Article à paraître sous forme de série en 10 journées successives, week-end excepté.
Par Rémi Hugues.
L’objet de notre propos n’est cependant pas d’exposer une étude géopolitique sur la région qui se trouve en ce moment sur le devant de la scène médiatique mondiale ; nous avons déjà consacré de nombreux textes aux relations internationales au sein du Moyen-Orient, et à leurs liens avec la politique mondiale.
Il s’agit plutôt ici de développer une réflexion de philosophie politique portant sur la nature du meilleur régime, une réflexion qui se veut tout autant ancrée dans notre réalité contemporaine que s’inscrivant dans la continuité des œuvres de Platon, Aristote et Montesquieu.
Ainsi nous soutenons que l’enseignement qui peut en être tiré, en matière de pure théorie politique, des « Printemps arabes » est la supériorité, parmi les différents types de système de gouvernement, de la monarchie héréditaire. Si aux quatre coins de la planète le XXe siècle a été impitoyable avec le régime dynastique, il semble qu’au contraire le XXIe siècle lui soit plus favorable.
Parmi les chefs d’État de Tunisie, d’Égypte, de Libye et de Syrie, qui ont été les quatre principaux pays du Printemps arabe, le seul qui aujourd’hui est encore aux commandes est le président syrien Bachar al-Assad.
Or il fut le seul à n’avoir jamais vraiment cherché le pouvoir, l’obtenant en vertu du statut de fils, et donc de légitime successeur, de son père Hafez, qui avait accédé à la présidence en 19701. Tous les autres, le Tunisien Ben Ali, l’Égyptien Moubarak et le Libyen Kadhafi ont été renversés par ce Printemps « démocratique », ou plutôt islamo-démocrate, c’est-à-dire frériste2. Parmi ces dirigeants, le seul dont la manière d’accéder au pouvoir se trouve similaire au mode traditionnel est le Syrien.
Le premier a avoir valsé est Zine el-Abidine Ben Ali. Lâché par l’armée et la police, il n’a plus eu d’autre choix que de s’enfuir en avion le 14 janvier 2011. Les autorités françaises craignirent terriblement qu’il choisît la France comme de lieu de refuge. Alors elles furent rassurées quand elles apprirent qu’il avait opté pour l’Arabie Saoudite, pays où il est décédé le 19 septembre 2019.
Ensuite Hosni Moubarak a été contraint de démissionner en février 2011, après des semaines de graves troubles insurrectionnels, dont le point de départ symbolique est une attaque terroriste la nuit du Nouvel An frappant une église copte d’Alexandrie et faisant plus de 20 morts, avec en toile de fond les événements qui viennent d’ébranler la Tunisie. Il est arrêté, emprisonné, puis relâché en 2017 et décède au Caire le 25 février 2020.
Le chef de l’État qui est pris en sandwich entre ces deux pays, Mouammar Kadhafi, est la victime suivante du Printemps arabe. À la différence des deux autres, un facteur « exogène » vient précipiter sa fin : la répression des rebelles qui ont pris le contrôle de Benghazi en février 2011 conduit à une réaction des puissances occidentales, qui, sur la base de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU du 17 mars 2011, lancent l’opération Harmattan deux jours plus tard. Cette intervention essentiellement franco-britannique parvient à tuer Kadhafi le 20 octobre 2011 dans les environs de Syrte. La DGSE a donc été directement impliquée dans son élimination, dont les images épouvantables ont fait le tour du monde.
Coup sur coup, ont été évincés l’homme-lige de la famille Trabelsi – dont la mainmise sur la Tunisie était décrite dans un télégramme de l’ambassade des États-Unis en Tunisie obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde3–, le Pharaon moderne d’un pays vivant des subsides de l’Oncle Sam et un Bédouin islamo-socialiste que « Sarko-l’Américain » a abattu comme un Ché après lui avoir tapé au portefeuille.
Quant à Bachar al-Assad, qui lui aussi avait reçu les honneurs d’une invitation du président de la République française, il est non seulement toujours en vie, tandis que les trois autres sont décédés, mais il est en plus encore président de son pays, la Syrie. ■ RÉMI HUGUES (À suivre)
1 Dans la littérature scientifique de la sphère anglophone, l’article-référence sur ce thème est le suivant : Joshua Stacher, « Reinterpreting Authoritarian Power : Syria’s hreditary Succession », Middle East Journal, 2011, vol. 65, n°2, p. 197-2012.
2 Adjectif utilisé pour désigner les Frères musulmans, que nous avons évoqué plus haut.
3 https://www.lemonde.fr/documents-wikileaks/article/2011/01/17/les-predateurs-du-clan-ben-ali-vus-par-les-diplomates-americains_1466638_1446239.html