Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
…sur une phrase malheureuse où il s’agissait, après la guerre, d’ « admettre de nouveau les Allemands dans notre amitié ».
Il y a eu un incident Anatole France. Après le bombardement de la cathédrale de Reims, Anatole France a écrit à Gustave Hervé, qui l’a publiée dans La Guerre sociale, une lettre de protestation, fort belle, mais qui s’achevait sur une phrase malheureuse où il s’agissait, après la guerre, d’ « admettre de nouveau les Allemands dans notre amitié ». Il y a eu quelques « mouvements », comme on dit à la Chambre, à ce sujet dans la presse, et il est à supposer que France a reçu personnellement un courrier plutôt vif, car il vient d’écrire, à Hervé encore, une lettre assez piquée où il déclare que, puisqu’on trouve que « son style ne vaut rien en temps de guerre », il cesse d’écrire et demande à s’engager – résolution que son grand âge rend fort chimérique. Mais ce petit incident est révélateur. Il indique la difficulté qu’une aussi grande intelligence éprouve à s’adapter à la situation et à la guerre. De l’état d’esprit dans lequel Anatole France écrivait il y a quelques mois La Révolte des Anges, passer à la destruction de la cathédrale de Reims par les obus allemands : quel abîme ! Si la transition a été malaisée pour un Anatole France, qui a trouvé le moyen d’accrocher en route, quelle ne sera-t-elle pas pour les médiocres, les bornés, les vaniteux, les ignorants et les sots, qui ont engagé leur amour-propre dans le pacifisme et l’internationalisme ? Qui sait si ce petit incident, presque purement littéraire, n’est pas un symptôme des convulsions de l’avenir ?…
Le départ du président Poincaré, accompagné de Millerand, pour les armées, départ annoncé avec une certaine solennité, fait augurer des succès prochains. On annonce en même temps le rétablissement de la dignité de maréchal de France. Tout cela grandit l’espoir… ■ JACQUES BAINVILLE
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