Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« Tout l’édifice de la banque et de la finance s’est effondré comme un château de cartes. »
Ce n’est qu’à la suite de longues discussions que le parti de la résistance l’a emporté dans le gouvernement de la République. Les précisions grandissent à ce sujet. Il est certain que le pacte de Londres, qui lie la France pour la durée de la guerre et la protège elle-même contre les faiblesses possibles de l’opinion et les intrigues des partis, n’a été emporté que de haute lutte. On range le président Poincaré parmi ceux qui répugnaient à engager la France, et l’on affirme qu’il y aurait eu une publication du pacte au Journal officiel faite par anticipation pour forcer les dernières hésitations.
En tout cas, il est certain que la censure a, pendant douze heures, empêché la presse de publier la nouvelle du pacte de Londres.
On dit beaucoup que le gouvernement de Bordeaux est inquiet de ce qu’il appelle « le gouvernement de Paris ». La conjonction Gallieni-Doumer* inquiète certains radicaux. Pourtant ce gouvernement n’a pas l’aspect césarien, ni même militaire. Il est presque anonyme. Le gouverneur de Paris est invisible. D’ailleurs Paris vide d’hommes, obscur dès 5 heures du soir, est d’un calme parfait.
La permission de ne pas payer le terme a été saisie avec empressement par la population parisienne. Ne pas donner d’argent au propriétaire, on ne peut pas se douter du plaisir que cela cause au petit bourgeois et à l’employé plus qu’au prolétaire lui-même. D’ailleurs l’organisation du crédit est dans un gâchis complet; tout l’édifice de la banque et de la finance s’est effondré comme un château de cartes. L’autorité de l’Etat ne se faisant plus sentir, tout le monde nourrit l’espoir d’échapper à ses engagements et une légère anarchie fermente. Ce qui sortira le plus affaibli de cette crise, c’est la puissance de l’Or. Et cela doit être quand il apparaît que la première valeur de toutes, c’est le Sang. ■ JACQUES BAINVILLE
* Le général Gallieni avait nommé directeur des services civils Paul Doumer (1857-1932) qui avait été gouverneur-général de l’Indochine de 1896 à 1905, puis président de la Chambre des députés. Clemenceau parla d’une « Commune de Paris ». Paul Doumer sera président du Sénat en 1927 puis président de la République en ami 1931. Il sera assassiné le 6 mai 1932 par un déséquilibré.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source.