Jeux coûteux, inaction plus coûteuse encore, dette considérable au point de fragiliser toute la zone euro… Soit la France continue de dépenser et deviendra insolvable, soit elle réduit sa dette et stoppe sa croissance. Telle est la vraie vie de nos finances.
La « vraie vie » financière ? Si la France continue à se doper à la dette, elle va vers une insolvabilité financière et une croissance nulle avec augmentation du chômage.
Telle est « la vraie vie » (Macron dixit) de l’économie française, tant il n’y avait aucune raison que la parenthèse enchantée empêchât la dette de continuer à croître, le déficit public de se creuser et les marchés de s’inquiéter. Certes le bilan des jeux en termes d’organisation et de rayonnement (sauf cérémonie d’inauguration) demeure positif, mais il convient d’en mesurer le prix. Son prix en termes de coût et de procrastination.
Quand l’outil public ne marche plus
Le pouvoir a démontré que l’action publique pouvait être efficace, à l’occasion des jeux, mais, maintenant, qu’attend-il pour le démonter dans le domaine qui est vraiment le sien ? Un homme comme Alain Minc, pourtant du sérail, met les pieds dans le plat en affirmant : « la situation politique inédite laisse la France sans solution… » En effet l’outil public ne marche plus : éducation, justice, exécution des peines, expulsion des OQTF… Et même l’armée, à considérer le budget militaire, squelettique par rapport aux enjeux actuels (2 % du PIB, taux inférieur à celui des État-Unis, de la Russie, de l’Arabie saoudite, de l’Inde, du Pakistan, mais aussi de la Corée du sud et… de la Grande Bretagne, pays comparable à la France), tandis que, selon le Sénat (loi de finances 2024), « des inquiétudes subsistent quant à l’atteinte des ambitions fixées par la programmation militaire ». Et que dire de la crise du logement, de la guerre des gangs et des 11 millions de pauvres dans un pays qui bat des records… d’allocations, réputées aller vers les plus démunis (32,2 % du PIB soit 849 milliards) ? À quoi donc ont servi les milliards de la dette et du déficit public, si ces domaines sont à la peine ou même en ruines ?
Les partis parlent aux partis
La classe politique demeure autiste et se refuse à entendre le cri des Français qui ont bien compris la situation de faiblesse budgétaire et régalienne du pays, outre le reste. Mais non ! Les politiques ne parlent que d’eux-mêmes et à eux-mêmes. La claque administrée par 11 millions de Français lors des législatives est tenue pour nulle et non avenue. Peut-on un seul instant croire que cette France-là va accepter sa marginalisation et rester tranquille ? Surtout si les effets de la dette conduisent à la mise sous tutelle du FMI et de la BCE avec sacrifices à l’appui : Bonnet rouges ou Gilets jaunes, le drapeau noir risque de flotter sur la marmite. La « vraie vie » risque d’être moins festive que les JO. Tout se passe comme si la démocratie servait à confisquer la volonté populaire et non à l’exprimer.
Le coût des Jeux, le jeu des coûts
Contribuables Associés détourne avec humour la devise olympique : « Plus vite, plus haut, plus cher ! » À quelques semaines de la cérémonie d’ouverture, la facture frôlait déjà les 9 milliards d’euros, soit 2 milliards de plus que ce qui était prévu en 2019.
La facture finale pourrait atteindre 11,8 milliards d’euros, estimait le cabinet de conseil Asterès dans une note de janvier 2024. Bien sûr, une partie du financement vient de la billetterie et de l’argent privé mais les JO devraient coûter entre 3 et 5 milliards d’euros d’argent public. Parmi les bénéficiaires, ceux qui sont déjà caressés par le système bureaucratique d’État, les cheminots travaillant pendant les épreuves recevront jusqu’à 1 900 euros de primes. Cette largesse profitera à 50 000 personnes. À la RATP, les conducteurs du métro et du RER ont obtenu un bonus s’étageant de 1 600 à 2 500 euros, s’ils travaillaient entre le 22 juillet et le 8 septembre prochain. Les contrôleurs aériens ont décroché le pompon avec des augmentations salariales allant jusqu’à 1 000 euros par mois. Une gratification sera aussi accordée aux salariés du groupe Aéroports de Paris. Tout se passe comme si le budget olympique reproduisait la structure des problèmes français. Bien sûr, certains de ces bénéficiaires sont gratifiés à juste titre, des primes de 1 900 euros seront versées aux forces de l’ordre, soit 500 millions supplémentaires. Dans le secteur de la santé, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a mis aussi la main à la poche. Elle versera 800 euros de primes (2 500 euros pour les médecins) aux personnels mobilisés lors des JO. Cette orgie dispendieuse donne à penser que « puisque c’est budgétairement foutu, soyons fous, une dernière fois ! » Sans compter le supplice de la baignoire (la Seine) facturé 1,4 milliard d’euros au contribuable !
Mais quid des recettes ? Elles avaient initialement été évaluées à 8,1 milliards d’euros. Elles devraient être moins élevées, de l’ordre de 5 milliards d’euros.
Procrastination
Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, misait en janvier sur un total de 3 milliards d’euros de coût pour l’Etat. Mais le 26 mars dernier, il revoyait sa copie. « Ces Jeux devraient coûter entre 3, 4 ou 5 milliards, nous verrons bien ». La Cour des comptes va l’auditer à l’issue de l’événement et, dans la tourmente financière qui s’annonce, le résultat finira sous le tapis. Toujours dans la procrastination, Macron attendait des Jeux qu’ils cachent pour un temps à l’opinion la crise de régime, il y a réussi très provisoirement (en réalité le bénéfice en fut aussi que les Français le voyaient moins). Mais plus dure sera la chute ! Déjà le revoilà avec ses discours cauteleux et calculateurs sur la nomination d’un nouveau Premier ministre. Cela ramène les Français, lassés dans leur immense majorité de l’entendre et de le voir, à leur morosité coutumière tant il est manifeste que la nomination d’un Premier ministre, dont ils n’attendent rien, n’est vraiment pas leur problème.
Le risque de la dette
Puisque nous sommes dans les médailles, restons-y avec Marc Touati, économiste : médaille d’argent du déficit budgétaire pour la France, à 5,6 %, juste derrière l’Italie, médaille d’or. Mais la France est le premier fournisseur de dette publique de la zone euro avec 24,4 % du total de la zone, cette fois c’est la médaille d’or ! De 2000 à 2024, la dette publique française a cru de 274 % (Allemagne : 109 %). On comprend, dans ces conditions, que le futur gouvernement devra se faire modeste et humble face aux institutions européennes et se plier aux quatre volontés de von der Leyen. Pendant que la dette augmentait, depuis 2019, de 774 milliards d’euros, le PIB n’augmentait que de 419 milliards, ce qui veut dire que la dette ne crée pas ou peu de croissance, un peu comme une voiture qui avancerait au démarreur par petits bonds successifs. Mais comment obtenir un PIB qui augmente plus que la dette ? Par le sérieux budgétaire, la cessation des dilapidations erratiques, la suppression des aides qui doublonnent et, pourquoi pas, la réduction du train de vie du satrape de l’Elysée qui a dépassé le budget alloué par les Français.
Une trajectoire fatale
La dissolution avait révélé la toute-puissance des marchés qui s’inquiétaient de la dette française. Le niveau considérable de sa dette (plus de 3 150 milliards d’euros) rend la France vulnérable à tout mouvement de défiance des investisseurs sur les obligations du Trésor français. Un risque d’assèchement des liquidités pourrait tarir les généreuses gratifications publiques. Et la différence de taux entre pays européens pourrait entraîner, avec la dette française, toute la zone euro.
Si, d’aventure, le nouveau gouvernement continue sur cette trajectoire, ce sera à brève échéance un cataclysme économique. Plus de la moitié de la dette étant détenue à l’étranger, les acheteurs refuseront de l’acheter et les taux d’intérêt augmenteront jusqu’à ce que l’annuité pour la dette atteigne le quart du budget annuel (75 milliards). Dans la foulée ce sont aussi les crédits aux ménages et aux entreprises qui augmenteront, rendant plus difficile encore la croissance et provoquant du chômage.
En souhaitant bien du plaisir au futur ministre de l’Économie, voilà l’équation de la « vraie vie » financière : si la France continue à se doper à la dette, elle va vers une insolvabilité financière et une croissance nulle avec augmentation du chômage, et si elle réduit drastiquement sa dette, elle connaîtra aussi la croissance nulle et le chômage : dans les deux cas, crise sociale à l’appui, dans une société déjà fortement fragilisée.
Comparaison n’est pas raison, on se souviendra, néanmoins, que face au risque de banqueroute de l’État royal, dû à son fort endettement et à l’absence de réforme fiscale, ainsi qu’à l’abolition de la réforme de Maupeou, le parlement rétabli (aujourd’hui le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, non élus) fut en partie à l’origine de la tenue des États généraux, point de départ de la Révolution. ■ OLIVIER PICHON