C’est oublié, mais le commerce extérieur français n’a pas toujours été déficitaire. La preuve. Si le début des années 90 commence mal, le solde se redresse, atteint l’équilibre en 1992, et redevient positif en 1993. Il faut remonter avant le premier choc pétrolier pour trouver un tel niveau ! Ce rétablissement spectaculaire est justement lié au contrechoc pétrolier qui réduit le déficit énergétique.
La panne de la demande intérieure entraîne aussi celle des volumes importés et contribue à l’amélioration. Il faut ajouter à ce tableau la reconquête des marchés extérieurs : encore déficitaire de 6 milliards d’euros en 1991, le solde des produits manufacturés passe au vert en 1993. Pourtant des premières digues se fissurent déjà. L’habillement en équilibre précaire depuis le milieu des années 80 chute et est devenu déficitaire. Après la crise, la courbe reprend son ascension, les excédents s’accumulent pour atteindre le record de 1,8% du PIB l’équivalent de 24 milliards d’euros. C’est un record qui tient toujours aujourd’hui. Ce sont les excédents industriels qui explosent. La France est alors triomphante dans l’automobile et succès d’Airbus aidant, les résultats de la branche transport s’envolent. Le couple agriculture-agroalimentaire parachève ce succès du « made in France ». Seule ombre à ce tableau, la déconfiture de la filière textile, qui plonge. C’est un héritage des dévaluations en série de nos plus proches concurrents, Royaume-Uni, Italie, Espagne qui ont entraîné une brutale perte de compétitivité. Le millésime 98 ne sera pas un aussi bon. A l’époque, la crise asiatique est mise en accusation. Le problème c’est que ce décrochage se poursuit jusqu’en 2000 et le solde commercial redevient déficitaire pour la 1ère fois depuis 8 ans. Le bref sursaut des 2001-2002 ne sera qu’une rémission, liée à l’attrition de la demande intérieure. Ensuite, c’est la dégringolade sans fin du solde du commerce extérieur jusqu’à 2011. C’est un véritable précipice.
Alors quelles explications ? Il y a d’abord un choc exogène. Le déficit pétrolier est multiplié par 2,5 avec la flambée du cours du brut qui passe de 25 à 112$ le baril. Il y a ensuite un choix politique constant de cajoler à tout prix le consommateur. Le revers de la médaille, c’est que l’on sacrifie les industriels. Le textile, le cuir et la chaussure deviennent un champ de ruine. Déjà déstabilisée dans les années 90, le secteur subit l’assaut décisif de la Chine après son entrée dans l’OMC en décembre 2001. La filière informatique-électronique chute à son tour et devient le premier déficit manufacturier. Dans l’électronique grand public, Thomson est balayé. Mais ce sont aussi les choix stratégiques de plusieurs grands groupes qui sont en cause. Dans l’automobile, Renault s’oriente vers le low-cost et délocalise : pas seulement pour servir les marchés émergents, mais aussi pour réimporter vers la France et l’Europe occidentale. Le solde auto français bascule dans le rouge. Mais il y a plus !
D’autres bastions jugés imprenables vont tomber à leur tour. C’est le cas de l’industrie alimentaire, qui subit les coups de boutoir des industriels allemands. L’alimentaire, le fameux pétrole vert de la France passe dans le rouge. Le déficit manufacturier sombre à 32 milliards d’euros. La descente aux enfers a heureusement une fin. Le déficit s’allège à partir de 2012. Des mécanismes plus favorables se mettent peu à peu en place. D’abord le ralentissement de la demande intérieure limite les importations alors que la croissance européenne reprend des couleurs. Puis en 2014, ce sont les bonnes surprises du contre-choc pétrolier, de la baisse de l’euro et du début de l’amélioration de la compétitivité notamment grâce au CICE. Mais c’est très poussif et l’essai n’a pas été transformé. Le simple réveil de la demande domestique en 2016-2017 fait replonger la courbe. L’impact direct de la pandémie en 2020 est limité exportations et importations reculant de façon synchrone. En revanche la désorganisation des chaines de production en sortie de crise et ses conséquences sur le prix des matières premières et les composants font à nouveau plier le commerce extérieur. Le coup de grâce est donné en 2022 par les répercussions sur le prix de l’énergie du conflit en Ukraine. Le déficit extérieur sombre dans les abysses à près de 165 milliards d’euros soit 6,2% du PIB.
Bien entendu, détente des cours des hydrocarbures aidant, la situation va nettement s’améliorer cette année. Mais même s’approcher de l’équilibre est hors d’atteinte. La base exportatrice s’est trop atrophiée au fil du temps malgré les mesures pro-offre prises ces dernières années. Notre commerce extérieur est dans le rouge et l’on ne voit vraiment pas comment la vapeur pourrait s’inverser à court terme. ■
Publié le mardi 10 septembre 2024
En effet. On peut s’endetter quand on a par ailleurs de bons résultats. Quand on est bon. S’endetter pour investir, réparer des injustices, améliorer la qualité de la vie chez soi. Réaliser un grand projet, une grande ambition, passer un cap. On peut s’endetter dans ces cas-là. On sait qu’on pourra rembourser. Mais quand on est mauvais et qu’on s’endette,, alors rien ne va plus. Notre commerce extérieur nous coûte 100 milliards par an et nous nous endettons seulement pour survivre. C’est ce qu’on appelle aller dans le mur.