enfin, l’accord signé avec le Premier Ministre socialiste albanais Edi Rama fait figure de cas d’école : certains navires des garde-côtes italiens patrouillant dans les eaux internationales accosteront en Albanie, qui n’est pas membre de l’UE et par une sorte d’extra-territorialité, les dossiers de demandes d’asile y seront traités dans des centres d’accueil construits, financés et gérés par l’Italie. L’UE n’a pu trouver à y redire et c’est aujourd’hui un modèle qui est observé et réclamé à l’UE par 15 pays sur 27.
Une délicate partition
On a beaucoup dit que Giorgia Meloni soutiendrait la reconduction d’Ursula von der Leyen. Mais le manque de considération dont la dirigeante italienne a fait l’objet lors des discussions sur l’attribution des postes-lés des institutions européennes l’a fortement irritée. La tacite reconduction de la majorité Ursula, PPE, Socialistes et Renew, malgré un net recul des deux derniers aux dernières élections européennes et en dehors de toute considération pour les résultats du vote, l’a reléguée au rang d’observatrice. Cependant, si Ursula von der Leyen dispose, sur le papier, de toutes les voix requises pour son élection à la tête de la Commission par le Parlement nouvellement élu, elle n’est pas à l’abri de francs-tireurs, le vote se déroulant à bulletins secrets. Et l’on murmure que Giorgia Meloni négocierait durement un éventuel soutien en échange d’un poste de Commissaire européen de poids pour son pays.
Pendant ce temps, le groupe ECR, les Conservateurs et réformistes européens qu’elle préside a dépassé le groupe Renew en nombre d’élus. Mais la droite patriote avance en ordre dispersé : Viktor Orban vient de créer un groupe où, outre le FPÖ autrichien, il tente de faire rentrer la Ligue de Matteo Salvini mais aussi… le Rassemblement National. Le schéma qui se dessine semble être celui, renforcé, de la fin de la précédente législature : une alliance au cas par cas des différents groupes de droite, allant parfois même jusqu’au PPE selon les dossiers. L’objectif étant de freiner le Green Deal et d’affronter la crise migratoire en consolidant notamment les contacts noués en Afrique. La nomination à la tête de la diplomatie européenne de Kaja Kallas (Renew), Premier ministre de l’Estonie, viscéralement anti-Poutine et très impliquée dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, fait craindre à Giorgia Meloni de voir le rôle central qu’elle a acquis sur le plan international s’effriter, s’amoindrir.
Or une partie du consensus dont elle jouit au sein de la population italienne vient de ce rôle central qu’elle a su redonner à l’Italie sur le plan international mais aussi de cette stabilité institutionnelle retrouvée. Il lui reste encore trois ans avant les prochaines élections législatives… ■ MARIE D’ARMAGNAC