Article à paraître sous forme de série en 10 journées successives, week-end excepté.
Par Rémi Hugues.
Une transition en douceur
L’objectif fixé par lui a été parfaitement rempli, estime le journaliste de renom Sami Kleib : « La rapidité avec laquelle la passation du pouvoir a eu lieu, dès le jour même du décès de son père, ainsi que l’absence totale de troubles d’ordre sécuritaire, prouvèrent que tout avait été prévu et exécuté avec minutie par le Maître de la Syrie »1Assad.
Sami Kleib en a été le témoin oculaire : dans le cadre de son activité professionnelle il y est allé pile à ce moment-là pour couvrir les obsèques du président-défunt. Il raconte : « J’ai traversé la frontière et suis arrivé à Damas le lendemain du décès à l’aube. […] Je n’ai relevé aucune mesure d’exception. Seules, quelques dispositions spéciales avaient été prises à la frontière afin de faciliter le passage des journalistes […]. Tout paraissait naturel si ce n’était le tourment sur les visages des Syriens que je croisais. »2
Le seul potentiel facteur de déstabilisation était Rifat, oncle de Bachar et frère d’Hafez, qui en 1983-1984 avait tenté de prendre le pouvoir quand ce dernier était tombé gravement malade. Leurs partisans respectifs avaient commencé à s’affronter, Rifat avait été contraint de s’exiler en France.
Le voyant essayer de profiter de la vacance du pouvoir pour revenir dans le jeu, Bachar prend soin de l’écarter grâce au fidèle parmi les fidèles de son père, Mustafâ Tlâas. Au fond avec le vide créé par la mort d’Assad Senior les élites dirigeantes voient sourdre une querelle familiale, un duel entre l’oncle et le neveu, et choisissent le second au détriment du premier.
Ceci est mis en évidence par l’un des bras droits d’Hafez, le vice-président Farouq El-Shareh, dans son ouvrage Le récit égaré explique : « J’ai senti que porter mon choix sur Bachar al-Assad allait constituer une voie de sortie sûre et une alternative pacifique à un conflit qui pourrait devenir sanglant. »3
Un concept a même été inventé pour désigner cette succession qui, in fine, s’est avérée pleinement réussie : jumlukiyya, contraction de junhurriyya (république) et mamlaka (monarchie).
« En quelques semaines, le fils cadet de Hafez, Bachar, s’était glissé sans encombre dans les fonctions de son père, après une série de “spectacles” de légitimation de nature plus monarchique que républicaine »4, note Steven Heydemann, un universitaire américain, qui dans un article paru dans la foulée de l’arrivée d’Assad Junior au pouvoir, relève ce paradoxe la République arabe syrienne.
En théorie régime au fonctionnement moderne, c’est-à-dire fondé sur des règles constitutionnelles strictes ayant au moins un semblant d’esprit démocratique, la Syrie baasiste est devenue sous l’égide de la dynastie Asad une monarchie héréditaire.
À cette occasion un simulacre d’état de droit a été mis en branle par son élite politique au service de ce l’on appelle ici en France l’antique loi salique. Le chercheur en science politique Heydemann de poursuivre : « Ce qui est le plus frappant dans la récente succession, c’est non seulement le légalisme méticuleux de ceux qui l’ont organisée, le soin avec lequel ils ont veillé à sa constitutionnalité, mais le fait que pratiquement tous les observateurs ont considéré ce respect de la procédure comme du pur cynisme : il ne s’agissait que de conférer, ex post, une légitimité à un mode scandaleusement illégitime de choix du président. »5
Selon les normes de l’Occident moderne, effectivement, les membres de l’Action Française ne le savent que trop, un tel mode de gouvernement est scandaleusement illégitime. Mais visiblement aux yeux des Syriens, qui pour la plupart n’ont sans doute pas délaissé leur Dieu immémorial pour la froideur des abstractions Droit et Marché, cette comédie, inséparable de tout exercice du pouvoir, n’était nullement une offense faite contre eux. « Le processus de succession, loin de mettre à nu la fragilité du régime comme beaucoup s’y étaient attendus, démontrait au contraire sa solidité. »6
D’abord la Constitution a dû être modifiée par l’Assemblée législative afin que l’âge pour être président soit abaissé. Puis se tient un Congrès exceptionnel du parti Baas durant lequel Bachar est intronisé, avant qu’un référendum ne soit organisé le 10 juillet 2000 pour donner un vernis démocratique à ce passage de relais d’un père à son fils aux commandes du pays. ■ RÉMI HUGUES (À suivre)
1Ibid., p. 39.
2Ibid., p. 40.
3Cité par ibid., p. 44.
4Steven Heydemann, op. cit., p. 36-37.
5Ibid., p. 40-41.
6Ibid., p. 37.
« Par tous les moyens même légaux » Rechercher les « bonnes formes’ pour passer en douceur d’un Régime à l’autre…