Article à paraître sous forme de série en 10 journées successives, week-end excepté.
Par Rémi Hugues.
De même que Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, la violence caractérise l’accession au pouvoir de Saddam Hussein. 1958 a été, comme pour la France, une année de changement de régime. En juillet la monarchie est renversée par une junte militaire qui proclame la République. Le pays est alors secoué par plusieurs putschs : celui de 1963 permet au parti Baas de prendre le pouvoir.
Le baasisme se veut la transposition arabe du nationalisme que la modernité européenne a fait naître. Cette idéologie, qui porte un vision socialisante ainsi que profondément laïque, apparut à l’orée du XXe siècle. « À la veille de la Première Guerre mondiale, largement influencé par le nationalisme maurrassien français, le nationalisme arabe développe ses organisations et ses réseaux : chrétien libanais francophile, Néguib Azoury publie en français à Paris, en 1904, Le réveil de la nation arabe ; en 1907, sur le modèle des ligues patriotiques françaises, il crée La Ligue de la Patrie arabe. […] L’arabisme prend une nouvelle dimension, plus cohérente, plus forte, avec Sati al-Husri, musulman sunnite d’origine syrienne, né au Yémen et élevé à Istanbul. »1
Avec Husri une école germaniste du nationalisme vient concurrencer l’école française de l’auteur du Réveil de la nation arabe : « Contrairement à Azoury – influencé par Maurras, Barrès et Renan –, Husri pense que l’exemple du nationalisme allemand est plus proche de celui du nationalisme arabe. Ses textes subissent l’influence de Arndt, Herder, Kleist, Fichte. »2
Puis en 1947 est fondé le parti Baas par Michel Aflak, un Syrien de confession orthodoxe qui, pendant ses études d’histoire à la Sorbonne, voit la foi nationaliste transmise par son père se consolider fermement. Et onze ans plus tard il assiste avec bonheur à l’accession de son parti aux plus hautes responsabilités, non pas dans son pays d’origine, mais en Irak. En 1960, Saddam Hussein, qui avait dû s’enfuir de son pays après avoir été blessé lors d’une tentative d’assassinat visant le général Kassem, alors Premier Ministre d’Irak, trouvant refuge à Damas, avait pu faire la connaissance d’Aflak.
En juillet 1968 le général Hassan al-Bakr fomente un coup d’État, où Saddam Hussein se montre très impliqué. Le nouveau maître de l’Irak le charge de la répression des adversaires du nouveau pouvoir, divisés entre un pôle communiste et un pôle nassérien. Un an plus tard il devient vice-président du Conseil de commandement de la révolution.
En 1979 le maréchal al-Bakr, en mauvaise santé, est contraint à la démission. Nul autre que son puissant bras droit ne peut lui succéder : en plus d’être le nouveau président de la République, Saddam Hussein est président du Conseil de commandement de la révolution, secrétaire général du commandement régional et secrétaire général adjoint du Commandement national du Baas. Le 28 juillet, 21 membres de son entourage sont exécutés, parmi lesquels le vice-Premier ministre Adnan Hussein et un cadre historique du parti, Abdel Khalek Samarrai.
La disparition d’al-Bakr en octobre 1982 vient définitivement renforcer le pouvoir de l’homme qui se fait désormais appeler el-Raïs el-monadel, « le Président combattant ». En tout Hussein aura dirigé d’une main de fer l’Irak durant près d’un quart de siècle.
L’accession au pouvoir de Ben Ali
Arrivé au pouvoir en 1987, Ben Ali, colonel du renseignement avait été nommé chef de la Sûreté nationale en 1977 par le maître de la Tunisie Habib Bourguiba. Voyant son pouvoir vaciller, il a su habilement se servir des circonstances pour le forcer à abdiquer à son profit.
Fin décembre le pays connaît une révolte qui part du sud pour atteindre Gabès et Sfax le 2 janvier 1984, puis Tunis le lendemain. L’image du Père de l’indépendance est ternie : « Pour la première fois […], des statues de Bourguiba sont descendues de leur piédestal et piétinés. »3
Maté dans le sang, le soulèvement signifie pour lui le début de la fin : « Pendant quelques années encore, le pouvoir bourguibien se maintient en se réduisant à une pathétique caricature de ce qu’il fut à ses débuts, jusqu’à ce qu’un prétendant ambitieux y mette fin […]. [L’]autoritarisme du premier a fait le lit de la dictature de second »4.
Devenu général Ben Ali est placé au poste de ministre de l’Intérieur en avril 1986 avec comme mission prioritaire la répression des islamistes du Mouvement de la tendance islamique (MTI), qui ont commis des attentats à Sousse et à Monastir dans la nuit du 2 au 3 août 1987. Le 2 octobre il devient Premier ministre à la place de Rachid Sfar.
Persuadé « que nul ne regrettera le départ du vieillard atrabilaire qu’est devenu le Combattant suprême et que le pouvoir est à ramasser », Ben Ali, « [a]ssuré du soutien de la police, de la Garde nationale et de l’armée, conseillé par le directeur du PSD* Hedi Baccouche qui se fait fort de mobiliser l’appareil du parti dont nombre de dirigeants vomissent la garde rapprochée présidentielle, […] attend l’occasion pour passer à l’acte. »5
L’enjeu principal pour lui consiste à annihiler son grand rival, le fidèle parmi les fidèles Mohamed Sayeh, qui était pressenti pour être le prochain Premier Ministre à sa place.
Voici comment se déroule son coup : « Dans la nuit du 6 au 7 [novembre], le palais présidentiel de Carthage est investi par la Garde nationale pendant que les hommes de Sayeh et les membre du sérail sont arrêtés. Son organisation ayant été parfaite, la partie militaire du coup d’État a été couronnée de succès »6.
Il s’agit ensuite de manœuvrer afin qu’une caution légale soit donnée à ce putsch : « Sept éminents médecins qui ont tous soigné Bourguiba au cours des années précédentes sont convoqués dans la nuit au ministère de l’Intérieur et priés d’apposer leur signature au bas du document rédigé par l’un d’entre eux, certifiant que l’état de santé du président “ne lui permet plus d’exercer les foncions inhérentes à sa charge.” »7
Dans la matinée du 7 novembre, Ben Ali, s’appuyant sur l’article 57 de la Constitution stipulant qu’« en cas de vacance de la présidence de la République pour cause de décès, démission ou empêchement absolu, le Premier ministre est immédiatement investi des fonctions de président de la République », proclame à la radio qu’il devient le nouveau chef de l’État de la République de Tunisie.
En avril-mai 1989 sont organisées des élections en vue d’asseoir démocratiquement son pouvoir. Il remporte aisément l’élection présidentielle : en effet il n’y pas d’autre candidat. Quant aux législatives, au mode de scrutin majoritaire à un tour, marquées par « quelques truquages »8, le PSD, devenu Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’emporte très largement, obtenant tous les sièges. ■ RÉMI HUGUES (À suivre)
1Aymeric Chauprade, Géopolitique. Contrastes et changements dans l’histoire, Paris, Ellipses, 2007, p. 496.
2Ibid., p. 497.
3Sophie Bessis, Histoire de la Tunisie. De Carthage à nos jours, Paris, Tallandier, 2019, p. 403.
4Idem.
*Parti socialiste destourien.
5Ibid., p. 414.
6Idem.
7Idem.
8Ibid., p. 420.
Enfin ! Début d’une analyse des coups d’Etat empirique plutôt qu’idéologique…