Cette tribune est parue dans Le Figaro d’avant-hier, mercredi 25 septembre. Bérénice Levet nous invite tous à une vision ou perception de Notre-Dame pleinement chargée de toute sa sacralité et de sa profondeur historique. Est-ce possible sans nous y replonger nous-mêmes intérieurement personnellement et collectivement ?
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FIGAROVOX/TRIBUNE – Notre-Dame, qui réouvrira le 8 décembre prochain, détient une épaisseur historique qu’il nous faut reconquérir, estime Bérénice Levet. La professeur de philosophie propose ainsi un cycle de conférences* à l’IPC, qui a commencé ce mercredi, pour redécouvrir ces « vérités brûlantes ».
Bérénice Levet est professeur à l’IPC, Faculté libre de philosophie. Dernier livre paru : Le Courage de la dissidence (L’Observatoire, 2022). *Ce cycle de conférences se tiendra à partir du mercredi 25 septembre, de 19h à 21h, à l’IPC, faculté libre de philosophie : 70 avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris. L’inscription se fait sur le site de l’université .
« Les Français sont des héritiers mais pour sauver l’héritage, il faut être capable de le conquérir à nouveau » Raymond Aron.
Le 15 avril 2019, Notre-Dame de Paris n’a pas péri mais tous, pour paraphraser Paul Valéry, nous l’avons sentie périr. En un éclair, nous étions rappelés à sa fragilité et à sa contingence : elle aurait pu ne pas être. Le 8 décembre prochain, la cathédrale rouvrira ses portes : il nous appartient d’être à la hauteur.
Sans doute Maryvonne de Saint-Pulgent a-t-elle raison d’écrire en conclusion de son beau livre, impressionnant et remarquable par son esprit de synthèse, La Gloire de Notre-Dame (Gallimard, 2023) : «Rechargée en sacralité, en profondeur historique et en résonance émotionnelle, auréolée d’une gloire désormais planétaire, la mère de nos cathédrales redevient, pour toutes les générations et tous les pays, l’incarnation majestueuse et familière de la France».
N’est-ce pas cependant allé un peu vite en besogne? Si elle est bonne conseillère – il ne s’agit en aucune façon de la disqualifier, elle est au contraire un formidable aiguillon -, l’émotion n’est pas raison et l’admiration n’est pas compréhension. Pour que Notre-Dame se recharge véritablement en sacralité et en profondeur historique, comme le dit si bien Maryvonne de Saint-Pulgent, il nous faut le vouloir et nous y employer. «Les Français sont des héritiers mais pour sauver l’héritage, il faut être capable de le conquérir à nouveau», écrivait Raymond Aron.
« Devant les portails de Notre-Dame, au pied de ses statues, devant aussi les peintures, c’est avec des « pensées graves », selon le mot de Proust, que nous avons rendez-vous, avec des vérités brûlantes ».
Il faut ainsi mettre à profit les quelques semaines qui nous séparent de sa réouverture pour partir à la reconquête de Notre-Dame. Apprendre à voir, à connaître, à comprendre la cathédrale dont l’évêque Maurice de Sully forme le projet dès 1160. Ressaisir l’esprit et pas seulement la lettre qui la porte, la théologie de la Lumière et celle de l’Incarnation qui la fondent.
La réinscrire dans le Paris qui l’a vue naître, «un Paris qui s’affirmait», comme l’écrit Alain Erlande-Brandebourg, «comme la capitale la plus formidable de la chrétienté». Dans ce temps de bouillonnement intellectuel, spirituel, civilisationnel, où l’alliance du catholicisme et des images se noue, où s’impose la figure de l’architecte, où naît l’université, où les ordres mendiants apparaissent. Moment exaltant et propre à nous ressourcer. Souvenons-nous, avec Proust, que nos pères y puisaient courage et réconfort!
Devant les portails de Notre-Dame, au pied de ses statues, devant aussi les peintures, ces fameux «Mays» sauvées des flammes, c’est avec des «pensées graves», selon le mot de Proust, que nous avons rendez-vous, avec des vérités brûlantes, avec l’humaine nature et condition dans ses multiples facettes. Avec le temps, ces pensées, ces vérités se sont obscurcies. Il nous appartient de les redécouvrir et de nous en nourrir.
Emile Mâle et Alphonse Dupront, Georges Duby et Henri Focillon, Étienne Gilson et Erwan Panofsky, Chateaubriand qui, non sans raison, se peint en initiateur de la redécouverte des cathédrales par la grâce de son Génie du christianisme, Mérimée et Rodin seront nos guides dans cette forêt de symboles. Ils nous permettront de rendre à Notre-Dame de Paris son épaisseur historique, cette épaisseur historique qui n’entre pas pour rien dans l’attachement des Français à leur monument.
Ce que manifestement, qu’on me permette cette apparente digression, le président de la République se refuse à comprendre en s’obstinant dans son projet de grand remplacement des vitraux de Viollet-le-Duc par des vitraux contemporains. Je livre à la méditation d’Emmanuel Macron ces mots de Chateaubriand : «On aura beau bâtir des temples grecs bien élégants, bien éclairés, pour rassembler le bon peuple de saint Louis, et lui faire adorer un Dieu métaphysique, il regrettera toujours ces Notre-Dame de Reims et de Paris, ces basiliques toutes moussues, toutes remplies des générations des décédés et des âmes de ses pères».
«C’est qu’un monument», poursuivait l’auteur du Génie du Christianisme, «n’est vénérable qu’autant qu’une longue histoire du passé est pour ainsi dire empreinte sous ces voûtes toutes noires de siècles. Voilà pourquoi il n’y a rien de merveilleux dans un temple qu’on a vu bâtir». ■ BÉRÉNICE LEVET
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À lire….
Je me suis aperçue que les articles de Bérénice Levet publiés dans JS F ont été partagés en grand nombre ou assez grand nombre selon le cas. (environ 130 partages dans un cas) Cela prouve, je crois, leur attrait et leur intérêt. Partageons partageons !