Par Dominique Jamet.
COMMENTAIRE – Faut-il vraiment un commentaire ? Pour la plupart, les réflexions de Dominique Jamet sont de simple sagesse. Elles sont donc détonantes au regard de la doxa dominante, évidentes pour celui que Laurent Obertone nomme Monsieur Moyen. Vous et moi. Tout le monde ou presque. Dominique Jamet a raison de ressortir ici la distinction entre légalité et légitimité, ravivée par De Gaulle alors qu’elle était oubliée, fût-elle sous-jacente. À son retour aux affaires en 1958 après douze ans de retraite à Colombey, il l’avait invoquée en des termes qui avaient surpris ou choqué les hommes du Système, nullement les Français : « La légitimité nationale que j’incarne depuis vingt ans, comme si la IVe République n’avait jamais existé. Comme Louis XVIII à Gand datait tel de ses actes de la XVIIIe année de son règne, enjambant, néantisant la Révolution et l’Empire. La légitimité qui s’incarne dans les rois et les empereurs (les vrais) fussent-ils sans pouvoir direct de gouvernement a fui nos Institutions depuis longtemps. Sauf quelques parenthèses dictées par l’Histoire et des circonstances d’exception, c’et à dire dramatiques. Et Macron absolument légal n’en dispose d’aucune. Le charme Ve République est rompu. Une de plus ! Il n’y a plus ni Chef, ni guère d’État, comme en 1939, comme en 1958. Ce temps politique est celui des illusions perdues. En recherche, en effet, d’une légitimité en qui les Français puissent reconnaître la France.
« Il y a maintenant trois mois que le président de la République refuse de reconnaître qu’il a perdu et la face et la partie… »
Un Président qui préside, un gouvernement qui gouverne, un Parlement qui contrôle. Au premier l’impulsion, les grandes orientations, la représentation de la France dans le monde ; au second la conduite quotidienne des affaires ; au troisième le vote du budget, des lois et le contrôle du second, avec la possibilité de le censurer, tempéré par le droit de dissolution conféré au premier. Tels sont les principes et les grands équilibres sur lesquels repose la Constitution votée en 1958 par 80 % des Français et substantiellement modifiée depuis 1965 par l’élection du chef de l’État au suffrage universel.
Bien que sottement amendée sous Jacques Chirac, avec la fin de la dissociation entre le temps présidentiel et le temps législatif, cette Constitution avait fait ses preuves, à la différence de celles qui l’avaient précédée, et n’était pas loin de fêter gaillardement ses soixante-dix ans, battant ainsi le record de la IIIe République et pulvérisant, bien entendu, le score de la IVe. Mais les institutions ne valent que ce qu’en font les hommes mêmes sur lesquels elles reposent, et l’étrange péripétie que nous traversons en est l’éclatante démonstration.
La prééminence du pouvoir exécutif
La Constitution de 1958 postulait dès sa conception la prééminence de fait du pouvoir exécutif. Ainsi l’avaient voulu, sous l’égide du général de Gaulle et dans l’esprit de son discours de Bayeux, ses pères fondateurs. L’amendement essentiel de 1965, soumis au référendum, assurait et légitimait cette primauté en créant un lien particulier entre le président de la Ve et le peuple tout entier, convoqué le même jour dans le cadre d’une circonscription unique identifiée à la France, la contrepartie de ce sacre démocratique et républicain étant qu’il supposait l’existence, la manifestation et la pérennité d’un accord entre la majorité des Français et l’homme qu’ils avaient librement et consciemment élu.
Telle était, du moins, la conception de sa légitimité que se faisait le général de Gaulle, la règle qu’il s’était fixée, qu’il avait explicitement formulée, qui justifiait à ses propres yeux son élévation et son maintien à la tête du pays pendant les onze années de son règne… et qu’il s’appliqua, en toute rigueur, le jour où il estima que le peuple lui avait signifié sa désapprobation.
Il ne s’en fallait pourtant que de deux points pour que le « oui » l’emportât à l’issue du référendum, somme toute d’importance secondaire, portant sur la régionalisation et la réforme du Sénat, que le Général avait organisé pour prendre une fois encore le pouls de son cher et vieux pays. Vingt-quatre heures après avoir été mis en échec, le 28 avril 1969, de Gaulle annonçait sa démission et prenait congé de la politique pour entrer, cette fois sans retour, dans l’Histoire.
K.O. à quatre reprises
Ce n’est pas une fois mais bel et bien à quatre reprises, et ce n’est pas à deux points près mais par K.O. que l’actuel successeur en titre de l’homme du 18 juin a été mis en minorité par les Français, et ce n’est pas vingt-quatre heures après une défaite honorable qu’il en a de lui-même tiré la conclusion, mais en dépit d’une série ininterrompue de camouflets et de paires de claques de plus en plus retentissantes qu’Emmanuel Macron persiste à nier le rejet que lui ont signifié les électeurs et s’accroche lamentablement au siège dont il a été, de fait, éjecté.
Réélu en 2022 par une majorité de rencontre qui n’était cimentée que par la peur ou la détestation de sa concurrente, Emmanuel Macron, dans la foulée, ne recueillait aux législatives qui suivirent qu’une majorité relative – soit, en bon français, une minorité effective – et ses Premiers ministres successifs étaient réduits à utiliser à répétition le fameux 49.3 pour imposer de justesse des projets et des réformes soit impopulaires soit vidés de leur contenu par le Conseil constitutionnel. Le 9 juin dernier, quand le Rassemblement national dépassait les 30 %, l’équipe qui portait les couleurs présidentielles arrivait en troisième position, avec 14 % des suffrages exprimés. Le 30 juin et le 7 juillet, le coup de génie de la dissolution, coup de poker tournant au coup de Trafalgar, se serait soldé par un désastre si une alliance de circonstance, reniée par ses différents partenaires aussitôt que conclue, n’avait in extremis permis à la Macronie de limiter les dégâts.
Parce que ces élections improvisées, après une campagne hagarde et des rapprochements contre-nature, ont débouché sur l’Assemblée ingouvernable que l’on sait, des commentateurs hâtifs ont parlé de crise de régime ; d’autres, qui n’y voient pas plus loin que le bout de leur nez ou de leurs intérêts, ont préconisé le retour à la proportionnelle dont la brève histoire de la IVe, aujourd’hui bien lointaine, avait pourtant permis de constater les méfaits – coalitions partisanes et combinaisons immorales, instabilité et impuissance des gouvernements, triomphe et dégoût du régime d’Assemblée… Il n’y a pas de crise de régime, il y a seulement, et c’est déjà bien assez, une crise politique provoquée par un apprenti sorcier qui a lui-même ourdi le piège où il s’est emmêlé, creusé le trou où il est tombé, et sorti à mauvais escient, comme s’il s’agissait d’une arme automatique, le beau joujou, le fusil à un coup de la dissolution.
L’ombre du Président Lebrun
Un autre que lui aurait assumé et tiré les conséquences de l’ultime erreur qu’il avait commise. Un autre que lui, autrement qualifié, autrement chevronné, avait donné, par deux fois, immédiatement, l’exemple de l’honneur et de la dignité, dans la défaite, en 1940, devant l’échec, en 1969. Emmanuel Macron a fait un autre choix.
Il y a maintenant trois mois que le président de la République refuse de reconnaître qu’il a perdu et la face et la partie, trois mois qu’il tente de gagner du temps et en fait perdre à la France, trois mois qu’il s’accroche désespérément aux rideaux et aux apparences du pouvoir.
Le mandat qu’a reçu en 2022, pour la deuxième fois, M. Macron est juridiquement incontestable jusqu’à son terme légal, soit encore trois ans. Mais quelle légitimité, quel niveau de légitimité, quelle part de légitimité conserve-t-il ? Entre Brégançon, Le Touquet et l’Élysée, entre Jeux olympiques et Jeux paralympiques, entre Belgrade et Bruxelles, entre fausses consultations et vraies ingérences, le chef de l’État, chef de plus en plus nominal, État de plus en plus contesté (et, ici, comment ne pas se souvenir du général de Gaulle, jugeant le Président Lebrun ?), continue, sous le feu des projecteurs, de jouer le one-man-show dont il est depuis sept ans l’auteur, l’interprète, le personnage unique et la seule vedette, et feint de ne pas entendre les huées des spectateurs. Que lui importe ! Dès lors et aussi longtemps qu’il occupe le devant de la scène, le Président s’amuse. Il est bien le seul. ■ DOMINIQUE JAMET
Très bien, cet article ; cependant le référendum pour l’election au suffrage universel du Président, n’était ce pas 1962 plutôt que 1965 ?
Et puis, comparer E.Macroon au Président Lebrun, c’est trop aimable pour l’actuel president.
Les présidents de la III ème, dans l’ensemble, et l’on pourrait ajouter les deux de la IV ème avaient une certaine culture et dignité.
Un mauvais esprit pourrait se demander si l’élection au suffrage universel pour la fonction n’à pas été une si bonne chose qu ́il pourrait y paraître ; en tout cas pour soustraire au rôle délétère des partis , cela n’ à pas duré ( confer l’organisation de « primaires » pour pre-selectionner le candidat homologué par les partis) .
(E.Macron, non pré-selectionne, à pu bénéficier d’un préjugé favotrable, comme homme « neuf » pour , très vite décevoir -le mot est faible-)
Décidément, c’est jouer de malchance.
Ce que Dominique Jamet dit de Macron va dans le sens de ceux qui analysent son apparition soudaine, sa popularité instantanée (trop belle pour être vraie) et son élection en 2017 comme tout autre chose qu’une élection dans l’esprit de la Vème. Quoi donc alors ? La désignation et la mise en place d’un patron pour la France. Par qui ? Difficile à savoir exactement; mais la répétition d’épisodes comparables : DSK (mise en orbite ratée, certes, mais tout aussi suspecte), von der Leyen… permet d’orienter la réflexion. Troisième question : désigné mais pour quoi faire ? Ce que fait un patron parachuté : dégraisser, faire régner la peur, mentir, imposer son pouvoir (différent de l’autorité) par la division, défier les oppositions, changer les règles, fermer boutique s’il le faut… en un mot, il manifeste que son pouvoir, son ordre de mission ne lui vient pas de la base (qu’il est plutôt chargé de mater), mais de plus haut, de l’extérieur, de ceux à qui il rend compte. Chez un Chef d’état-major patriote, en temps de guerre, ce serait dans l’ordre des choses. En France, hic et nunc : NON