« Quand l’Action française loue les espoirs que la France blessée met en lui… Un texte méconnu que rappelle Marc Fosseux. »
Par François d’Orcival.
Cette chronique est parue dans le numéro de Valeurs Actuelles de la semaine en cours. Elle est à la première impression étonnante. En raison, d’abord, de la vision simpliste et manichéenne que l’historiquement correct a forgée et imposée après guerre sur les événements pourtant complexes de cette période si troublée. Les rapports humains sont ignorés. Ainsi, Maurice Pujo, écrivant sur Charles De Gaulle dans la débâcle de juin 1940 avait-il connu son père Henri dans sa jeunesse en 1904-1905 et l’admirait. Ainsi et surtout, L’Action Française avait-elle connaissance des idées du colonel de Gaulle en matière militaire et, bien plus, les partageait. L’article de Maurice Pujo date de quelques jours avant l’armistice et l’arrivée de Pétain au pouvoir. D’où naîtront les divisions que l’on sait. Mais quoiqu’il en ait été ensuite, l’esprit profond de résistance à l’Allemagne occupante de l’Action française ne fait aucun doute. C’est, au fond, ce que cette chronique met en lumière.
« Que l’Action française trace du Général un tel portrait tend à prouver que ce journal n’avait nulle prévention à son égard. Or l’Action française va traverser l’Occupation à Lyon jusqu’à son ultime numéro du 24 août 1944, en étant assimilé aux journaux pétainistes de la collaboration »
J’ai l’impression d’avoir quitté cette pièce hier. Sur mon bureau, il ne manque que mes piles de dossiers. Le général de Gaulle retrouve, le matin du 26 août 1944, le ministère de la Guerre qu’il avait quitté le 10 juin 1940. Paris fête sa libération depuis la veille. C’est l’un des chapitres les plus attendus du De Gaulle et Paris que Marc Fosseux, ancien secrétaire général de la Fondation Charles-de-Gaulle, vient de publier.
Un livre qui s’ouvre sur le rappel du parcours de la famille du Général, à commencer par un portrait de son père, Henri de Gaulle, qui fut colonel avant d’être professeur. (Ci-contre). Or, surprise, l’une des sources que cite Marc Fosseux est le quotidien l’Action française, daté du 9 juin 1940, qui publie, en page 2, un article intitulé « Le colonel de Gaulle », signé par le rédacteur en chef du journal, Maurice Pujo (Photo ci-dessous). Ce texte, le voici.
« Nos démocrates, nos socialistes font l’éloge du général de Gaulle. Ils louent en lui, avec raison, le soldat qui a su voir au-delà de la routine, celui dont l’extraordinaire intuition, jointe au solide bon sens, a tout prévu de la guerre nouvelle, les transformations qu’elle devait imposer à l’armement, à la tactique, à la stratégie.
« Mais aucun d’entre eux n’a essayé d’expliquer comment un esprit aussi libre, aussi puissant, témoignant d’ailleurs d’une aussi forte culture générale et technique, pouvait devoir sa formation à l’enseignement libre […], – que dis-je – à l’enseignement si honni des Jésuites!
« Assurément, c’était déjà le cas de Foch et de beaucoup d’autres. Pourtant celui de Charles de Gaulle est encore plus significatif :
« En effet, son père qui, après une belle carrière militaire, avait pris sa retraite comme colonel était devenu, aux premières années de ce siècle, après la loi de séparation qui interdisait l’enseignement aux congréganistes, le préfet des études laïc du grand collège des Jésuites à Vaugirard.
«Il était lui-même un homme très remarquable, de haute culture et d’intelligence ouverte. Jeune professeur, vers 1904 ou1905, venu à Vaugirard pour faire passer des « colles » aux candidats au bachot, j’ai gardé le souvenir ae la bienveillance du colonel de Gaulle, bienveillance d’autant plus précieuse qu’elle n’était pas banale et qu’il avait l’aspect plutôt sévère. [..].
« Certes, le nouveau sous-secrétaire d’État à la guerre a de qui tenir. Et que le général de Gaulle ait été formé par ce père rend plus solides encore les espoirs que la France blessée met en lui. »
Le général de Gaulle est alors quasi inconnu du grand public. Il a été nommé, trois jours plus tôt, sous-secrétaire d’État à la Guerre, au moment où l’armée allemande renverse les Français. Ce dimanche 9 juin, le chef du gouvernement, Paul Reynaud, l’a envoyé négocier avec Churchill à Londres. Le lendemain soir, ils quittent Paris en voiture vers Orléans. Que l’Action française trace du Général un tel portrait tend à prouver que ce journal n’avait nulle prévention à son égard. Or l’Action française va traverser l’Occupation à Lyon jusqu’à son ultime numéro du 24 août 1944, en étant assimilé aux journaux pétainistes de la collaboration ; Maurice Pujo sera arrêté cet été-là, puis condamné à cinq ans de prison pour son attitude et ses écrits durant les années noires.
De Gaulle a-t-il eu connaissance des pièces de ce procès ? S’est-il souvenu de ce que Pujo avait écrit sur lui le 9 juin 1940? On ne sait. Le journaliste fut libéré en 1948, avant le terme de sa peine. ■ FRANÇOIS D’ORCIVAL