Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« L’histoire dira certainement que la Monarchie de 1830, avec toutes ses imperfections, toute ses faiblesses, a sauvé la France de 1914 »
Les Allemands ont réoccupé Lille : cet évènement est traité d’épisode sans importance. – Etrange ! On m’avait pourtant appris, au collège, que l’entrée des impériaux à Lille en 1792 avait été considérée comme quelque chose de très grave. On a changé bien des points de vue et révolutionné bien des choses même depuis la Révolution…
Sans la neutralité belge, le roi Georges V … *
Les actes dictés par une haute conception de la politique ne manquent jamais de trouver, un jour ou l’autre, leur récompense. Il n’y avait eu, jadis, que trop d’étourdis dans notre pays, pour reprocher à Louis-Philippe de n’avoir pas annexé purement et simplement la Belgique. Il n’y avait pas eu trois douzaines de Français pour comprendre la nature du chef-d’oeuvre qu’était la neutralité belge. Il aura fallu la guerre de 1914 pour faire sentir à tout ce qui n’est pas incurablement ignorant et léger ce que le duc de Broglie a appelé « le dernier bienfait de la monarchie« . Dans les grands évènements, les peuples s’aperçoivent mieux que les générations dépendent les unes des autres, que le passé gouverne l’avenir, que le raisin vert mangé par les pères agace les dents des enfants, et qu’au point de vue militaire comme au point de vue diplomatique, l’imprévoyance reçoit son châtiment, la prévoyance son salaire.
L’histoire dira certainement que la Monarchie de 1830, avec toutes ses imperfections, toute ses faiblesses, a sauvé la France de 1914 : sans une Belgique indépendante, l’ennemi n’eût pas été retenu plus de quinze jours devant Liège, retard qui a ruiné tous ses plans ; sans la neutralité belge, le roi Georges V, les conservateurs anglais et l’aristocratie whig n’eussent pas trouvé la raison péremptoire qui devait jeter dans cette grande guerre l’Angleterre radicale et pacifiste. ■ JACQUES BAINVILLE
* Journal de Jacques Bainville (1901/1918) – Tome I – Plon 1948
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