Cette chronique se veut ironique – et l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, voire sont, selon nous, déplacées. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce 7 octobre. Elle ne manque pas à son ambition de drôlerie ironique chargée de sens. Discutable d’ailleurs… Bonne lecture !
CHRONIQUE – Chaque semaine, pour Le Figaro, notre chroniqueur pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il imagine la réaction des élus de La France insoumise après la mort de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah et grand militant de la lutte contre l’islamophobie..
«… partout dans le monde, de Téhéran à Sciences Po en passant par Columbia, Bagdad et l’école de journalisme de Montpellier… »
Il est des hommes qui, disparus, laissent un vide immense. Des hommes qui marquent de leur empreinte les cœurs et les esprits, qui inscrivent leur action dans le sillage des justes. Hassan Nasrallah était de cette trempe. Révéré partout dans le monde, de Téhéran à Sciences Po en passant par Columbia, Bagdad et l’école de journalisme de Montpellier, il aura été un phare dans la nuit, une boussole pour une jeunesse avide de croire en un monde meilleur. La France insoumise tient à lui rendre hommage. Homme de paix (avec ceux à qui il ne faisait pas la guerre), homme de convictions (convictions islamistes, certes, mais l’islamiste, quand on le pique, ne saigne-t-il pas ?) et défenseur du pluralisme (capable de discuter aussi bien avec des milices chiites que sunnites), il n’a cessé d’œuvrer pour des idéaux plus grands que lui.
Animé par une saine détestation de l’islamophobie, de l’entité sioniste, de la retraite à 64 ans, du capitalisme libéral et des structures occidentales oppressives, il avait compris qu’on ne change pas de système sans casser d’œufs. Il défendait sans relâche l’acquisition de nouveaux droits : le droit des musulmans à vivre dans un monde sans Juifs, le droit des hommes à épouser plusieurs femmes, le droit d’imposer la charia sans susciter une levée de boucliers de la fachosphère, le droit de châtier les apostats, le droit de lapider les adultères, le droit de défenestrer les homosexuels et, surtout, le droit de lancer des missiles sur l’entité sioniste sans subir de riposte. Ces missiles, qu’on lui reprochait d’envoyer depuis le 8 octobre, étaient en réalité de tout petits missiles, des projectiles progressistes, des roquettes inclusives, des explosifs décoloniaux, plus symboliques qu’autre chose et qui tuaient relativement peu. Mais Benyamin Netanyahou est un dangereux enfant à l’ego surdimensionné, incapable de recevoir des missiles sans vouloir en envoyer de plus gros. La masculinité dans ce qu’elle a de pire.
Hassan Nasrallah a choisi de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. Le Liban lui doit beaucoup : tristement homogène avant les années 1970, le Hezbollah a permis au pays d’embrasser la diversité, de s’épanouir dans le multiculturalisme, de rompre avec un héritage chrétien poussiéreux et encombrant. Son génie diplomatique a permis au pays de nouer des relations fraternelles aussi bien avec l’Iran qu’avec la Russie, la Syrie ou le Hamas, offrant l’espoir de voir se dessiner un « axe du Bien » en mesure de résister à l’« axe du Mal » mené par la superpuissance américaine. Car, oui, Hassan Nasrallah détestait par-dessus tout les États-Unis. Comment ne pas lui donner raison, quand on sait que le coefficient Gini de ce pays est à 0,38, signe d’un niveau d’inégalités insupportable ? Comment ne pas lui donner raison, quand on connaît la médiocrité des dernières saisons de Grey’s Anatomy (son plaisir coupable) ?
L’homme avait évidemment sa part d’ombre (personne n’est parfait). Des rumeurs font état d’une sensibilité écologique décevante. D’une inconscience à certains des grands enjeux du XXe siècle, par exemple, à la question du genre. D’une méthode de management discutable, voire toxique (les burn-out étaient fréquents parmi les combattants du Hezbollah). D’opinions très contestables (il jugeait Maradona meilleur que Messi). Reste que si nous avions, en France, davantage d’hommes d’État de la trempe de Hassan Nasrallah, et moins de petits réactionnaires catholiques comme Bruno Retailleau, notre pays se porterait mieux.
Depuis quelques jours, les cadres de notre mouvement ne parvenaient plus à joindre Hassan au téléphone (craignant un piège du Mossad, il ne répondait même plus aux appels de Rima Hassan) et l’inquiétude grandissait. Nous avons appris sa mort, effondrés. Regardons toutefois vers l’avant. M. Nasrallah est tombé, mais d’autres reprendront le flambeau, la lumière de l’islam ne s’éteindra jamais. Allah akbar ! ■ SAMUEL FITOUSSI