Lire aussi dans JSF : « Saturation migratoire » (Editorial du Figaro du 11 septembre).
Cet entretien commente et illustre sur un mode universitaire cette « saturation migratoire » manifeste partout, quoique sous des formes diverses, au cœur des peuples européens. Et notamment en Allemagne qui, presque immédiatement après les succès électoraux de l’AfD en Saxe et Thuringe, a annoncé sa décision de reprendre le contrôle de ses frontières. La page est ainsi tournée outre-Rhin de l’ère Merkel qui avait décidé en 2015-2016, tout aussi unilatéralement, l’accueil sur son sol de millions de réfugiés syriens et autres. L’Allemagne d’aujourd’hui, agissant indépendamment voire contradictoirement avec la politique de l’U.E. démontre par là – entre autres à la France – que le danger européiste, s’il est bien réel, consiste en vérité bien plutôt dans l’absence de volonté politique des gouvernements, le nôtre en particulier. Cet entretien rappelle en effet que les moyens existent – juridiques et autres – de s’affranchir – en les modifiant – des traités internationaux existant en la matière, mais aussi de la tutelle de l’U.E. La mise en œuvre des dits moyens sera toutefois plus difficile, il est vrai, pour un État comme le nôtre qui s’est laissé aller à constituer une dette de 3200 milliards d’euros…
(Entretien paru dans le Figaro du 11 septembre).
ENTRETIEN – L’Allemagne a annoncé qu’elle étendrait le contrôle de ses frontières, notamment avec la France. Cette mesure, qui contrevient aux traités internationaux européens, révèle un bras de fer entre Bruxelles et les gouvernements sur la question migratoire, estime le professeur Gérard-François Dumont.
Gérard-François Dumont est Professeur à Sorbonne Université, président de la revue Population & Avenir et auteur de Géographie des populations (Éditions Armand Colin, 2018).
« L’Allemagne n’a pas su intégrer cette masse d’immigrés : cela s’est retrouvé dans les urnes ces dernières semaines, et dans cette décision du gouvernement. »
LE FIGARO.- Lundi, l’Allemagne a annoncé qu’elle étendrait les contrôles à l’ensemble de ses frontières, incluant désormais la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark. Berlin considère cette mesure indispensable pour la «protection de la sécurité intérieure ». Cela peut-il vraiment permettre d’enrayer l’immigration illégale ?
Gérard-François DUMONT. – C’est tout l’objectif de cette mesure, qui signifie deux choses. Premièrement, l’Allemagne annonce qu’elle ne veut plus accueillir de migrants en situation irrégulière, ce qui est un point non négligeable. L’effet d’annonce est d’autant plus significatif que les mesures prises sont concrètes, telles que la suppression de l’aide aux demandeurs d’asile ayant déposé un dossier dans un autre pays de l’Union européenne. S’il est vrai que le contrôle réel de toutes les frontières allemandes est ardu à mettre en place, des effets pourront être observés si les décisions sont réellement appliquées.
Bien entendu, l’Allemagne n’a pas un rideau de fer et ne saurait surveiller l’intégralité de ses frontières ; il s’agit, en réalité, de maîtriser les points de passage. D’autres outils comme les drones lui permettront sans doute de surveiller les autres territoires frontaliers, même sans présence physique. Lorsque l’on a la volonté politique de le faire, on a les moyens de le faire. La difficulté vient plutôt du fait que certaines décisions allemandes contreviennent aux traités internationaux qu’elle a, comme la France, signés.
Justement, cette décision réinterroge la libre circulation dans l’espace Schengen, d’autant plus que la coalition en place a également annoncé vouloir renvoyer plus de migrants en dehors de ses frontières. Une solution juridique «conforme au droit européen » telle que le souhaite Berlin est-elle possible ?
Cette décision ne va pas à l’encontre des règles de libre circulation dans l’espace Schengen dans la mesure où celles-ci prévoient qu’un pays puisse être autorisé, pour une période temporaire, à fermer ses frontières. En revanche, cela contrevient à la Convention de Genève (1951) sur le droit d’asile et la Convention européenne des droits de l’homme (1950), notamment en matière de regroupement familial. Il n’y a aujourd’hui pas de solution juridique possible conforme au droit européen puisque celui-ci vient moins des décisions de l’UE que de ces deux traités internationaux, qui existaient bien avant que commence le processus de mise en œuvre de l’UE.
Depuis plusieurs années, une action est conduite, non seulement pour rendre impossible la mission de Frontex, mais aussi pour en faire une Organisation non gouvernementale, simplement chargée d’accueillir les migrants en situation irrégulière.
Il est vrai que les décisions prises ensuite au sein de l’UE, qu’il s’agisse de règlements ou de directives, n’ont pas amélioré la possibilité de contrôler l’immigration irrégulière. Mais le fonctionnement général de la politique migratoire européenne demeure antérieur à la création même de l’Union européenne. L’Allemagne pourrait à tout moment s’extraire de ces traités, comme tout pays le peut. Il suffit de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme et ensuite d’y réadhérer, en formulant des réserves sur les aspects jugés trop contraignants.
Prenons l’exemple du regroupement familial. Fait étonnant, la Convention européenne des droits de l’homme l’oblige. De même, la Cour européenne de Strasbourg considère toujours qu’il doit être effectif dans un pays européen. Pourquoi serait-ce aux pays européens d’être systématiquement le lieu d’accueil privilégié du regroupement familial ?
Lors des élections régionales, le parti d’extrême droite AfD a enregistré des résultats records tandis qu’un nouveau parti de gauche, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) appelait de ses vœux un contrôle plus strict des flux migratoires. L’opinion publique allemande est-elle en train d’évoluer sur la question migratoire ?
Clairement, les résultats des élections illustrent combien l’opinion publique allemande a considérablement évolué. En effet, celle-ci mesure que ce qu’avait annoncé Angela Merkel en 2015 était parfaitement inenvisageable. Rappelons que la chancelière avait, sans jamais consulter aucun partenaire européen, décidé d’ouvrir systématiquement les frontières de l’Allemagne à quiconque présenterait un passeport syrien. À propos de l’intégration, elle eut cette fameuse formule : «Nous y arriverons».
Or, manifestement, l’Allemagne n’y est point arrivée. Preuve en est, la multiplication des violences commises par des migrants à l’égard d’Allemands, à l’exemple des multiples violences sexuelles déroulées à Cologne lors du nouvel an 2016, sans compter les actes terroristes perpétrés sur le territoire ces dernières années. Vraisemblablement, l’Allemagne n’a pas su intégrer cette masse d’immigrés : cela s’est retrouvé dans les urnes ces dernières semaines, et dans cette décision du gouvernement.
En réaction, la Commission européenne a affirmé qu’elle étudiait le fond de ces mesures qui doivent être «proportionnées » et rester «exceptionnelles », évoquant même des «mesures alternatives » telles que des «patrouilles conjointes » entre États européens. Qu’en pensez-vous ?
Des patrouilles conjointes opèrent déjà pour contrôler certaines frontières communes, en coordonnant une police nationale des frontières avec l’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, Frontex. Deux éléments sont à prendre en considération.
D’abord, faire appel à Frontex n’est pas une honte pour un petit pays comme la Grèce. Tout le monde perçoit que le contraste entre sa superficie et l’immensité de ses frontières maritimes et terrestres, couplé avec sa position géographique et sa proximité avec la Turquie, lui rend complexe le contrôle de ses frontières par ses propres moyens. En revanche, si un pays comme l’Allemagne demandait l’aide de Frontex, ce serait pour elle un motif de honte, puisque cela signifierait qu’elle n’est pas capable, avec ses propres moyens, d’assurer sa sécurité.
Le deuxième aspect est sensiblement plus grave : depuis plusieurs années, une action est conduite, non seulement pour rendre impossible la mission de Frontex, mais aussi pour en faire une Organisation non gouvernementale, simplement chargée d’accueillir les migrants en situation irrégulière. Le directeur de Frontex avait d’ailleurs été poussé à la démission, son rôle ayant été réduit au simple accueil des migrants, bien loin de la maîtrise de l’immigration irrégulière.
Penser que l’on puisse avoir une politique migratoire commune, malgré tant de différences démographiques, économiques et géographiques, relève d’un objectif sans doute idéal, mais à mon sens, inatteignable.
Une politique migratoire européenne commune est-elle possible ?
On comprend aisément que l’Union européenne souhaite une politique migratoire commune en raison du marché commun européen. Mais en réalité, les problématiques migratoires de chaque pays sont extrêmement différenciées. Au sein de l’Union européenne, il convient de distinguer les pays d’immigration -l’Allemagne ou la France- des pays d’émigration, c’est-à-dire des pays qui ont chaque année un solde migratoire négatif, comme la Roumanie ou la Bulgarie.
Deuxièmement, les besoins économiques des pays sont extrêmement diversifiés. L’Allemagne manque cruellement de population active parce que sa fécondité est très basse depuis de nombreuses décennies. Cet « hiver démographique » intense diffère de la situation française, puisque la France a encore une population active qui augmente. Pour elle, l’enjeu, pour satisfaire les besoins de son marché de l’emploi, est d’améliorer le taux d’emploi des personnes habitant déjà en France, pays qui compte un taux d’emploi particulièrement faible en Europe.
À cela s’ajoute une différence de problèmes d’intégration selon les pays. L’un des problèmes de l’Allemagne tient à l’intégration des populations issues de la Turquie, puis plus récemment des populations du Moyen-Orient. Quant à la France, l’intégration concerne des populations issues du Maghreb, zone géographique assez différente. Enfin, la répartition géographique des migrants selon les pays est, là aussi extrêmement différenciée. Le résultat de tout ceci est simple : penser que l’on puisse avoir une politique migratoire commune, malgré tant de différences démographiques, économiques et géographiques, relève d’un objectif sans doute idéal, mais à mon sens, inatteignable.
Quelques jours après sa nomination, Michel Barnier a déclaré sur le plateau de TF1 vouloir prendre des «mesures concrètes » pour la «maîtrise des flux migratoires » dont il veut faire une priorité. La France pourrait-elle imiter son voisin allemand ?
En réalité, tout cela n’est qu’affaire de volonté politique. Certes, si l’on s’appuie sur une interprétation laxiste de l’ensemble des traités internationaux, le champ d’action sera très restreint. Mais avec la volonté politique d’agir, de faire en sorte que le politique s’impose sur les réglementations, cela n’est pas exclu. La France peut tout à fait, si elle le souhaite, dénoncer les accords qu’elle a passés avec l’Algérie, qui permettent aux Algériens d’avoir un avantage migratoire plus élevé que les ressortissants d’autres pays. La France peut dès demain s’insurger pour que les pays étrangers délivrent des laissez-passer consulaires lorsqu’une personne doit être expulsée de France. La France peut également dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme tout en y réadhérant, sous des réserves, notamment concernant l’interprétation de l’article 8 de la Convention sur le groupement familial.
Une confrontation a lieu entre les gouvernements, d’un côté, Bruxelles, de l’autre. Les gouvernements travaillent pour l’intérêt de leur pays, mesurent les problèmes de concorde sociale que pose une immigration importante venue du Sud qu’ils souhaitent réguler. Le regard que porte, au contraire, l’UE sur ces questions est purement quantitatif, puisque l’idée d’une Europe multiculturelle y est prégnante. Le débat est là. Qui, des jurés et technocrates bruxellois, des gouvernements ou des populations vont l’emporter ? ■
Il faut garder à l’esprit que la France, hélas, est dirigée par des traîtres, des corrompus et des lâches et,