L’Impératrice en octobre 1914, saluant un blessé en Angleterre. Photo d’époque.
Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« Sur le champ de bataille, et hors du champ de bataille, les morts vont vite en ce moment. »
Nous apprenons la mort d’Albert de Mun. Je le revois encore, quinze jours peut-être après l’ouverture des hostilités, entrant au ministère de la Guerre, si droit, une flamme dans les yeux… Sur le champ de bataille, et hors du champ de bataille, les morts vont vite en ce moment. Les émotions sont violentes, et il est des physiologies que les émotions abattent aussi sûrement qu’un éclat d’obus. Qui sait si Albert de Mun n’a pas succombé à l’anxiété que trahissait son dernier article ? Les nouvelles étaient un peu moins bonnes, le jour où il est mort. Nous paraissions avoir éprouvé un échec aux mines d’Arras, et les Allemands faisaient un effort désespéré pour se dégager de l’étreinte de notre aile gauche et, en même temps, s’emparer d’Anvers. Le mot suprême qu’il a tracé sur le papier, c’était « pessimisme ». L’effort qu’il faisait pour se défendre lui-même contre une impression de pessimisme et pour conserver au public le ton de confiance où, pendant les plus mauvais jours, son éloquence l’avait maintenu aura tué Albert de Mun. Ainsi le clairon dont le cœur se brise pour avoir trop longtemps sonné la charge…
Albert de Mun aura une page dans l’histoire de cette guerre. Il est celui qui aura le mieux donné, le mieux marqué le tonus national.
Et la pensée va vers ceux qui seront morts avant d’avoir vu ces grands évènements : la revanche peut-être obtenue demain par la force des choses, sans que personne en France l’ait expressément voulu. Ce sont surtout les survivants de l’Empire qui paraissent, au milieu de cette réparation de 1870, comme des personnes choisies et protégées par le destin. Emile Ollivier est mort l’an dernier au mois d’août. Mais l’impératrice Eugénie vit encore…
On me rapportait, à son sujet, ce souvenir. Après le congrès de Berlin, où fut semé le germe de dissentiment entre la Russie et l’Allemagne, l’empereur Alexandre, ayant rencontré l’impératrice Eugénie, lui baisa la main en pleurant. « Puissé-je réparer la faute que nous avons commise en 1870 en laissant écraser la France ! » s’écria le tsar.
Avec le temps, le vœu d’Alexandre aura été exaucé. Mais quelle vision shakespearienne des responsabilités pour les grands acteurs de l’histoire à qui la longévité permet d’assister au déroulement de la chaîne d’airain où s’attachent les effets et les causes. ■ JACQUES BAINVILLE
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source.
N’oublions pas que si l’Alsace-Moselle est redevenue française, c’est en grande partie grâce à l’impératrice Eugénie. Les alliés ne voulaient nullement la rendre à la France et c’est l’intervention de l’impératrice qui a publié une lettre de Guillaume Ier qui admettait vouloir cette région pour des raisons purement stratégiques, et non en raison de la « germanité » de ses habitants. L’impératrice a bien mérité de l’ingrate patrie.