« Faire Bouvines, c’est s’opposer : aux Anglais, à l’Empire, aux papes, à Hitler… et au “parti de l’étranger” qui n’a cessé, au long des siècles, de choisir contre la France, parti auquel adhèrent si volontiers les élites… »
Par Philippe Mesnard.
Comment est née la France, souci capétien qui tenait au cœur de nos rois alors même que le reste de l’Europe ne pensait pas aux nations, jusqu’à une date somme toute récente ?
Gaël Nofri explore le miracle capétien, en puisant aux bonnes sources (et on le sent souvent vibrer au récit qu’il compose) mais surtout en produisant une analyse de Bouvines, dans ses circonstances et peut-être plus encore dans sa valeur de symbole constitutif de la nation (affirmation de soi et conquête de liberté), symbole constamment retravaillé par l’imaginaire français.
Faire Bouvines, c’est s’opposer : aux Anglais, à l’Empire, aux papes, à Hitler… et au “parti de l’étranger” qui n’a cessé, au long des siècles, de choisir contre la France, parti auquel adhèrent si volontiers les élites, féodales à l’époque (très belles pages sur le traître Renaud de Dammartin).
L’auteur suit bien sûr un plan chronologique qui lui permet de dresser un état des mentalités, dont le rapport à l’autorité, notion fragile et ténue que Philippe Auguste n’aura de cesse de renforcer et d’affirmer (sa plus belle victoire, en fait), mentalités qui recoupent les territoires eux-mêmes, si morcelés, aux obédiences enchevêtrées.
Un Philippe Auguste « infatigable artisan de la souveraineté » constamment présenté comme conscient des enjeux politiques et habile à utiliser les outils à sa disposition, dont le système féodal, qui pourtant lui vaut l’hostilité permanente de ses vassaux mais qui lui permet, par le jeu des mariages et des tutelles, de renforcer ses positions, de son mariage jusqu’après sa mort puisque ses fils auront retenu la leçon (les barons grincheux ne leur laissant pas l’oublier) : Philippe Auguste ara triplé le territoire français mais aura bien plus encore ouvert des perspectives nouvelles.
Au-delà des mentalités, c’est encore le récit réjouissant de toutes les opportunités saisies après la victoire (traitée au début : ce sont ses conséquences qui sont la moëlle et le nerf de cet essai) pour consolider le royaume, assaisonné par les portraits acides de Jean sans Terre et d’Othon, qui perdit son dragon et erra piteusement.
Voilà un excellent livre d’histoire qui nous fait comprendre l’âme d’un roi et le sens d’une bataille, au-delà du courage et des armes. ■ PHILIPPE MESNARD
Gaël Nofri, Bouvines. La confirmation de la souveraineté. Passés composés, 2024, 240 p., 20 €
Article précédemment paru dans Politique magazine.