Article à paraître sous forme de série en 10 journées successives, week-end excepté.
Par Rémi Hugues.
Dimanche 6 octobre 2024 s’est tenu en Tunisie le premier tour de l’élection présidentielle, la troisième depuis la révolution de jasmin, point de départ des Printemps arabes.
Il y a environ une douzaine d’années les médias occidentaux s’extasiaient devant ce vaste mouvement insurrectionnel parti de Tunisie à la fin de l’année 2010 qui s’est notamment propagé à l’Égypte, la Libye et la Syrie.
Dix ans avant que le très contagieux virus du Covid-19 a pu se répandre sur l’ensemble du globe, la contagion révolutionnaire s’est propagée dans le sud-est du pourtour méditerranéen, chassant plusieurs chefs d’État du pouvoir.
Trop occupés à nous alerter sur la dangerosité du Covid-19, nos grands médias ont omis de célébrer le dixième anniversaire de ce qu’ils avaient présenté comme un grand moment démocratique, un nouveau « Printemps des peuples » dans le sillage de celui de 1848, dont le théâtre cette fois n’était pas l’Europe mais le monde arabo-musulman.
D’où la dénomination de « Printemps arabes », même si en réalité les peuples de Tunisie, d’Égypte et de Libye sont ethniquement plus berbères (« amazigh ») qu’arabes… Ah, les médias mainstream et leur imprécision proverbiale, qui cela étonnerait-il encore ?
Rétrospectivement l’on peut considérer qu’ils auraient mieux fait de parler de « Printemps musulmans ».
Déjà car ce qui unit ces pays est que la grande majorité de leur population se réclame de l’islam. Cette appartenance à une religion née en Arabie explique pourquoi il est assigné ces peuples principalement d’origine amazigh une identité arabe.
Mais aussi parce que la principale force qui en a bénéficié est l’organisation transnationale islamiste des Frères musulmans. « Dans un premier temps les Frères musulmans furent les grand gagnants des Printemps arabes. Jusque-là mal vu par certaines chancelleries occidentales, le mouvement frériste devenait fréquentable, en tant que pilier du nouveau monde arabe, libéral et démocratique1 », avons-nous écrit il y a près de deux ans.
Enfin pour la raison que sans ce « Printemps », l’Organisation de l’État islamique (OEI), soit l’auto-proclamé « Califat » appelé aussi Daech, n’aurait pas pu émerger depuis la Syrie et s’étendre sur une partie de l’Irak, répondant ainsi à une aspiration forte dans l’opinion publique musulmane, qui, depuis la chute de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale, se sent orpheline de ce régime politique inventé à la suite de l’épopée du prophète Mohamed.
Voilà pourquoi certains observateurs ont vite substitué le syntagme « Hiver islamiste » à celui de « Printemps arabe ». Il est clair que cet événement est caractérisé par un retour en force de l’islam ; or ce phénomène a eu pour effet d’affaiblir le monde musulman, dans la mesure où il a exacerbé les tensions à l’intérieur de la communauté musulmane, entre les sunnites autour de l’Arabie Saoudite et de la Turquie, et les chiites autour de l’Iran2.
La guerre au Yémen, qui a commencé en 2014 entre les partisans du président Hadi soutenus par les Saoudiens et les rebelles Houthis alliés à l’Iran, correspond au point d’orgue de ce conflit, qui s’est depuis apaisé, comme en attestent, les sommets entre, d’une part, l’Arabie Saoudite et l’Iran tenu à Pékin début avril 2023, et, d’autre part, entre la Turquie et l’Iran à Ankara le 23 janvier 2024.
À l’évidence la processus de réislamisation que connaît le Moyen-Orient depuis le dernier quart du XXe siècle tend à la différenciation et non à l’homogénéisation de ses composantes. Seule la cause palestinienne permet la pacification de ses parties : on constate un rapprochement entre les puissances régionales rivales depuis les événements du 7 octobre 2023.
Depuis cette date, le conflit central n’est plus celui opposant les sunnites aux chiites mais celui opposant Israël à nombre de ses voisins, tels que le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais, mais aussi et surtout la puissance régionale iranienne. Quand on sait que « le monde musulman a été culturellement, économiquement, le paradis des juifs aux IXe-XIe siècles3 », et pendant bien des siècles ultérieurs, l’on peut estimer que le conflit israélo-musulman actuel pourra un jour trouver une issue favorable, que la guerre entre Juifs et musulmans n’est pas une fatalité, qu’un modus vivendi où chacun trouve son intérêt n’est en rien irréalisable. ■ RÉMI HUGUES (À suivre)