C’est un nouvel entretien poignant et particulièrement intéressant avec Boualem Sansal qu’Alexandre Devecchio a publié hier 19 septembre dans FigaroVox. Boualem Sansal ne cesse d’alerter les peuples occidentaux et principalement la France sur le danger islamiste et la faiblesse de leur riposte. Ils auront été dûment avertis par quelques grandes voix, dont celle de Boualem Sansal, qui rejoignent, d’ailleurs, tout simplement le sentiment populaire. Ici, la trahison des « élites » est patente. Elle est clairement désignée comme telle aujourd’hui par un nombre grandissant de Français.
ENTRETIEN – Son nouvel essai, Le français, parlons-en ! (Cerf), est à la fois un cri d’amour à la France et un cri d’alerte quant au devenir de notre nation.
Article issu du Figaro Magazine.
Je crois pleinement à ce que disait Nietzsche dans L’Antéchrist :« Là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin. »
L’écrivain d’origine algérienne, qui vient d’obtenir la nationalité française, dresse un parallèle inquiétant entre la situation actuelle de notre pays et celle de l’Algérie avant la guerre civile des années 1990. Notre langue est, selon lui, la meilleure arme pour résister à la montée de l’islamisme et enrayer notre déclin.
LE FIGARO MAGAZINE. – Votre livre commence par un dialogue imaginaire entre un vieux maître et son jeune disciple. Vous écrivez : « La France n’est plus la France ni des Lumières, ni des Trente Glorieuses…, mais celle des ennemis de la France et de son peuple. » Comment expliquez-vous ce déclin ?
BOUALEM SANSAL. – Je crois pleinement à ce que disait Nietzsche dans L’Antéchrist :« Là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin. » Nietzsche était à sa manière un anti-woke avant l’heure. Si le philosophe se révoltait contre la morale chrétienne, c’est plus contre le venin woke qu’elle instille dans la société que contre le dogme qu’elle véhiculait, mais ne véhicule plus depuis Vatican II qui est devenu une tête de pont à l’expansion de l’islam en terres chrétiennes.
La suite logique du déclin, visible de tous, est la décrépitude, la désagrégation, la violence, la saleté, la colonisation, et au bout la disparition tout simplement. Le fait est qu’une fois dedans, on ne sort plus du déclin car on n’a plus les yeux pour le voir.
Où en est la France d’aujourd’hui ?
C’est un pays à la ramasse qui vit sur des gloires passées. Désolé de le dire comme ça, mais la thérapie du choc l’exige. Depuis les années 1970, la France des grands jours vit sur le capital comme on dit, sur le patrimoine extraordinaire que les Français d’hier et d’avant-hier ont constitué et lui ont légué avec l’idée qu’elle le préserverait et le renforcerait en application d’une profession de foi ancienne et volontariste sur laquelle sa civilisation s’est fondée, mais qu’elle a oubliée : croissez, multipliez-vous et remplissez la terre.
Ce patrimoine est philosophique, religieux, politique, diplomatique, économique, culturel, scientifique, technologique, porté par un peuple hier fécond, fier, courageux, industrieux, productif, inventif. Comme la France actuelle n’a apporté aucune valeur ajoutée significative à ce patrimoine, parce qu’elle ne sait pas, ne veut pas ou ne peut plus le faire, pour la raison que la décision ne lui appartient plus, elle se comporte comme les héritiers prodigues des grandes dynasties, elle consomme et surconsomme, se regarde dans le miroir plutôt que de se projeter au-delà de l’horizon, elle dilapide, gaspille, fait la fête et la folle, brade et s’endette à mort pour maintenir le niveau de vie obtenu par les fondateurs.
Ces derniers temps, elle puise sur les ultimes réserves, elle a vendu ses palais, ses bijoux de famille, ses grands domaines, bradé ses champions industriels, perdu ses ingénieurs et ses métiers, mais aussi sa langue, ce génie éclatant qui nourrissait son esprit et son âme et la branchait sur d’autres mondes. S’ajoutent l’Europe et la mondialisation qui l’ont dessaisie de sa souveraineté et installée dans une division du travail qui fait d’elle au mieux, une terre pour tourisme de masse, car elle possède des trésors naturels uniques que personne ne peut lui enlever, sauf peut-être les Chinois, car s’ils s’y intéressent, ils les achèteront et en bonnes fourmis travailleuses, les emporteront en Chine.
La cause de cette bérézina ? Il n’y a pas à chercher loin, ce sont trois choses emmanchées l’une dans l’autre : 1) l’immense, l’insupportable, la scandaleuse, l’incompréhensible médiocrité de son personnel politique ; 2) le poids gigantesque d’une immigration de très bas niveau qui refuse de s’intégrer par esprit de supériorité religieuse et parce qu’elle n’y voit aucun intérêt, que les Français eux-mêmes ne voient plus ; 3) l’enracinement sur son sol d’un islam profondément archaïque, issu en retour de bâton de ses ex-colonies, dont on ne voit pas où et comment il trouverait les moyens de se réformer et devenir cet islam des Lumières que ses chantres appellent de leurs vœux sans savoir de quoi ils parlent et sans chercher à deviner la suite.
Qui sont les ennemis dont vous parlez : les islamistes, les Russes, les grandes firmes multinationales, « les bureaucrates de Bruxelles », notre propre classe politique ?
Les ennemis ne manquent pas, ceux de l’extérieur que nous connaissons et ceux, plus nocifs, de l’intérieur, parmi lesquels on signale les islamistes, les chantres des Lumières et les Insoumis réunis, les apparatchiks des partis, les socialistes dégoûtés du peuple, les médias de service, les wokistes qui surveillent les horizons et alertent la justice du moindre écart par rapport à la doxa, etc. Il se dit que l’indépassable aurait été atteint sous le règne de Hollande et qu’il a été dépassé sous le règne de Macron. Moi, j’ai du mal à croire qu’un homme seul sans charisme aucun puisse faire tant de dégâts. Il peut inciter, manœuvrer, ordonner, soit, mais au bout il faut des suiveurs pour exécuter.
Dans ce dialogue, vous semblez comparer la situation de la France et de l’Algérie. Le contexte actuel en France vous rappelle-t-il celui qui a précédé la décennie noire en Algérie ? Est-ce une manière de nous avertir sur ce qui nous attend ?
Mêmes causes, mêmes effets. Au lendemain de son indépendance, l’Algérie disposait d’un patrimoine unique, moitié fourni par la nature, moitié par la colonisation qui avait bien équipé la demeure en infrastructures diverses, et jouissait d’un immense prestige dans le monde qui lui a permis de se poser en leader du tiers-monde et membre influent des non-alignés, qui se voulaient seuls maîtres de leurs vies.
Las, ses dirigeants de plus en plus médiocres et corrompus ont dilapidé le patrimoine et mis l’Algérie sur une ligne de déclin rapide qui a fait d’elle une proie facile pour l’internationale islamiste et les oligarques internationaux. Et depuis, de faillites en scandales, de crises en catastrophes, elle s’enfonce et disparaît par petits bouts, par le séparatisme qui se développe en Kabylie et dans le Sahara et par l’émigration massive.
Après la réélection du président Tebboune, l’espoir né du Hirak a-t-il définitivement disparu ?
Le Hirak était un Hirak de printemps, même s’il a duré une année pleine. C’était quelque chose d’éphémère en soi, raison pour laquelle il n’a pas su se donner des leaders et construire un discours mobilisateur au-delà de la manifestation de rue. Il ne pouvait pas davantage résister à la sape du pouvoir et des islamistes et à l’usure du temps. C’était nos « gilets verts ». Les Algériens auront besoin de beaucoup de temps pour échapper au national-islamisme. Il en faudra plus à ceux qui vivent en France dans des enclaves urbaines et mentales fortifiées.
Votre livre est aussi une réflexion sur la culture. L’islamisme et la dictature ont-ils prospéré en Algérie sur fond de déculturation ?
Qui contrôle le verbe contrôle la vie. Les religions l’ont compris depuis longtemps. Elles n’ont pas cherché l’acculturation pour gouverner le peuple, au contraire, elles lui fournissent des éléments très sophistiqués, une langue dite sacrée ou liturgique précise comme une horloge, un récit très élaboré dont on ne peut ni ajouter ni retrancher et un rituel millimétré pour obtenir de lui plus que la soumission, une pleine adhésion et des envies sincères de sacrifice et de martyre.
L’affaire réussit évidemment mieux si l’on part d’une table rase. Le pénitent est un palimpseste, on lui lave le cerveau et on lui télécharge une nouvelle mémoire. Le problème est que dans le cerveau de l’Algérien, on a installé deux logiciels incompatibles, un logiciel ultranationaliste construit sur une base fausse et une vision héroïque du futur, et un logiciel religieux archaïque qui porte une vision apocalyptique du monde. À qui se vouer ? Demander à la culture moderne modernisante (jadis, au temps du socialisme on parlait d’industrie industrialisante) de concilier les deux logiciels, c’est croire qu’on peut éteindre le feu avec de l’essence.
Vous soulignez l’importance de la langue. Vous expliquez qu’elle est l’enjeu fondamental, la pierre angulaire de l’édifice national. Pourquoi est-elle si essentielle à vos yeux ? L’arabisation en Algérie a-t-elle été un tournant ?
La langue, c’est la magie absolue. Si nous ne pouvons pas nommer les choses, elles n’existent pas et nous cessons d’exister. On est en plein dans l’intrication quantique. C’est à travers cette magie que les hommes échangent entre eux, les banalités du jour et des choses supérieures de l’esprit et de l’âme. En elle se trouve tout ce qui fait un homme, une famille, un peuple, une nation, l’humanité entière, en lien avec l’univers.
L’arabisation en Algérie a été une opération violente d’embrigadement qui a divisé et abruti le peuple et mené à la guerre des identités meurtrières. En France, le français se dévitalise et devient du blabla postmoderne. Les familles, l’école et la société constatent cette perte d’énergie mais elles-mêmes contribuent à son épuisement. Elles voient aussi le lien entre la baisse du niveau culturel du pays et la montée des tensions sociales et politiques. Oui, l’arabisation a été un tournant calamiteux suivi d’un autre, celui de l’islamisation effroyable, suivi du tournant brutal du socialisme bureaucratique au libéralisme prédateur.
Votre livre peut se lire comme un cri d’amour à la langue française. Comment cette langue vous a-t-elle nourri et permis de devenir l’individu et l’écrivain que vous êtes ?
Comme Obélix qui est tombé tout petit dans la marmite magique, je suis tombé dans le français à ma naissance, à une époque où les Français et les francophones de tous pays étaient dans la dévotion de leur langue. Cela s’est fait naturellement, on parlait français comme Monsieur Jourdain parlait en prose sans le savoir. Aujourd’hui, parler un français châtié, c’est ringard de chez ringard. Le mot « ringard » ayant une charge qui signe la mort sociale. Mal parler est bien, c’est moderne, c’est top, c’est woke, c’est inclusif.
Moi, c’est la guerre civile qui m’a amené à l’écriture. Dans ce tsunami de violence, j’avais besoin de comprendre pour sauver nos âmes et je n’avais que ma connaissance du français et de la littérature pour ce faire. J’ai donc écrit.
Signe du destin, vous avez grandi dans la même rue qu’Albert Camus, dans le quartier Belcourt, à Alger. Camus vous a-t-il inspiré ?
Le Camus qui m’inspirait n’était pas que l’écrivain international qu’il est devenu, c’est le fils de Belcourt, le voisin, dont Belcourt était fier. Belcourt, comme Bab-el-Oued, était un monde à part, une vraie cour des Miracles et des Mille et Une Nuits, que je ne me lasse pas d’aimer. Camus était un compatriote qui a réussi dans la littérature comme d’autres avaient réussi dans le foot, la boxe, le cinéma, le business. Des success-stories pour le dire en anglais.
Comment est né votre amour de la littérature française ? Quels sont les livres qui vous ont marqué enfant ?
À l’époque, quand le français était un trésor commun bien gardé par ses habitants, on adorait lire, on adorait les grands écrivains, qu’on apprenait à l’école et dont on savait tout comme si c’était des copains mais aussi les écrivains étrangers traduits en français, on adorait parler littérature. Les auteurs qui ont marqué mon enfance, ce sont Camus, Cervantès qui a habité Belcourt avec son frère Rodrigo, un peu avant nous, au XVIe siècle, en tant que captifs des Ottomans, et les incontournables de la « Bibliothèque verte », Jules Verne, Alexandre Dumas, Alain Bombard, Alain Gerbault, etc., la liste est longue et continue de s’allonger.
Votre ami Kamel Daoud a choisi de venir s’installer en France. Avez-vous déjà eu envie de venir vivre en France et peut-être prendre la nationalité française ?
Eh bien, je vous l’apprends, j’ai fait pareil. Depuis ce printemps, je suis français à part entière et chaque matin je découvre que je suis plus libre et plus heureux que la veille. Venir m’installer en France est l’étape suivante, je m’y emploie activement. ■
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Bien entendu.
Sur Cniouz, réserve de journalistes et intervenants Nord-africains assimilés on est parfois surpris de trouver chez ceux-ci davantage d’esprit cartésien, de bon langage que chez les Bien-pensants bien français.