Article à paraître sous forme de série en 10 journées successives, week-end excepté.
Par Rémi Hugues.
L’accession au pouvoir de Moubarak
L’ascension de Moubarak à la tête de l’Égypte a été marquée du sceau de la violence politique. S’il n’en a pas été à l’origine, elle lui en a in fine été profitable dans sa quête de pouvoir. Ce militaire de carrière, formé par l’Union Soviétique au pilotage d’avions de chasse, devient rapidement un cadre de l’armée de l’Air égyptienne.
En 1975, nommé vice-président, il « est le dauphin désigné »1 d’Anouar el-Sadate. Le 6 octobre 1981, ce dernier est tué dans un attentat par le groupe terroriste al-Jihâd. Les deux principaux responsables de cet assassinat politique sont Muhammad Abd al-Salâm Farag, qui a signé le livre La Guerre sainte : l’impératif occulté, et Khâlid Islâmbûli, un jeune lieutenant d’artillerie, dont le frère Muhammad, membre de la Gamâ’a al-islâmiyya, est emprisonné sans avoir été jugé.
À cette époque le régime de Sadate réprime férocement son opposition. En septembre 1981 un vaste coup de filet a été mené contre elle, que ce soit la gauche ou les islamistes. Par conséquent, lorsque Khâlid Islâmbûli « apprend que son unité défilera pour la commémoration de la guerre de 1973, le projet germe d’assassiner le président. »2
Il prend langue avec Farag, et avec trois autres complices ils entreprennent de perpétrer un attentat contre Sadate. « Le 6 octobre 1981, quelques instants après le passage des Phantoms, alors que tous les regards sont tournés vers le ciel et que le ronflement des moteurs d’avion domine tous les autres bruits, un véhicule sort de la ligne et s’arrête. C’est à peine si l’on s’en étonne, pris par le spectacle aérien, quand soudain trois hommes en sortent, pistolets-mitrailleurs au poing, se précipitent vers la tribune présidentielle et tirent. […] Sadate meurt pendant le transport en hélicoptère […]. Dans le même temps, un mouvement insurrectionnel est déclenché à Assiout. Il faut deux jours aux forces de police pour contenir le soulèvement. La loi martiale est proclamée et un couve-feu imposé. »3
Moubarak est sain et sauf, seulement blessé à la main. C’est dans un tel climat de putsch que son règne sur l’Égypte. Il ordonne l’arrestation de centaines de militants de cette organisation. Ses chefs, en plus des instigateurs du complot mortel visant Sadate, sont condamnés à mort le 15 avril 1982.
L’accession au pouvoir de Kadhafi
Après la colonisation italienne, la France et le Royaume-Uni se partagent la Libye à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, laquelle, obtenant au bout de quelques années son indépendance, devient une monarchie dirigée par Idriss Ier.
À la fin des années 1960 son pouvoir est chancelant, mettant en péril le régime même : non seulement sa santé est mauvaise, mais surtout il n’a pas d’héritier. Il n’a pas d’autre choix que l’abdication. Le 4 août 1969 il adresse une lettre au président du Sénat pour officialiser sa décision, et désigne comme Dauphin son neveu Hassan Reda as-Sanûsi, qui est le fils de son frère, dont le règne doit débuter à partir du 2 septembre.
Cependant la veille de cette date une douzaine d’officiers, principalement des capitaines, érigés en Conseil de commandement de la Révolution, saisissent cette opportunité que constitue ce changement de pouvoir pour mettre fin à la monarchie au profit d’une République arabe libyenne socialiste, au motif qu’un « complot contre-révolutionnaire » est en cours, et qu’il faut l’anéantir. Ils investissent les lieux stratégique, principalement situés dans la capitale Tripoli, mais aussi à Benghazi.
C’est Mouammar Kadhafi, âgé de 27 ans à peine, qui, à Tripoli, au siège de la radio, lit le communiqué annonçant le coup d’État : « Aujourd’hui s’est réalisé votre rêve socialiste, votre rêve de liberté et d’union. Donnez votre appui total à la Révolution. Peuple libyen, nous nous sommes révoltés pour ton honneur, pour que tu reprennes ta patrie usurpée, pour hisser haut l’étendard arabe. »4
Le nouveau régime se veut résolument fidèle au panarabisme dont le président égyptien Nasser est la figure tutélaire. Curieux d’en connaître plus sur ces fervents admirateurs, ce dernier envoie un émissaire dans la capitale du pays voisin, l’homme de lettres Mohamed Heykal. Son impression est plus que défavorable. À l’issue de son voyage il se livre ainsi à Nasser : « Ces jeunes hommes sont une vraie catastrophe. […] [I]ls sont incroyablement naïfs et scandaleusement purs. »5
Le syndicaliste Mahmoud el-Maghrebi devient le chef du nouveau gouvernement, qui est composé de neuf membres, dont deux militaires. À l’exception d’Omar el-Mechichi, tous sont hostiles au marxisme, déclarant « que la sécurité des biens des étrangers serait assurée et que les compagnies pétrolières ne seraient pas nationalisées. »6 Avec un tel accent mis sur l’« anticommunisme, l’Occident fut […] rassuré ; aussi, dès le 6 septembre, les États-Unis reconnurent-ils le nouveau régime. »7
Un régime de parti unique est instauré à partir de la création, le 11 juin 1971, de l’Union socialiste arabe (USA). La nouvelle Libye s’avère plus collectiviste que prévu, ce qui n’est pas pour plaire aux intérêts de l’Ouest. Marginalisé, Khadafi prononce le 15 avril 1973 un discours qui appelle le peuple à se mobiliser contre ce parti unique dont l’acronyme en français est USA, fautif selon lui de s’être accaparé le pouvoir.
Son coup de sang porte ses fruits : « À la suite de ce coup d’État pacifique, il s’imposa à la tête du pays, déclenchant une révolution culturelle et politique en lançant un double jihad »8, le premier étant intérieur, dirigé contre les tendances de chacun non conformes aux préceptes de l’islam, le second extérieur, dirigé contre l’Occident et Israël.
En 1977, il réorganise les institutions en instituant la Jamahiriya, à savoir un « État des masses », où il n’est pas censé être le chef car la Libye est censée être une démocratie directe, mais dans les faits il exerce un pouvoir absolu. Telle la Chine de Mao Zedong et son Petit Livre Rouge, la Libye de Kadhafi a son Petit Livre Vert, publié en 1975. ■ RÉMI HUGUES (À suivre)
1Anne-Claire de Gayffier-Bonneville, Histoire de l’Égypte moderne. L’éveil d’une nation (XIXe-XXIe siècle), Paris, Flammarion, 2016, p. 441.
2Ibid., p. 439.
3Ibid., p. 440.
4Cité par André Martel, La Libye des Ottomans à Daech (1835-2016), Paris, L’Harmattan, 2016, p. 183.
5Cité par Bernard Lugan, Histoire de la Libye. Des origines à nos jours, Monaco, Éditions du Rocher, 2022, p. 114.
6Idem.
7Idem.
8Ibid., p. 115.
Les coups d’Etats, c’est banal. Pourquoi pas en France ? Quand un Régime ne convient plus, on en change…
Ne serait-ce culturel ?
Les pays Latino-américains ont un « savoir faire » qui ne semble se trouver en France.
Je me souviens d’une conférence où l’auteur notait que les coups d’état différaient d’un pays à l’autre : putschs armés en Espagne et dans les pays latino-américains, ils revêtent une apparence de légalité en France.